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assemblée à concilier les intérêts divergents des nationalités de la Turquie d'Europe, ne soient pas perdus de vue en ce qui concerne la Turquie d'Asie.

Il est impossible de mieux parler et j'exprimais tout à l'heure un sentiment analogue. Il faut, cependant, remarquer que la Grande-Bretagne, si sensible à l'endroit des Lazes, a sacrifié impitoyablement, dans la Turquie d'Europe, et pour un prétendu intérêt anglais, la nationalité des Bulgares, qui est non moins intéressante. Le ministre tory s'est-il préoccupé des populations indigènes quand il s'est agi de reprendre à la Russie la route de Tabriz et les sources de l'Euphrate? Les principes et considérations ethnographiques seraient donc bons à invoquer ou à fouler aux pieds suivant qu'ils favorisent ou contrarient un intérêt anglais? Le successeur de M. Disraéli s'est-il aussi inspiré des principes et considérations ethnographiques, lorsqu'il a ameuté l'Europe et armé une force formidable pour soumettre aux Monténégrins orthodoxes les Albanais musulmans qui sont aussi une vaillante nationalité musulmane et qui se sont montrés fortement opposés au système nouveau. En Angleterre, les ministres changent; mais il y a quelque chose qui reste.

Bulgarie.

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La question bulgare est d'un intérêt tellement général que j'en dois renvoyer l'examen au Livre des Satisfactions de l'Europe.

Autres satisfactions. -Je rappelle comme un succès anglais autant qu'européen le remplacement des commissions russo-turques par des commissions européennes pour l'organisation de la Bulgarie et des autres provinces de la Turquie d'Europe. Cette concession faisait partie des arrangements anglo-russes du 30 mai 1878.

C'est sur la proposition de la Grande-Bretagne que la Bosnie et l'Herzégovine ont été attribuées à l'AutricheHongrie. Je ferai bientôt ressortir les dangers qui en ré

sultent, du moment qu'une grande Bulgarie ne vient pas intercepter la glissade vers Salonique.

Non seulement la Russie a rétrocédé à la Turquie les territoires de Bayazid et d'Alaschkerd; mais il est stipulé que Batoun sera un port essentiellement commercial.

Enfin la question des détroits a été maintenue dans le statu quo par voie de prétérition au traité.

C'est ainsi que le congrès de Berlin a réalisé de point en point le programme anglo-russe du 30 mai 1878.

Sur la politique britannique. L'attitude du ministère tory à l'égard des populations de la Turquie d'Europe a soulevé les clameurs de ceux qui se croyaient immolés sur l'autel du veau d'or britannique.

L'Angleterre, disait la Maritza, de Philippopolis, assourdit le monde entier de ses éternels cris: Nos intérêts! nos intérêts! comme si les autres nations n'avaient pas aussi leurs intérêts; comme si toute l'humanité n'était là que pour servir les intérêts anglais ! (Voir aussi page 157.)

Cette même attitude a été souvent, en Angleterre même, critiquée d'une manière assez précise; il va de soi que ces critiques étaient au point de vue des intérêts britanniques et non à celui du droit. A la réflexion, le public anglais revient de l'enthousiasme inspiré par une politique qui, même dans son parti pris, ne laisse pas que d'apparaître tortueuse et fantaisiste. Nous avons eu occasion de signaler déjà ce revirement de l'opinion à l'occasion des massacres de la Bulgarie. Il est incontestable qu'en prenant plus tard une attitude différente de celle des torys, M. Gladstone a été suivi et soutenu par l'opinion publique; mais c'était encore Tancred qui dirigeait la politique britannique pendant les assises européennes de 1878.

Assurément le congrès de Berlin a consacré d'excellentes choses; mais tout le bien se trouvait dans le traité de SanStefano. L'Angleterre s'est donné un mal infini pour sup

primer des dispositions qui étaient d'une exécution plus facile que celles qu'on y a substituées, et plus favorables tant au bien général qu'à celui des populations intéressées. Il n'y avait, en réalité, que trois choses à modifier dans le traité de San-Stefano: l'enjambement sur la route de Perse, l'extension donnée à la Bulgarie de la conférence de Constantinople et la réglementation par la Russie seule du sort des chrétiens dans la Turquie d'Europe.

La passion et les préjugés ont entraîné les Anglais dans une autre voie. Le moulin à vent des Russes à Constantinople leur a fait perdre la tête. Ce n'est pas la première fois que cette grande nation, aux aspirations pratiques, subit des influences passionnelles et imaginatives. N'est-ce pas M. Canning qui a inspiré, arraché presque au gouvernement des États-Unis d'Amérique, la trop célèbre déclaration du président Monroë? c'est-à-dire une doctrine qui est devenue, dans le nouveau monde, l'arme la plus dangereuse contre les intérêts britanniques. L'acheminement des Allemands vers Salonique en sera le pendant dans le vieux continent.

Je terminerai cette appréciation de la politique tory au congrès de Berlin par ces paroles de M. Gladstone :

A présent on peut dire, pour la première fois avec raison, qu'au moment de cette grande crise dans l'histoire des destinées humaines, il aurait mieux valu, pour la cause de la justice et de la liberté, qu'il n'y eût pas de nation anglaise au monde.

IV

SATISFACTION DE LA FRANCE

(Traité de Berlin, art. LXII.)

Les succès remportés en 1878 par les idées anglaises et par les intérêts austro-allemands sont dus en grande partie, à ce que des circonstances, tant extérieures qu'intérieures, n'ont pas permis à la France d'exercer, pendant la dernière crise d'Orient, la prépondérance bienfaisante qui lui avait été dévolue en 1856.

L'attitude des plénipotentiaires français à Berlin a été beaucoup discutée; elle est encore l'objet d'appréciations très diverses et même passionnées. Le sentiment général était plus que lent à se rallier aux appréciations absolument élogieuses de M. Dufaure, qui était, d'ailleurs, resté dans les généralités. Je relève même, dans la presse étrangère, des jugements acrimonieux et qui peuvent avoir été dictés par des animosités étrangères aux affaires. Ainsi, dans une correspondance, d'ailleurs assez instructive, qu'une feuille de Vienne se fit adresser de Paris, le 25 juillet, on lisait :

Si l'on avait jadis reproché à M. de Chaudordy d'avoir déployé, à la conférence de Constantinople, une activité remuante pour servir la Russie, cette fois on a trouvé que M. Waddington a été trop complaisamment actif pour servir M. de Bismarck; qu'il prenait trop facilement sur lui toute la besogne ingrate... en formulant laborieusement de petits compromis, en rédigeant de petits amendements, etc.

C'est prendre les choses du petit côté. En examinant les actes de nos plénipotentiaires par le détail le détail n'est pas le petit côté, je formulerai des réserves d'une grande importance sur l'approbation quelque peu lyrique de

M. le Président du Conseil; mais il faut remarquer que les autres plénipotentiaires, à commencer par les grands leaders de la bataille, n'ont pas déployé, comme diplomates, une supériorité écrasante; tant s'en faut. Parmi les bévues qu'il était possible de commettre, il n'y en a pas de comparable à celle de lord Beaconsfield investissant la Russie du patronage officiel des Slaves, — ou à celle de lord Salisbury amenant l'Allemagne par la main sur la route de Salonique, en la priant de ne pas aller plus loin, et cela pour éloigner de Kavala ou de Dedeagatch les inoffensifs Bulgares. J'en passe et des plus fortes.

Grèce. La proposition formulée par M. Waddleston en faveur de la Grèce a été fort critiquée par les abstentionnistes de parti pris. L'affranchissement progressif Jes populations chrétiennes rentre absolument dans les idves que j'ai toujours préconisées et servies; il m'est din impossible de regretter que M. Waddington en alt pris l'initiative en faveur de la Grèce.

En revanche, il faut regretter les discussions Bust le parlement français a retenti sur la question des armes pour la Grèce et sur celle de la mission militaire prelete. Ni l'opposition ni le gouvernement n'y ont bride par sens politique, par la franchise et par la dignité : 2 yarat autre chose à dire et pas tant de choses à craindre. Los nement n'a justifié aucune des prévisions sinistres natis alarmistes fatiguaient le monde depuis trois années.

Pour expliquer l'intérêt que porte la Frante az inve loppement de la Grèce, le ministre a proclamé az Sebel le 14 décembre 1878, que le protectorat de la Grece est une tradition virante de la France. Rien de

à mon sens, il n'etait ni nécessaire, ni cipirtin de Ter enoncer, à la tribune ou ailleurs, qui pût être Lerprete contre les autres populations de la Turquie d'Eange. Le 7 juin 1878, le ministre des affaires étrangères Esat i la chambre des députés :

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