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lier les contrastes. Au lieu d'anéantir par la guerre et la révolution la prospérité des pays du Danube et des Balkans, elle doit se proposer pour but la régénération économique de la Turquie aussi bien que des deux principautés; c'est dans l'intérêt même de son commerce que l'Autriche doit poursuivre, quand la paix sera faite, une semblable politique...

L'aveuglement du ministère tory s'explique par la monomanie du spectre russe. Ce qui est incroyable, c'est que les Français et les Italiens se soient laissé prendre au spectre des Bulgares dans la mer Égée, jusqu'à croire que l'apparition d'un nouveau membre dans la famille maritime et commerciale de la Méditerranée était profondément menaçante pour tous les riverains, tandis qu'en réalité ce sont les ports français, italiens et le canal de Suez qui en auraient le plus profité.

Entre les Karpathes et les Balkans, l'Europe a montré un admirable sens en laissant sur le bas Danube se constituer une Roumanie assez forte pour garder les bouches du fleuve à la liberté du monde. La conférence de Constantinople aurait accompli la même œuvre de l'autre côté, c'est-à-dire confié le cours du Vardar aux Bulgares qui le peuplent. La grande Bulgarie vers le golfe de Salonique est le corrélatif de la grande Roumanie aux bouches du Danube. L'intervention anglaise a détruit cette combinaison politique. La question d'Orient s'en est déplacée : de Constantinople elle a passé à Salonique.

A mon sens, Constantinople n'est pas en danger, parce qu'entre elle et les grands États il y a une grande Roumanie et deux petites Bulgarie qui ont déjà commencé à se réunir. Mais, dira-t-on, ni vos Roumains, ni vos Bulgares n'empêchent les Russes de marcher sur Constantinople, et ils les y aideront. Sans doute, et nous verrons peut-être encore le légendaire Cosaque camper en vue du dôme de Sainte-Sophie; mais, après y avoir campé, il faudra, si je puis m'exprimer ainsi, qu'il décampe, parce qu'il y a quelque chose par derrière que la Russie ne

contraire, dans les séances de Berlin, comme dans la laborieuse négociation qui a suivi, le cabinet de Paris a maintenu le débat sur un terrain pratique et relativement équitable. Les Roumains ont peut-être assez d'esprit et de sens politique pour avoir compris que l'attitude du gouvernement français n'a pas peu contribué à leur permettre d'obtenir un quitus de l'Europe, tout en se garantissant du péril social et en sauvegardant leur nationalité.

Bessarabie. J'arrive à l'affaire de la Bessarabie. Ici, comme dans la question qui précède, les envoyés français se trouvaient en présence de l'inévitable. L'accord du 30 mai 1878 entre la Russie et l'Angleterre porte sous le no 3:

L'Angleterre regrette la cession de la Bessarabie, mais ne s'y oppose pas.

D'un autre côté. dès le 15 avril, à l'occasion d'une mission de M. Jean Bratiano à Berlin, l'organe le plus accrédité du prince de Bismarck déclarait sans détour que l'Allemagne ne peut sacrifier aux Roumains ses relations amicales avec la Russie. L'Autriche-Hongrie n'avait manifesté nulle intention de refuser cette satisfaction à son alliée de Reichstadt. L'Italie ne disait rien de positif. La Turquie était liée par le traité de San-Stefano. En réalité, dès avant que les plénipotentiaires fussent réunis à Berlin, la Bessarabie était perdue pour la Roumanie. Dans une telle situation, il était difficile de faire pour les Roumains autre chose qu'améliorer leur part dans l'échange imposé.

Privilèges et immunités. La motion que l'ambassadeur de France à Berlin, d'accord avec les plénipotentiaires austro-hongrois, a introduite en faveur de la principauté semi-indépendante des Albanais Mirdites, mérite un éloge sans réserve. (XIII° protocole in fine.) Les paroles du comte de Saint-Vallier et de M. de Haymerlé sont des

meilleures que le congrès ait entendues elles resteront au profit de toutes les populations autonomes ab antiquo : c'est une réserve en faveur du Liban,

La Sublime Porte s'engage à ne faire, pour le moment, aucun changement dans la montagne mirdite.

Émancipation des chrétiens.

L'abandon à la Russie

du soin d'affranchir les populations chrétiennes de l'Orient est un fait assez récent. Jusqu'au commencement du XVIIe siècle, c'est de l'Occident que ces populations attendaient la délivrance'. L'intervention en faveur de la Grèce, en 1828, a été un retour aux traditions.

Applaudissant aux actes partiels d'équité et de bonne politique qui ont rendu à elles-mêmes plusieurs populations de l'Europe orientale, la France se félicitera spécialement de l'indépendance de la Roumanie, l'un des rares pays qui ait hautement manifesté des sympathies pour nous à une époque où il n'y avait certes aucun profit à en attendre. Je ne voudrais moi-même mêler ici aucune perspective d'intérêt; mais le concours des Serbes et des Monténégrins a-t-il été inutile à la Russie? Qui pourrait affirmer que la Roumanie ne rendra pas un jour quelque grand service à la France?

L'ile de Chypre. - Au chapitre des déceptions, j'ai à inscrire le progrès de la domination anglaise dans la Méditerranée, c'est-à-dire l'occupation, vis-à-vis le Liban, de cette île, l'une des guérites du canal de Suez. Vains sont tous les efforts qui ont été tentés pour dissimuler le côté fâcheux de cette occupation. Il n'y a qu'une chose à dire on ne pouvait pas l'empêcher 2.

Protectorat religieux. J'arrive enfin, sur le terrain

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1. Revue des Deux-Mondes, du 1er mai 1878. M. Burnouf.

2. Livre jaune de 1878, pages 304 et suivantes.

du droit international positif, au seul article du traité de Berlin qui s'applique directement à la France; il est inutile d'en faire ressortir la précision et la gravité.

L'action en Syrie est, sous tous les régimes, sous la Convention comme sous une monarchie, la grande et persistante tradition diplomatique de la France. « L'histoire, écrivait naguère un Anglais quelque peu jaloux, n'offre pas d'exemple d'une politique suivie avec plus de persévérance que celle des Français en Syrie depuis dix siècles... Depuis les temps incertains où Charlemagne envoyait des ambassadeurs au calife Haraoun-al-Raschid jusqu'à l'heure actuelle, la France n'a jamais cessé d'exercer une influence sérieuse sur les destinées de la Syrie . » La question des Lieux-Saints, ou, pour mieux dire, le protectorat relgieux, est du même ordre et indissolublement lice à la même tradition dix fois séculaire. Sur ce termala, La France a obtenu à Berlin plus qu'un succès négatif

Il s'agit de la protection officielle, tant dis etiä itse tiques, pèlerins et moines, que de leurs établiranog my m gieux, de bienfaisance et autres dans les Lieve Szlar ar ailleurs. Le septième paragraphe de l'article LXII se tarmine ainsi :

Les droits acquis à la France sent expressément reserves, a las bien entendu qu'aucune atteinte ne sera portée an 80274 L LES les Lieux Saints.

I reste à constater la satisfaction qui fut eredam i Rome par les diverses dispositions da traite qui assreli aux catholiques, en Turquie et dans les Etats in regeodans eu takutaires, non seulement le libre exemite in mo mais le respect de leurs hierarchies et la libere les mas murcations avec leurs chefs spirituels. La bepetie mi secretaire d'Etat de Sant-Siege, que le proce apos me comman qua ollellement au ministre des LS Bu

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gères, montre que l'appui de la France avait été réclamé'. Ce n'est pas «< une besogne ingrate » d'avoir amené l'Europe à consacrer aussi solennellement la situation exceptionnelle de la France sur le terrain du protectorat religieux, alors que le congrès biffait impitoyablement une disposition analogue, mais bien anodine, imposée par la Russie à San-Stefano. Il faut noter que ce résultat avait été franchement et habilement préparé dès le premier jour que fut prononcé le mot congrès. En conséquence des réserves formulées alors par M. Waddington, je comptais bien sur une abstention je n'aurais pas osé espérer une reconnaissance formelle.

1. Livre jaune de 1878, p. 299.

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