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IV. Que la Sublime Porte pourra librement vendre et affermer des terres, terrains et autres propriétés en Chypre, appartenant à l'État et à la couronne ottomane (Arazii Miriyé vé Emlaki Houmayoun), dont le produit de vente ou affermage ne forme pas partie des revenus de l'ile mentionnés dans l'article III;

V. Que le gouvernement britannique pourra exercer, par le canal de ses autorités compétentes, le droit d'expropriation pour l'acquisition, à des prix convenables, des terres incultes et des terrains nécessaires devant servir aux améliorations publiques, ainsi qu'à d'autres buts d'utilité publique.

VI. Que, dans le cas où la Russie restituerait à la Turquie Kars et les autres conquêtes faites par elle en Arménie pendant cette dernière guerre, l'ile de Chypre sera évacuée par l'Angleterre, et la convention en date du 4 juin 1878 cessera d'être en vigueur.

Fait à Constantinople, le 1er juillet 1878.

Les négociations dont il vient d'être parlé avaient abouti avant la réunion du congrès. Le léopard britannique avait déjà étendu sa puissante griffe sur la belle île grecque, qui a été appelée l'une des guérites de l'Égypte, lorsque les plénipotentiaires européens délibérèrent sur les modifications à introduire dans le traité de San-Stefano. Le nom de Chypre ne fut pas prononcé à Berlin.

CONSIDÉRATIONS SUR L'ACTE DU 4 JUIN

La cession de Chypre est conditionnelle; il a été bien entendu qu'au jour où la Russie renoncera à ses conquêtes en Asie, les Anglais évacueront l'île de Chypre. A-t-il pu entrer dans l'idée de personne que la Russie pùt jamais consentir à évacuer Batoun, Ardahan et Kars, pour faire plaisir, en délivrant Chypre, aux Français ou aux Italiens, voire même aux Turcs ou aux Grecs? On se demande donc si l'article VI de l'annexe est une ironie ou une simple naïveté.

La convention du 4 juin 1878 réalisa bien le manifeste de Tancred et en même temps, à l'exception du point à prendre en Syrie, le programme dénoncé après coup par lord Derby l'île de Chypre était occupée, et elle le fut par des troupes indiennes.

Si la côte de Syrie échappa à la prise de possession méditée en mars 1878, il sera permis de l'attribuer à l'attitude prise par le gouvernement français. On n'a 'a pas oublié que, du premier jour où l'idée d'une réunion européenne fut mise en avant, M. Waddington avait nettement déclaré que la participation de la France était subordonnée à la condition que la Syrie, les Lieux-Saints et l'Égypte devaient rester en dehors de la discussion. Après une déclaration aussi catégorique, il a sans doute paru difficile à lord Beaconsfield de se faire attribuer, même en dehors du congrès, une possession nominativement exclue par la France; mais les apparences sont trompeuses.

A la vérité, le programme du congrès est resté « circonscrit aux affaires qui ont été l'origine ou la suite immédiate de la guerre dont le traité de San-Stefano a marqué le terme » le congrès n'a rien décidé, à sept, au sujet de la Méditerranée orientale; mais il a été pourvu au désideratum britannique, par une convention à deux. En même temps, la Grande-Bretagne n'a rien pris de la Syrie, laquelle, avec les Lieux-Saints de Palestine et d'Égypte, avait été d'avance frappée d'interdiction par la France; mais elle s'est fait attribuer une position qui domine à la fois la Syrie, la Palestine et l'Égypte.

Une autre visée anglaise dont on a aussi parlé, à savoir: occuper, à l'entrée des Dardanelles, l'île de Tenedos au lieu de Chypre, était peut-être plus grave, au point de vue européen, mais ce n'était pas directement blessant pour la France'.

1. Correspondance politique de Vienne. Lettre de Paris du 25 juillet 1878.

On l'a dit avec raison: il aurait fallu, avant de prendre Chypre, consulter la France et l'Italie. Du reste, la légitime irritation que la soustraction subreptice de cette île causa en France, en Italie et en Grèce, n'a pas été partagée par l'Allemagne qui, paraît-il, aurait été mise au courant du complot. Voici ce que dit, à ce sujet, le journal officieux Norddeutsche allgemeine Zeitung:

La prise de possession de l'île de Chypre par l'Angleterre est partout considérée avec raison comme une prise par la politique anglaise pour sauvegarder son intérêt et sa situation dans les parties de l'Orient que la Grande-Bretagne considère comme rentrant dans la sphère de ses intérêts et de son action.

Au point de vue de la civilisation générale et du progrès de la cultur en Asie Mineure, on ne peut que donner un plein assentiment à cette mesure.

Nous ne croyons pas nous tromper en admettant que notre gouvernement avait été averti à l'avance de la convention, sans qu'on l'ait invité à donner son avis.

J'ai été très frappé alors d'une exclamation que laissa échapper par devant moi un Anglais de distinction en apprenant la convention du 4 juin : « L'Angleterre a gagné quelque chose, s'écria-t-il ; alors la paix est faite. »

Ici je devrais apprécier la valeur intrinsèque de la convention du 4 juin; il faudrait discuter si elle est conforme au traité de Paris et préciser qu'elle n'engage pas les autres puissances de l'Europe; il y aurait également à en examiner la moralité. Peut-être arriverait-on à reconnaître, qu'au point de vue européen, la convention du 4 juin est impolitique, nulle et immorale. Pour le moment, je me bornerai à rappeler, après le comte de Carnarvon, quelle a été l'attitude de la Grande-Bretagne en 1853, c'est-à-dire à la veille de la guerre de Crimée : « Dans des circonstances qui n'étaient pas absolument dissemblables de celles qui nous occupent, a dit Sa Seigneurie aux lords, le 26 juillet 1878, l'empereur de Russie fit une offre au gouvernement de cette époque. Il offrait la Crète et

l'Égypte par un arrangement secret. » Lord Clarendon a répondu :

L'Angleterre ne désire pas d'agrandissement territorial et ne voudrait pas être partie à une convention préalable de laquelle elle retirerait un pareil bénéfice. Elle ne voudrait pas être partie à une entente qui devrait être tenue secrète aux autres puissances.

Le 15 avril 1856, la France, la Grande-Bretagne et l'Autriche garantissaient conjointement et séparément l'indépendance et l'intégrité de l'empire ottoman (art. 1o). Toute infraction au traité de Paris serait considérée comme un casus belli.

La convention anglo-turque du 4 juin 1878 sera-t-elle plus efficace?

QUATRIÈME PARTIE

LES SATISFACTIONS

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