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LIVRE QUATORZIÈME

LES PAYS ORIENTAUX

I

SATISFACTION DES CHRÉTIENS EN EUROPE

(Traité de San-Stefano, art. XV. Traité de Berlin, art. III.)

Il s'agit ici des populations de la Turquie d'Europe qui n'ont été adjugées ni à l'Autriche, ni au Monténégro, ni à la Serbie, ni à la Roumanie, et qui ne sont pas comprises dans l'organisation séparée de la Bulgarie, de la Roumélie orientale, ou de la Crète, en excluant encore les tribus semi-indépendantes de la Haute-Albanie.

:

Ces populations appartiennent à cinq nationalités différentes la grecque, la bulgare, la serbe, l'albanaise et la roumaine (koutzo-vlaque ou zinzare). Il y a, parmi elles, des orthodoxes, des catholiques des deux rites et des musulmans.

Dans le traité de San-Stefano, comme dans celui de Berlin, il faut examiner: 1° la promesse d'amélioration; 2o le procédé de réalisation.

1. Dans les deux traités, il est promis un règlement analogue à celui de la Crète. San-Stefano ajoute, ce qui était sage, que le règlement sera adapté aux besoins locaux. Berlin, sans y contredire, n'en parle pas; mais il ajoute que les sujets européens du sultan ne jouiront pas des exemptions d'impôt octroyées à l'île de Crète.

Au

fond, les deux traités disent la même chose sur le but, mais les procédés diffèrent.

2o L'acte russo-turc disait :

Des commissions spéciales, dans lesquelles l'élément indigène aura une large participation, seront chargées d'élaborer les détails du nouveau règlement. Le résultat de ces travaux sera soumis à l'examen de la Sublime Porte, qui consultera le gouvernement impérial de Russie avant de les mettre à exécution.

Voici un cas dans lequel le traité de Berlin améliore la disposition de San-Stefano. D'abord Berlin parle, non d'un règlement unique, mais des nouveaux règlements, et il ajoute dans chaque province; ce qui implique que, pour chaque province, il y aura un règlement différent, suivant les nécessités locales. Il était à propos de le souligner; car la manie de l'uniformité est le grand écueil pour toute amélioration dans le monde si varié de l'Orient on peut affirmer qu'un règlement bon pour une province serait mauvais pour les autres.

Une amélioration non moins importante consiste dans le fait qu'une commission européenne a été substituée au gouvernement russe. Il n'y avait aucune raison d'aucun ordre pour stipuler que la Porte, avant de mettre à exécution les travaux des commissions spéciales, dût consulter la Russie seule. La Russie n'a pas conquis ces provinces pendant la guerre; elle n'en est pas limitrophe; elle ne saurait, à aucun titre, y prétendre à une position privilégiée.

C'est en 1880 que l'article XXIII a été mis à exécution; mais le procédé n'a pas été tel que le traité l'avait prescrit. Au lieu de nommer des commissions spéciales, la Sublime Porte a élaboré elle-même un projet de règlement, qu'elle a plus tard soumis à des commissions spéciales. Cette manœuvre avait évidemment pour objet d'empêcher que chaque province élaborât son règlement. La diversité est ce que la Turquie, surtout la Jeune, redoute par-dessus

tout. La manœuvre avait été dénoncée à temps; elle a cependant réussi il y aura un règlement applicable à tous les sujets directs de la Turquie en Europe. On en a séparé quelques parties de l'Albanie, qui auront une organisation spéciale. On y a ajouté celles des îles du vilayet de l'Archipel qui sont rapprochées de la côte d'Asie. Voilà ce que j'avais à dire du procédé.

Quant au règlement qui en est sorti, je m'abstiendrai de le discuter, par la raison que c'est encore un simple programme.

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(Traité de San-Stefano, art. XVI. - Traité de Berlin, art. LXI.)

Les Arméniens sont répartis entre la Turquie, la Russie et la Perse.

Le conquérant Mahomet II avait reconnu, parmi les vaincus, deux nations (mileti) celle des Grecs et celle des Arméniens. C'est l'organisation qui subsiste jusqu'à ce jour après avoir subi quelques modifications. Les Arméniens avaient donc dans l'empire ottoman une existence civile et religieuse avant le traité de Berlin.

Sous le rapport administratif, au contraire, l'Arménie fait sa première apparition dans le traité de San-Stefano:

La Sublime Porte s'engage à réaliser sans plus de retard les améliorations et les réformes exigées par les besoins locaux dans les provinces habitées par les Arméniens et à garantir leur sécurité contre les Kurdes et les Circassiens.

L'article XVI de San-Stefano fut soumis, comme les autres, à la revision de l'Europe; mais, avant que les plé

nipotentiaires européens fussent réunis, la Turquie avai signé avec la Grande-Bretagne le traité particulier du 4 juin. L'Angleterre s'y engage à s'unir au sultan pour la défense des territoires de S. M. Impériale en Asie par la force des armes, sous la condition suivante :

En revanche, S. M. I. le Sultan promet à l'Angleterre d'introduire les réformes nécessaires (à être arrêtées plus tard par les deux puissances) ayant trait à la bonne administration et à la protection des sujets chrétiens et autres de la Sublime Porte qui se trouvent sur les territoires en question; et, afin de mettre l'Angleterre en mesure d'assurer les moyens nécessaires pour l'exécution de son engagement, S. M. I. le Sultan consent, en outre, à assigner l'ile de Chypre, pour ètre occupée et administrée par elle.

La Russie ne s'était pas arrogé la collaboration aux réformes, tandis que l'Angleterre l'obtient. Notez aussi que la Russie avait stipulé pour les Arméniens seulement; l'Angleterre stipule pour tous les territoires asiatiques qui peuvent être menacés d'une agression russe. Il ne s'agit donc plus seulement des Arméniens, mais de tous les sujets chrétiens et autres, c'est-à-dire chrétiens de toute communion, musulmans et israélites, à quelque race qu'ils appartiennent.

Le traité de Berlin vient ensuite, et il stipule comme si la convention anglaise n'existait pas. Il reproduit l'article de San-Stefano; mais il ajoute explicitement la surveillance périodique de l'Europe et voici en quels termes :

La Sublime Porte donnera connaissance périodiquement des mesures prises à cet effet aux puissances qui en surveilleront l'application.

En fait, malgré les stipulations de Berlin, le règlement des difficultés arméniennes tend à devenir une affaire anglaise, bien que le ministère whig ait essayé d'atténuer la situation créée par la convention du 4 juin. Cette affaire, au moment où nous écrivons, n'est pas réglée. Les violences des Kurdes et des Circassiens continuent, non noins

que les exactions des fonctionnaires turcs et leur impuissance à réprimer leurs coreligionnaires.

III

SATISFACTION DES CRÉTOIS

(Traité de San-Stefano, art. XV. Traité de Berlin, art. XXIII.)

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La Crète avait obtenu, en 1868, une de ces organisations particulières qui ne sont pas l'autonomie, mais qui placent l'île dans la catégorie des provinces privilégiées.

Non seulement la constitution de 1868 n'a pas satisfait les Crétois, lesquels demandaient leur annexion au royaume de Grèce, mais les améliorations que cet acte comporte ont été peu ou point appliquées. L'île est restée dans un état de résistance et de lutte.

Cet état de choses a déterminé avec raison les négociateurs de San-Stefano et ceux de Berlin à stipuler, en termes identiques, que :

La Sublime Porte s'engage à appliquer scrupuleusement, dans l'ile de Crète, le règlement organique de 1868.

Mais ce règlement réclame des améliorations. Les négociateurs russes avaient ajouté à la phrase que je viens de citer les mots : «< En tenant compte des vœux déjà exprimés par la population indigène. » Les négociateurs de Berlin n'ont pas voulu aller aussi loin; ils ont dit : «< En y apportant les modifications qui seraient jugées équitables. >>

Rien de mieux que de déclarer que les modifications seront «< équitables. » Seulement, le congrès de Berlin a omis de spécifier par qui les modifications seront jugées telles. Sera-ce par les habitants, suivant l'idée russe? Sera

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