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tenant à tous les cultes, nommés à l'élection et rééligibles tous les ans. Il y a aussi un conseil permanent où siègent les chefs de toutes les communions religieuses. Une sorte de chancellerie diplomatique est chargée des rapports avec les étrangers. Beaucoup d'affaires, qui étaient autrefois renvoyées à Constantinople, ressortissent maintenant au gouverneur général et à son conseil.

Ce changement tant vanté ne fut, en réalité, qu'un nouveau progrès de la centralisation administrative. En effet, on abolissait, pour y substituer une organisation arbitraire, l'ancienne division en Eyalets, laquelle avait généralement pour base le groupement naturel des populations suivant les traditions historiques et les races. L'observation en a été faite par l'ambassadeur austrohongrois à la conférence de Constantinople '.

Le 8 juin 1867, le droit de posséder des immeubles fut accordé aux étrangers, mais ceux qui en profitaient durent renoncer à quelques-unes des garanties personnelles stipulées par les capitulations ou consacrées par l'usage. Les anciens sujets ottomans, naturalisés à l'étranger, étaient exclus de cette concession.

Le 21 mai et le 18 juin de la même année, deux lois vinrent modifier le régime des nombreux immeubles dont la propriété foncière appartient aux mosquées ou au domaine public sous certaines conditions (Vakouf Emirié — Mevcoufé).

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Un Collège, desservi d'abord par des membres de l'Université de France, fut établi à Galata-Seraï et transféré ensuite à Gulhané. L'organisation primitive a été changée par la suite. La plupart des élèves sont musulmans, bulgares ou juifs. Les catholiques ou les Grecs n'y ont pas voulu entrer. Au mois de septembre 1869, il a été pu

1. Livre jaune de 1877, page 134 de l'appendice sur la loi des Vilayets. Voyez le jugement sévère, mais juste, de M. B. Brunswik, dans le Traité de Berlin annoté et commenté, page 72. Paris, Plon, 1878.

blié une loi sur l'instruction publique à tous les degrés. L'ancien grand conseil fut dédoublé en conseil d'État et haute cour de justice. L'organisation du conseil d'État, qui est du premier mai 1868, fut calquée sur celle de la France. Les musulmans y furent en majorité, mais il y eut un certain nombre de conseillers et de maîtres des requêtes pris dans les diverses communions chrétiennes et parmi les juifs. Les juges de la haute cour ont reçu une inamovibilité mitigée. Cinq sur treize ont été choisis parmi les non musulmans.

L'administration de la justice est très compliquée et donne lieu à beaucoup d'abus par suite de la co-existence des deux espèces de tribunaux - celui du cheriat, qui juge d'après la loi religieuse musulmane - et les tribunaux mixtes, où devraient être déférées toutes les causes intéressant des plaideurs de religions différentes et où sont applicables les nouvelles lois.

Il serait trop long de donner ici en détail l'organisation administrative de la Turquie. Nous renvoyons à l'ouvrage. publié par MM. Ubicini et Pavet de Courteilles'. Nous avons hâte, pour terminer, d'arriver à une solennelle discussion, qui a été ouverte en 1867 entre les grandes puissances, sur le meilleur mode à appliquer à la réforme politique et sociale de la Turquie. Nous entrons, par là, dans le vif des débats qui divisent encore aujourd'hui l'Europe.

1. État présent de l'Empire ottoman, 1 vol. in-8. Dumaine.

XVIII

DISCUSSION SUR LA MANIÈRE DE RÉFORMER LA TURQUIE

La question des réformes intérieures est de celles qui ont le plus vivement et le plus constamment préoccupé les cabinets européens depuis le règne de Mahmoud. Pendant les années 1866 et 1867, les principales puissances ont été amenées à formuler pour la première fois une opinion raisonnée sur le système administratif qu'il serait opportun d'appliquer dans les États du sultan. Tous les cabinets se proposent ostensiblement le même résultat, conserver la Turquie ; les opinions diffèrent sur les moyens d'y arriver. Nous indiquerons successivement quelles ont été les vues émises par la France, par la Grande-Bretagne, par la Russie et par l'Autriche.

L'opinion du gouvernement français est consignée dans un document important qui a été communiqué à Constantinople au mois de janvier 1867. M. de Moustier, alors ministre des affaires étrangères, recommandait à la Porte, outre des améliorations matérielles, l'application et le développement du hatti-humayoun de 1856. Il voit le salut de l'empire dans l'unification des éléments qui le composent sans distinction de race et de religion. C'est la fusion dans l'égalité des droits et des garanties. Ce système est formulé avec beaucoup de netteté dans l'Exposé de la situation de l'Empire du mois de novembre 1867:

Les engagements pris par la Porte envers l'Europe en 1856 et le souvenir des services que nous lui avons rendus nous donnaient certainement le droit de parler et d'être écoutés. Nous n'avons cessé d'indiquer comme base essentielle de ces réformes l'avènement définitif de tous les sujets de l'empire à une égalité réelle, ainsi que leur émancipation par la bonne organisation de la justice, de l'administration et de l'enseignement.

Persuadé qu'en Orient, malgré l'antagonisme apparent des races, tous les intérêts sont solidaires, animé d'ailleurs des sentiments d'équité et de haute impartialité qui président à toutes ses démarches, le gouvernement français n'a pas pensé que sa sollicitude dût se borner à provoquer une amélioration du sort des chrétiens; il n'a pas cru dévier de ses traditions séculaires en répétant que ce qui serait fait pour tous était en même temps ce qui profiterait le plus à chacun. Il a donc particulièrement insisté pour que le gouvernement du sultan ne négligeât rien de ce qui pouvait développer la prospérité des populations musulmanes parallèlement avec celle des autres populations de la Turquie et les faire participer au progrès rapide que les races chrétiennes sont appelées à réaliser sous le régime nouveau. De notables changements, nous l'espérons, sont à la veille de s'accomplir dans l'ordre économique et administratif.

Le ministre des affaires étrangères de France a confirmé ce point de vue devant la Chambre des députés, le 8 juillet 1868, en insistant sur la nécessité de la prédominance de l'élément musulman. Un avenir qui ne peut pas être éloigné, montrera si le système français d'alors est praticable. En tout cas, on voit clairement ce que le cabinet de Paris pensait à ce sujet en 1868.

Le gouvernement britannique a été, pendant l'ambassade de lord Redcliffe, le principal inspirateur du système qui a produit le hatti-cheriff de Gulhané en 1839 et le hattihumayoun en 1856. Le cabinet de Londres, sous les successeurs de lord Redcliffe, a laissé le premier rôle aux envoyés de la Russie et de la France; mais son action a continué de s'exercer dans le même sens que celle du cabinet de Paris.

Pour connaître le sentiment de la Russie, il faut remonter à un document qui était destiné à être représenté aux conférences de Vienne en 1855. C'est là, à notre connaissance, la première manifestation russe en faveur de la décentralisation. Si je n'avais pas déjà hérissé ce travail de trop de citations, j'y introduirais en entier le mémorandum de 1855 qui est un programme complet; mais je dois me borner à quelques extraits. Voici d'abord une partie du préambule :

Il y avait, sous l'ancien régime, des éléments constitutifs inhérents aux populations de l'empire ottoman, que la conquête avait légitimés et respectés, et qui ont résisté à la tyrannie et à l'anarchie de cette époque. C'étaient l'organisation communale et les franchises accordées par les souverains ottomans aux populations et à leur Église soit par stipulation consentie, soit sous la forme d'un acte spontané des conquérants.

Elles ont produit d'heureux résultats et des exemples frappants de développement agricole et commercial. Les pachas mêmes et les dérébeys, intéressés directement, comme ils l'étaient sous l'ancien régime, au bien-être de la province qu'ils exploitaient pour leur propre compte, ont respecté et favorisé des institutions et des franchises salutaires pour les populations.

La réforme, en exagérant, d'une part, sa tendance de centralisation et, de l'autre, en livrant la population à la merci d'une classe d'employés salariés, révocables et étrangers à la localité, a confondu les privilèges de la commune avec l'arbitraire qu'elle était appelée à supprimer.

Suit un projet en trente articles. Le huitième est ainsi

conçu :

La diversité des nations, religions et rites, les us, franchises et immunités locales devant être pris en considération dans l'organisation administrative particulière de chaque province de l'empire ottoman, le gouvernement s'appliquera à puiser dans chaque province les éléments administratifs, en se conformant aux vœux des populations et de manière à préserver chaque nation ou communion de l'oppression d'une autre nation dans l'ordre civil aussi bien que dans l'ordre religieux.

Le sens général du mémorandum est de conseiller la décentralisation et la diversité d'après la nature et les traditions. J'appelle l'attention sur ce dernier point, car, en Turquie comme dans beaucoup d'autres endroits, la manie toute moderne de l'uniformité a fait et peut faire encore autant de mal que la centralisation elle-même.

En réponse à l'exposé que le gouvernement français donna de ses vues en 1867, le gouvernement russe remit deux mémoires d'une haute importance, qui viennent compléter, mais qui ne doivent pas faire oublier celui de 1855, car c'est seulement dans ce dernier que le vice de l'uniformité est nettement signalé.

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