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SATISFACTION DE L'AUTRICHE-HONGRIE ET DE L'ALLEMAGNE

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tribunaux bosniaques ont reçu l'ordre de faire leurs rapports à Vienne en langue allemande. En même temps, le cabinet de Vienne, outre de grands avantages commerciaux, a obtenu la jonction des chemins de fer austrohongrois avec la ligne qui fonctionne déjà de Salonique à Mitrovitza, jonction qui reliera la mer du Nord avec la mer Égée, Hambourg avec Salonique.

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3° Salonique. Est-ce à dire que l'Autriche-Hongrie soit déjà virtuellement à Salonique ou même qu'elle y arrive certainement un jour ? J'entends murmurer que c'est la force des choses, la logique de l'histoire, la loi de la pesanteur. N'allons pas si vite et si loin. Combien n'at-on pas déjà fait sur ce ton de prédictions qui ne se sont pas réalisées et qui ne se réaliseront pas, Dieu merci! Défions-nous grandement de ce que les gens lassés ou à courte vue proclament comme une poussée irrésistible, inéluctable, incompressible, pour n'avoir pas à lutter

contre.

Avec une grande Bulgarie et une petite Albanie on pourrait masquer bien des perpectives'. D'ailleurs la germanisation avance-t-elle ou recule-t-elle ? Il est incontestable qu'elle se tient, pour le moment, sur la défensive. En Hongrie, la lutte contre les Allemands est une guerre ouverte qui a reçu un nom, Deutschenhetze. Dans le royaume de Pologne, l'élément allemand se dénationalise là où il ne forme pas un groupe compact. Il est vrai que l'Allemagne a poussé très loin un avant-poste par la fondation. d'une université allemande et hégélienne en Boukovine 3; mais n'est-ce rien que la création à Zagreb (Agram) d'une université croate et catholique ? Il paraît aussi, d'après les dernières nouvelles, que la colonisation allemande en

1. Ou plutôt deux Albanie, la Guègue et la Toske.

2. Slaves et Teutons, par E. Marbeau.

3. De Paris à l'ile des Serpents, p. 139.

4. Voyage sentimental dans les pays slaves, chap. iv, p. 3.

Bosnie ne réussit pas en tout, si l'on se rapporte à une communication d'un agent d'Allemagne à Seraïévo. Ce consul déclare que les autorités autrichiennes favorisent de tout leur pouvoir les immigrants allemands. «Nos compatriotes, ajoute-t-il, ne doivent pas s'attendre à trouver « un accueil sympathique auprès des indigènes tant musulchrétiens '. »

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En somme, je le répète, le Drang nach Osten n'est pas fait 2.

III

SATISFACTION DE LA GRANDE-BRETAGNE

(Memorandum du 30 mai 1878. Convention du 4 juin 1878.)

Le traité de Berlin ne contient aucun article nominativement relatif à la Grande-Bretagne, pas plus qu'à l'Allemagne ou à l'Italie; mais les dispositions capitales de cet acte ont été adoptées en vue de donner satisfaction aux postulata du ministère anglais.

L'Ile de Chypre.

En dehors de l'instrument de Berlin et avant la réunion des plénipotentiaires, le cabinet de Londres s'était assuré un avantage ou du moins un succès de premier ordre par la convention relative à l'île de Chypre.

1. Dans le Nord du 18 septembre 1881.

2. A titre de simple curiosité, je transcris le passage suivant de la Correspondance américaine : « Les Américains croient au génie de la Grèce... Ils croient surtout à l'impérieuse nécessité d'empêcher le talon brutal du Tedesco, de l'Autrichien-Allemand, de salir les grèves de la mer Égée et le sable des jardins de Salonique. » (Juillet 1880.)

La convention pour Chypre produisit une amère déception avec une explosion de colère en France, en Italie et en Grèce. Aussi lord Beaconsfield a-t-il poussé un peu loin l'optimisme, la naïveté ou la bravade railleuse, lorsque, répondant au lord-maire, le 3 août 1878, il s'est écrié que « la France et l'Italie avaient vu avec plaisir que l'équilibre de la Méditerranée n'était pas dérangé. »

Si l'acquisition de Chypre a blessé le sentiment national en France, en Italie et en Grèce, elle n'a pas non plus assuré aux Anglais la sympathie des Turcs. En effet, faisant sienne la question des réformes en Arménie, la GrandeBretagne se met dans l'obligation d'exercer sur la Porte une pression que les Turcs ne supporteront que s'ils ne peuvent faire autrement, et à laquelle ils chercheront toujours à se dérober. En général, l'attitude prise par le ministère tory, depuis 1876, en Asie et en Égypte n'a pas concilié à l'Angleterre le monde musulman. Il est douteux qu'elle en tire, pour la domination dans l'Inde, les avantages qu'on avait en vue; la guerre contre les Afghans a été aussi très mal prise à Constantinople.

Route de Perse. - Où le gouvernement britannique a obtenu un succès incontestable et sans aucune chance contraire, c'est en Asie, c'est-à-dire en dehors de la sphère des intérêts allemands et austro-hongrois. Sans nous y arrêter davantage, rappelons que le tracé imposé à SanStéfano pour la frontière turco-russe a été modifié de manière à laisser à la Turquie toute la route commerciale. de Trébizonde en Perse et les sources de l'Euphrate. (Voir page 348 et le croquis afférent.)

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Les Lazes. Lord Beaconsfield et, plus tard, lord Salisbury s'apitoyent sur le sort d'une vaillante nationalité musulmane qui s'est montrée fortement opposée au régime nouveau. Son Excellence insiste pour que les principes et considérations ethnographiques, qui ont amené la haute

assemblée à concilier les intérêts divergents des nationalités de la Turquie d'Europe, ne soient pas perdus de vue en ce qui concerne la Turquie d'Asie.

Il est impossible de mieux parler et j'exprimais tout à l'heure un sentiment analogue. Il faut, cependant, remarquer que la Grande-Bretagne, si sensible à l'endroit des Lazes, a sacrifié impitoyablement, dans la Turquie d'Europe, et pour un prétendu intérêt anglais, la nationalité des Bulgares, qui est non moins intéressante. Le ministre tory s'est-il préoccupé des populations indigènes quand il s'est agi de reprendre à la Russie la route de Tabriz et les sources de l'Euphrate? Les principes et considérations ethnographiques seraient donc bons à invoquer ou à fouler aux pieds suivant qu'ils favorisent ou contrarient un intérêt anglais? Le successeur de M. Disraéli s'est-il aussi inspiré des principes et considérations ethnographiques, lorsqu'il a ameuté l'Europe et armé une force formidable pour soumettre aux Monténégrins orthodoxes les Albanais musulmans qui sont aussi une vaillante nationalité musulmane et qui se sont montrés fortement opposés au système nouveau. En Angleterre, les ministres changent; mais il y a quelque chose qui reste.

Bulgarie. La question bulgare est d'un intérêt tellement général que j'en dois renvoyer l'examen au Livre des Satisfactions de l'Europe.

Autres satisfactions. -Je rappelle comme un succès anglais autant qu'européen le remplacement des commissions russo-turques par des commissions européennes pour l'organisation de la Bulgarie et des autres provinces de la Turquie d'Europe. Cette concession faisait partie des arrangements anglo-russes du 30 mai 1878.

C'est sur la proposition de la Grande-Bretagne que la Bosnie et l'Herzégovine ont été attribuées à l'AutricheHongrie. Je ferai bientôt ressortir les dangers qui en ré

sultent, du moment qu'une grande Bulgarie ne vient pas intercepter la glissade vers Salonique.

Non seulement la Russie a rétrocédé à la Turquie les territoires de Bayazid et d'Alaschkerd; mais il est stipulé que Batoun sera un port essentiellement commercial.

Enfin la question des détroits a été maintenue dans le statu quo par voie de prétérition au traité.

C'est ainsi que le congrès de Berlin a réalisé de point en point le programme anglo-russe du 30 mai 1878.

Sur la politique britannique.

L'attitude du ministère

tory à l'égard des populations de la Turquie d'Europe a soulevé les clameurs de ceux qui se croyaient immolés sur l'autel du veau d'or britannique.

L'Angleterre, disait la Maritza, de Philippopolis, assourdit le monde entier de ses éternels cris: Nos intérêts! nos intérêts! comme si les autres nations n'avaient pas aussi leurs intérêts; comme si toute l'humanité n'était là que pour servir les intérêts anglais ! (Voir aussi page 157.)

Cette même attitude a été souvent, en Angleterre même, critiquée d'une manière assez précise; il va de soi que ces critiques étaient au point de vue des intérêts britanniques et non à celui du droit. A la réflexion, le public anglais revient de l'enthousiasme inspiré par une politique qui, même dans son parti pris, ne laisse pas que d'apparaître tortueuse et fantaisiste. Nous avons eu occasion de signaler déjà ce revirement de l'opinion à l'occasion des massacres de la Bulgarie. Il est incontestable qu'en prenant plus tard une attitude différente de celle des torys, M. Gladstone a été suivi et soutenu par l'opinion publique; mais c'était encore Tancred qui dirigeait la politique britannique pendant les assises européennes de 1878.

Assurément le congrès de Berlin a consacré d'excellentes choses; mais tout le bien se trouvait dans le traité de SanStefano. L'Angleterre s'est donné un mal infini pour sup

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