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nécessité, pour assurer la répartition et la perception des impôts conformément à la loi existante et aux règles de la justice.

Des ordres viennent d'être transmis à tous les vilayets pour l'exécution de ces mesures.

Des études sont entreprises en ce moment à l'effet d'établir un système de perception des dimes sur les fonds de terre basé sur la justice et propre à assurer la satisfaction des populations; de plus, on est à la recherche d'un mode fiscal uniforme en ce qui concerne les taxes. Il est décidé de réaliser au fur et à mesure ces réformes, ainsi que celles qui regardent l'organisation de la gendarmerie.

Que la divine Providence accorde de longs jours à notre auguste et magnanime Souverain pour la gloire de l'empire et le bonheur de ses sujets!

La Providence ne devait pas accorder de longs jours au malheureux Abd-ul-Aziz.

Ce qu'il y a de plus sérieux dans l'iradé qu'on vient de lire, c'est la remise des impôts arriérés et la réduction de la dîme au taux ordinaire.

Le firman de 1875 a plus de portée.

Cet acte du souverain contient plusieurs passages qui sont dignes d'attention. Nous aurons à y revenir; mais nous ferons remarquer que si ces documents n'ont pas toujours par eux-mêmes une grande valeur, si les réformes qu'elles édictent sont souvent à l'antipode de ce qu'il y aurait à faire, si les promesses qui y sont prodiguées méritent peu ou point de créance, si les améliorations les plus recommandables échouent en fait devant d'obscurs et insurmontables obstacles on y trouvera, cependant, des aveux à enregistrer sur l'inefficacité des réformes précédemment promulguées ou sur leur inexécution. Si, pour l'avenir, ils ne sont que des programmes, pour le passé et le présent, ce sont de véritables confessions.

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Dans ce manifeste comme dans tout ce qui émane de l'homme, il y a du mauvais et il y a aussi du bon. J'ai

1. Instructions du 19 novembre 1876 aux plénipotentiaires français. Livre jaune, page 261.

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la chance de pouvoir me dispenser ici de la critique que le lecteur va trouver un peu plus bas dans une note émanant d'une plume autrement autorisée; à moi la tâche de signaler, dans le même firman, les mesures qui seraient bonnes, non à proclamer seulement, mais à mettre en pratique :- Le ministre de la justice ne sera plus le président de la cour de cassation. Les magistrats, musulmans ou non, seront élus; on ne pourra pas les destituer sans cause légitime: ils auront une pension de retraite. - Les procès des non-musulmans entre eux ou avec des musulmans seront soustraits à la juridiction du Chéria'. Personne ne sera détenu sans jugement. Les mauvais traitements ne seront pas tolérés. On préviendra l'arbitraire dans la perception de la dime par les fermiers. Les percepteurs seront élus par toute la population; la police n'interviendra plus dans la perception. -Les titres des propriétés immobilières seront délivrés par la direction des archives. -Les zaptiés (gendarmes) seront choisis parmi les gens honnêtes. On réformera le système défectueux en vigueur pour les prestations applicables aux travaux d'utilité publique. - Libre accès de tous aux fonctions publiques et aux grades. L'impôt d'exonération du service militaire sera régularisé et allégé. Les dispositions testamentaires des non-musulmans seront respectées; l'administration n'interviendra pas dans la gestion des biens des mineurs. Il sera établi une règle pour qu'on puisse présenter au sultan, en sécurité, tous les renseignements et tous les vœux légitimes. - Enfin le sultan confirme les pouvoirs dont les patriarches et autres chefs spirituels sont revêtus pour les affaires de leurs communautés respectives, ainsi que pour le libre exercice de leurs cultes, conformément aux privilèges et immunités existants. On leur accordera toutes les facilités pour la construction et

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1. Le Chériu est la loi à la fois religieuse et civile des musulmans.

la fondation de leurs églises, de leurs écoles, et de leurs édifices nationaux.

A la lecture de ces concessions ou promesses, on est surtout étonné d'apprendre qu'après les chartes de 1839 et de 1856, dont il a été fait tant d'éclat, on en soit encore à promettre que les gendarmes seront choisis parmi les honnêtes gens et que ni les chrétiens, ni les Juifs ne jouissent pas encore de toutes les libertés, qui sont de droit naturel. Qu'a-t-on donc fait depuis le règne de Mahmoud? On a détruit l'ancien ordre de choses.

Les réformes que nous venons de viser ont le caractère de généralité que la jeune Turquie veut maintenir à ses actes. Malgré ce parti pris, on n'a pu faire autrement que d'insérer dans le firman une disposition dictée par les conditions agraires qui sont spéciales aux deux provinces, alors seules insurgées. Voici cette disposition doublement recommandable et en elle-même et à cause de son cachet particulariste : « Il n'existera plus désormais aucune distinction entre nos sujets, soit pour la possession des terres vacantes vendues par adjudication, soit pour la possession des terres et biens vendus par les particuliers. »

Nous avons loué, comme nous le devions, ce qui est louable; mais, comme nous ne voulons pas être confondus avec les satisfaits de 1839 et de 1856, nous faisons toute réserve en ce qui concerne la possibilité pour la Porte de mettre ces réformes en pratique par elle-même. Sans contester le moins du monde la bonne foi ni les bonnes intentions d'Abd-ul-Aziz, comme des autres sultans, nous tenons à déclarer que notre approbation est toute platonique.

V

LA NOTE DU COMTE ANDRASSY

La publication du firman surprenait les cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg pendant l'enfantement d'un programme de réformes spéciales aux provinces insurgées : elle les surprit; mais elle n'arrêta pas ce travail assez avancé, car la promulgation de la nouvelle charte ottomane fut trouvée hâtive et le contenu en fut jugé insuffisant.

Le programme particulariste avait été élaboré par le comte Andrassy: il fut envoyé au gouvernement russe qui l'approuva. Le cabinet de Berlin y adhéra également.

Le ministre des affaires étrangères de l'empereur François-Joseph adressa alors aux représentants de l'Autriche-Hongrie près les puissances signataires du traité de Paris (la Turquie exceptée), la communication suivante, qui est le programme même émané de l'alliance des trois empereurs :

Buda-Pest, le 30 décembre 1875.

Dès l'origine des troubles de l'Herzégovine, les cabinets européens intéressés à la paix générale ont dû fixer leurs regards sur des événements qui menaçaient de la mettre en péril.

Les trois cours d'Autriche-Hongrie, de Russie et d'Allemagne, après avoir échangé leurs vues à cet égard, se sont unies pour employer en commun leurs efforts d'apaisement.

Ce but semblait trop conforme au vœu général pour qu'invités à s'y associer par l'organe de leurs représentants à Constantinople, les autres cabinets ne se soient pas empressés de joindre leurs efforts aux nôtres.

Les puissances se sont mises d'accord pour user de toute l'influence dont elles disposent afin de localiser le conflit et d'en diminuer les dangers et les calamités en empêchant la Serbie et le Monténégro de participer au mouvement.

Leur langage a été d'autant plus efficace qu'il a été identique, et a, par conséquent, témoigné de la ferme volonté de l'Europe de ne point

permettre que la paix générale fût mise en péril par des entrainements irréfléchis.

Les cabinets ont, en outre, offert au gouvernement turc le bon office de leurs agents consulaires pour concourir à l'apaisement de l'insurrection. En poursuivant cette tâche, ils ont eu soin également d'éviter toute ingérence et de menacer la dignité, les droits et l'autorité du souverain.

Les délégués ne devaient pas s'ériger en commission d'enquête, ni se faire les avocats des vœux des populations insurgées. Ils avaient pour mission de leur ôter toute illusion quant à une assistance du dehors et de les exhorter à se disperser après avoir exposé leurs vœux et leurs griefs. Les puissances se réservaient seulement de soutenir, auprès du gouvernement turc, celles des demandes des insurgés qui devaient être trouvées légitimes. Cette action conciliante des cabinets attestait suffisamment l'intention amicale qui avait présidé à leurs bons offices. Elle témoignait qu'à leurs yeux il y avait une solidarité complète dans les intérêts de l'Europe, de la Porte et des populations insurgées, afin de mettre un terme à une lutte ruineuse et sanglante et d'en prévenir le retour par des réformes sérieuses et des améliorations efficaces, de nature à concilier les besoins réels du pays avec les légitimes exigences de l'autorité.

Tel est, en peu de mots, l'historique de l'action exercée par les puissances depuis que l'insurrection a éclaté.

Les cabinets ont été, jusqu'à ce jour, guidés surtout par le désir d'éviter tout ce qui aurait pu être interprété comme une ingérence prématurée de l'Europe.

Dans cet ordre d'idées, tous les cabinets se sont bornés à conseiller au gouvernement du sultan de ne pas s'en tenir aux seules mesures militaires, mais de s'attacher à combattre le mal par des moyens moraux destinés à prévenir le retour des perturbations futures.

En agissant ainsi, les cabinets avaient en vue de fournir à la Sublime-Porte l'appui moral dont elle avait besoin et de lui donner, en outre, le temps de pacifier les esprits dans les provinces soulevées, espérant que tout danger d'une complication ultérieure se trouverait ainsi écarté.

Malheureusement leurs espérances ont été déçues. D'un côté, les réformes publiées par la Porte ne semblent pas avoir eu en vue l'apaisement des provinces insurgées ni être suffisantes pour atteindre ce but essentiel. De l'autre, les armes turques n'ont pas réussi à mettre fin à l'insurrection.

Dans ces circonstances, nous croyons que le moment est venu pour les puissances de convenir d'une marche à suivre en commun, afin d'empêcher que le mouvement, en se prolongeant, ne finisse par compromettre la paix de l'Europe.

De même que les autres puissances, nous avons applaudi aux bienveillantes intentions qui ont inspiré les récents manifestes du sultan. L'iradé du 2 octobre et le firman du 12 décembre contiennent une

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