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de neutralisation n'ait pas été agréée pour parfaire la Belgique de l'Orient.

La Russie est redevenue riveraine du Danube. En considérant la chose au point de vue européen et en voyant que des prétentions exclusives ont surgi de la part du riverain supérieur, je ne crois pas qu'il y ait lieu de regretter que la Russie vienne renforcer de son poids la portion de l'élément riverain qui est en opposition avec ces prétentions exclusives.

Nous parlerons de la question administrative dans le chapitre suivant.

Bessarabie. La question de Bessarabie aurait pu aboutir à une combinaison préférable à celle qui a prévalu. Au point de vue danubien, la réclamation russe contient deux territoires très différents dans leurs rapports avec la navigation du fleuve. Entre le Pruth et le tchatal d'Ismaïl, le Danube n'est pas divisé : c'est un seul canal par où passe nécessairement toute la navigation, riveraine ou non, pour atteindre Galatz ou Braïla. En aval du tchatal d'Ismaïl, le territoire réclamé borde, non plus la voie enropéenne de navigation, mais seulement la branche de Kilia dont l'embouchure n'est pas navigable. Cette disposition n'indique-t-elle pas que, pour laisser intacte l'œuvre de 1856, l'Europe aurait dû demander à la Russie de renoncer au territoire situé entre le Pruth et le tchatal d'Ismaïl?

Grèce. En 1886, l'Europe s'est interposée entre la Grèce et la Turquie (voir page 407). Je ne suis plus à me demander s'il n'eût pas été préférable à tous les points de vue de laisser les parties vider elles-mêmes le conflit par les négociations ou par les armes.

II

QUESTION DU DANUBE 1

Reprenons la question du Danube où nous l'avons laissée page 445.

à la

La zone intermédiaire.

La commission riveraine,

instituée par l'article XVII du traité de 1856, avait signé à Vienne, le 7 novembre 1857, un acte de navigation et de police fluviale. Ledit acte, qui ne fut pas agréé par la conférence de Paris, édictait un régime uniforme pour tout le cours du Danube depuis le point où il devient navigable jusqu'à ses embouchures. Cette uniformité, contraire à la nature des choses, était foncièrement impratique. Qu'a de commun la batellerie de Donawerth avec la navigation maritime des embouchures ? Le traité de Berlin, malgré l'opposition des plénipotentiaires austro-hongrois, a fait disparaître l'anomalie (art. LV). En amont de Galatz, où s'arrête l'action européenne, et en aval des Portes de Fer, il établit une zone intermédiaire dont, les règlements seront en harmonie (non en conformité) avec les règlements établis par la commission européenne, pour la partie du fleuve comprise entre Galatz et la mer Noire. Les règlements pour la zone intermédiaire seront élaborés par la commission européenne, à laquelle on adjoindra, pour cette besogne spéciale, des délégués des États riverains de ladite zone. Ces États, riverains sont la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie.

1. Nous avons exposé cette question en détail dans la Revue du monde latin, tome II, page 5.

2. La conférence de Londres a étendu les pouvoirs de la commission européenne jusqu'à Braïla. Vide infra.

Notons, 1° que le traité de Berlin n'a pas spécifié par qui, une fois établis, ces règlements seraient appliqués : il n'a institué ni syndicat, ni commission mixte; 2o qu'à Berlin, pas plus qu'à Paris, il n'a été accordé à aucun riverain, sur quelque partie du fleuve que ce soit, ni une présidence, ni une voix prépondérante, ni un privilège quelconque. La question d'application demeurait donc soumise au droit commun qui régit invariablement la matière en Europe et en Amérique depuis qu'il existe des fleuves internationalisés, c'est-à-dire depuis 1815.

Délibération à Galatz. De 1879 à 1882, la commission européenne a discuté un projet pour projet pour les règlements prévus par l'art. LV de Berlin. Un délégué roumain y figurait comme membre de la commission européenne, des délégués serbe et bulgare y furent appelés. Une souscommission composée de trois délégués non riverains sur la zone intermédiaire, l'austro-hongrois, l'italien et l'allemand, présenta, par l'organe du dernier, un avantprojet qu'on peut qualifier de monstrueux. Ce projet instituait, pour l'application, une commission mixte, où elle faisait entrer avec la présidence et voix prépondérante, l'Autriche-Hongrie qui n'est pas du tout riveraine sur la zone intermédiaire. Autant valait déclarer franchement que le Danube ne devait plus être que le véhicule du Drang nach Osten. Le délégué roumain, colonel Pencovitch, invoquant le traité de Berlin, protesta contre la formation d'une commission mixte et fit constater qu'il ne prenait pas part aux délibérations y relatives. Je n'entrerai pas dans les détails d'une discussion stérilisée d'avance par l'opposition irréductible d'un membre de la commission européenne; mais je dois mentionner, de la part du délégué français, une intervention qui mit fin au débat. Cette intervention a été diversement appréciée; elle devait l'être. - Est-il à propos de s'associer à une œuvre mauvaise en soi pour, en l'améliorant, éviter un plus grand mal? —

M. Barrère laisse subsister l'intrusion du non-riverain et sa présidence; mais il lui retire la voix prépondérante. A la commission composée des trois riverains et du nonriverain, il a l'idée ingénieuse d'adjoindre un membre de la commission européenne.

La discussion fut close par l'adhésion que tous les délégués, excepté celui de Roumanie, donnèrent au projet Barrère. Inutile d'ajouter que M. Pencovitch refusa de signer l'acte.

La conférence de Londres.

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Au mois de février 1883, une conférence fut réunie à Londres à l'effet de statuer sur l'exécution de l'art. LV de Berlin. Quatre décisions y furent prises et consignées dans une convention signée le 10 mars 1883.

1° L'article 1° étend, avec raison, la juridiction de la commission européenne jusqu'à Braïla.

2° Nous avons signalé quelle influence funeste exerça sur ces négociations la nécessité d'obtenir de toutes les puissances la prolongation de la commission européenne. Les concessions de la France et de la Grande-Bretagne ne réussirent pas, cependant, à obtenir la permanence du syndicat européen la commission fut prolongée pour vingt et une années seulement.

Les deux stipulations qui vont suivre sont le prix de l'acquiescement donné à cette prolongation temporaire par l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Russie.

3o Les articles III à VI de la convention reconnaissent à la Russie, sous certaines conditions, la faculté d'améliorer et d'exploiter la branche de Kilia, de concert avec la Roumanie, là où cette dernière est aussi riveraine.

4° J'arrive à la grande affaire (articles VII, VIII et IX). Par suite de l'abstention de l'un des délégués, la conférence se trouvait en présence, non de l'acte collégial prévu à Berlin, mais d'une simple pièce diplomatique, le projet Barrère. Le plénipotentiaire austro-hongrois y proposa quelques

améliorations, dont la principale consiste à écarter de la commission mixte, pour éviter une double représentation, les délégués européens des puissances riveraines sur la zone: le comte Carolyi reprenait là une idée juste, qui avait été émise à Galatz par le délégué bulgare. (La présidence est maintenue au délégué de l'Autriche-Hongrie). Les autres concessions portent sur le mode de sectionnement fluvial et sur la nomination de certains employés. Avec ces modifications, le règlement d'exécution fut adopté et annexé à la convention de Londres.

Notons que le plénipotentiaire désigné par la Roumanie, le prince Ion Ghica, et M. Pencovitch avaient refusé d'assister à la conférence dans une position subalterne que l'ambassadeur d'Allemagne avait proposé de leur infliger. Tel étant le motif de leur abstention de la conférence, on peut dire qu'ils y ont brillé par leur absence: præfulgebant eo ipso quod non videbantur. Le gouvernement roumain refusa naturellement d'adhérer à la décision de la conférence de Londres et motiva son refus dans un office fortement motivé de M. D. Stourdza '.

Après la conférence. Au nom de la conférence, le cabinet de Londres notifia officiellement au gouvernement roumain de se ranger à la décision des plénipotentiaires européens, mais aucune mesure n'a été proposée jusqu'à présent pour l'y contraindre.

Au point de vue de la navigation, il n'y a pas péril en la demeure. La zone intermédiaire serait-elle donc une voie à ouvrir? elle est couverte de cheminées à vapeur, de voiles, de rames. L'Autriche-Hongrie profite de cette navigation dans la plus large mesure; elle en tire de gros bénéfices directs et indirects. Le cabinet de Vienne peut donc attendre; mais ne dit-on pas qu'il regarde l'exécution

1. Toutes les pièces relatives aux fleuves internationaux et à leur histoire depuis la fin du dernier siècle se trouvent dans Cestiunea Dunarei. Acte si documente, Bucuresci, 1883, XVI-912 pages, in-4.

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