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cette garantie dépendra des arrangements de la Russie avec le gouvernement du sultan, mais sera réglée en dehors de toute acquisition territoriale.

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9° Les autres créanciers de la Turquie. Je mentionne, pour mémoire, une tentative inutile des plénipotentiaires turcs, soutenus par lord Salisbury et tendant à exonérer la Turquie de toute indemnité pécuniaire'; j'arrive à la dernière question: celle des créanciers antérieurs de l'empire ottoman. La discussion a été confuse et vague: les plénipotentiaires n'ont pas posé immédiatement la distinction à établir entre les créanciers hypothécaires et ceux qui ne le sont pas............

Le Président résume la discussion. Les plénipotentiaires de Russie ont donné satisfaction à l'intérêt politique par une réponse dont le congrès a pris acte. Les droits des porteurs de titres ottomans ayant été soutenus par la Grande-Bretagne et la France, les déclarations de la Russie relatives à la priorité des hypothèques, ont également paru satisfaisantes. Le fond des choses est donc réglé.

Le prince de Bismarck a ajouté:

Il ne reste plus qu'une question de rédaction, dont les plénipotentiaires intéressés pourront se préoccuper en vue du protocole.

Malgré l'invitation que le président leur adressait avec tant d'à-propos, les plénipotentiaires ne paraissent pas s'être occupés utilement de cette « question de rédaction, » car l'affaire est restée dans le vague que nous venons de signaler. Pourquoi faut-il qu'ici, comme à propos de Batoun, le public sachant ce que les plénipotentiaires ont dit, soit obligé de chercher ce qu'ils ont voulu dire?

J'ai exposé successivement les avantages obtenus par la Russie et les restrictions que l'Europe a apportées à ses desiderata. Il reste à indiquer quelques déceptions dont la dernière a, seule, de la gravité.

1. Livre jaune de 1878, pages 181 et suivantes, dans le protocole 11°.

10° Les détroits. - La Russie n'a pas obtenu, elle n'a pas jugé opportun de demander, ni à San-Stefano, ni à Berlin, le libre passage de ses navires de guerre par le Bosphore et les Dardanelles.

11° Garanties d'exécution. -- Le congrès n'a pas accueilli une proposition du prince Gortchakov, relative aux mesures à prendre pour assurer aux décisions européennes une exécution complète'.

120 Bosnie et Bulgarie. - Ainsi qu'il résulte de plusieurs explications antérieures, l'empereur Alexandre avait pris l'engagement de laisser l'Autriche s'attribuer en Europe des satisfactions à peu près illimitées. Le traité de SanStefano était une exécution loyale des promesses impériales, en ce qui concerne le Monténégro, la Bosnie et l'Herzégovine la part de l'Autriche y était large; mais la situation exceptionnelle faite à cette puissance avait, pour terme corrélatif, pour contrepoids, l'organisation d'une grande Bulgarie, laissée en dehors de l'action autrichienne.

L'existence de cette grande Bulgarie était, je le répète, la garantie efficace pour la liberté du chemin qui mène à Salonique. La combinaison était très politique et très modérée. Le congrès de Berlin a dérangé l'équilibre de la balance en jetant tout dans le plateau de l'Autriche et en vidant l'autre.

Sur les instances de la Grande-Bretagne, qui est peutêtre déjà à s'en repentir, la grande Bulgarie, la vraie, celle de la conférence de Constantinople, a été morcelée en trois. La Bosnie et l'Herzégovine ont été attribuées virtuellement à l'Autriche-Hongrie et, pour souligner la poussée vers la mer Égée, on lui a assigné l'occupation de

1. Livre jaune de 1878, page 231, protocoles 15° et suivants.

Novi-Bazar, qui confine au chemin de fer de Mitrovilza à Salonique.

La question est, du reste, plus européenne que russe.

II

SATISFACTION DE L'AUTRICHE-HONGRIE ET DE L'ALLEMAGNE

(Traité de San-Stefano, art. II, III, IX, XII, XIII, XIV, XIX. Traité de Berlin, art. X, XXI, XXV, XXIX, XXXVIII, LII à LVII.)

Dans le paragraphe de l'Autriche-Hongrie, nous n'avons à mentionner aucune déception, mais une série d'avantages. Bella gerant alii! La Russie, si l'on en exceptait les satisfactions morales, n'a pas gagné la moitié de ce que l'empire voisin a acquis, sans s'exposer à aucun danger et pour avoir seulement réprimé une résistance locale. Je dois donc me borner, en suivant l'ordre de l'acte final, à numéroter les avantages obtenus par l'Autriche-Hongrie.

1° Concessions à l'Autriche-Hongrie. -a. Sur la proposition de lord Salisbury, le congrès de Berlin a adopté les dispositions ci-dessus insérées, relatives à la Bosnie, à l'Herzégovine et au district de Novi-Bazar. Il a été conclu, ultérieurement, une convention spéciale entre l'AutricheHongrie et la Turquie.

b. L'article XXIX de Berlin a pour objet de neutraliser et d'incorporer administrativement à l'Autriche-Hongrie le territoire maritime concédé au Monténégro. Le territoire maritime de Spizza, cédé par la Turquie, ne contient que trente-sept kilomètres carrés, mais il domine la position d'Antivari. J'ai eu occasion d'apprécier l'article XXIX dans le chapitre : Satisfaction du Monténégro.

Les difficultés relatives à la frontière du Monténégro ont fait naître aux nouveaux confins de l'Autriche une ques

SATISFACTION DE L'AUTRICHE-HONGRIE ET DÉ L'ALLEMAGNE 421

tion albanaise. Au mois de juin 1880, le Pester-Lloyd écrivait :

Les Albanais sont des alliés éventuels dont il faut bien se garder d'affaiblir la force dissolvante dans le milieu sud-slave: ils sont les Roumains du sud-ouest.

c. L'exécution des travaux destinés à faire disparaître les obstacles que les Portes de Fer et les cataractes opposent à la navigation, est confiée à l'Autriche-Hongrie. Les États riverains de cette partie du fleuve accorderont toutes les facilités qui pourraient être requises dans l'intérêt des travaux.

Les dispositions de l'art. VI du traité de Londres du 13 mars 1871, relatives au droit de percevoir une taxe provisoire pour couvrir les frais de ces travaux, sont maintenues en faveur de l'Autriche-Hongrie (article LVII).

d. La petite île et forteresse turque d'Ada-Kalè, située sur le Danube, entre les cataractes et les Portes de Fer, est tout près de la rive autrichienne. L'article III de SanStefano porte « Ada-Kalé sera évacué et rasé. » Le traité de Berlin n'a rien disposé au sujet de cette île.

e. Lors de la conférence de Vienne, en 1855, c'est l'Autriche, assure-t-on, qui aurait suggéré à Paris et à Londres d'éloigner la Russie des bouches du Danube. On affirma même que le baron de Prokesch, sous prétexte de visite à l'Exposition universelle, avait été envoyé spécialement pour porter cette suggestion'. Le traité de 1856 avait donné satisfaction à un désir qui, même s'il n'est pas né en Autriche, tournait à l'avantage de cette puissance.

Le traité de Berlin ramène bien la Russie sur le bas Danube; mais on verra que le cabinet de Vienne conquit bientôt, entre les Portes de Fer et Braïla, des avantages plus considérables auxquels il est permis de croire que ce pas rêvé pour la première fois à la conférence

cabinet n'a

célébrée en 1883.

1. L'Autriche et l'Allemagne dans la question d'Orient. Janvier 1856. Bruxelles.

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2° Drang nach Osten. Puisque nous sommes à l'extension austro-allemande vers l'Orient, nous devons retenir l'attention sur les faits qui s'y rattachent. Il est, d'ailleurs, dans l'ordre des choses de placer ici la satisfaction d'une puissance, dont le nom n'est pas prononcé dans les actes, mais qui a exercé une influence décisive sur le congrès. L'objectif final de Vienne et Pest est le même que celui de Berlin. Aussi leurs intérêts se confondent-ils, malgré quelque tiraillement dans les provinces austrohongroises qui luttent contre la germanisation.

Depuis le traité de Berlin, des fonctionnaires allemands ont été appelés à régénérer la Turquie. La presse de Berlin prend soin de nous expliquer ce que régénérer veut dire :

Il faudra que l'étranger s'habitue, après la première surprise, à se réconcilier avec notre politique. Les fonctionnaires allemands vont accomplir une mission d'humanité. Certes, ils ne pourront à eux seuls régénérer la Turquie; mais ils serviront à mettre en lumière le rôle que les Allemands peuvent jouer dans la péninsule des Balkans et en Asie Mineure. Il y a longtemps que nous répétons aux colons qui partent pour l'Amérique, qu'il y a, à deux pas de chez nous, des pays magnifiques qu'il faut conquérir à la civilisation.

Cette conquête allemande, nous entendons qu'elle soit pacifique, qu'elle soit faite par nos professeurs, nos architectes, nos fonctionnaires1.

De son côté, l'Autriche-Hongrie, le pionnier de l'Allemagne, n'est pas restée oisive depuis le traité de 1878: elle occupe la Bosnie, l'Herzégovine; elle a l'œil sur le pachalik de Novi-Bazar, en attendant d'y étendre le bras. On embauche déjà, pour ces provinces, des colons allemands jusqu'à Berlin. Dernièrement, à l'occasion du soulèvement de la Krivoschie, la Correspondance politique de Vienne donnait à entendre que la solution pourrait bien être d'y installer des colonies allemandes (août 1882). Les

1. Gazette nationale, août 1880.

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