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• avantage, déterminé à passer en Amérique et à « s'établir à Rio-Janeiro jusqu'à la paix géné • rale ; mais que ne voulant pas laisser le pays • sans gouvernement, il nommait pour la durée « de son absence une régence présidée par le marquis d'Abrantes et composée du lieute « nant-général François de Cunha de Menzès, du principal Castro régidor de justice, de Perro « de Melha Bregnez et du lieutenant-général Fran⚫ çois-Janvier de Norounha; puis, comme suppléant, le marquis d'Olhao, et pour secrétaires « don Antoine Sulter de Mendoza, et don Mi« guel de Pereira Forjaz. » A cette proclamation, donnée au palais de Notre-Dame-d'Andujar le 26 novembre, était jointe une instruction qui préscrivait à ces régens du royaume de prêter entre les mains du patriarche le serment de maintenir les lois, de conserver aux nationaux leurs priviléges, de défendre les personnes et les propriétés, d'assurer la paix au pays, de bien accueillir les troupes de l'empereur des Français, de les garantir de toute insulte et de vivre en bonne intelligence avec elles.

Le prince régent, croyant avoir ainsi pourvu à tout, partit le 27, emportant avec lui le trésor, l'argenterie, les effets les plus précieux, tant'de lui que de ceux qui le suivaient. Son embarquement eut

lieu au quai de Belem, sans autre escorte que l'intérêt général, sans autres cris que ceux de la douleur publique ; tous les vœux, tous les regrets, toutes les espérances accompagnèrent la famille royale émigrante. Ce départ affligeait un peuple. fidèle, doublement inquiet et de l'arrivée des Français et de la présence d'une flotte russe ; car l'amiral Siniavin, qui la commandait, obéissait à un monarque allié de Napoléon.

Siniavin, échappé aux escadres anglaises de la Méditerranée et à celles de blocus des côtes de l'Océan, s'était en effet réfugié dans le Tage avec neuf vaisseaux de ligne et deux frégates.

Cette émigration du prince régent, dont la présence à Lisbonne n'eût pu sauver le royaume, et qui, par ce départ, lui conservait du moins ses colonies que les Anglais eussent occupées ou rendues indépendantes, ne fut connue du général français qu'à Sacavem, où il reçut des députations de la régence, du conseil de la ville et du commerce, qui lui apprirent l'embarquement de la famille royale. Les députés de la régence lui ayant en outre peint comme redoutable la fermentation publique, il les en déclara responsables et les chargea d'une proclamation dans laquelle il annonçait les bonnes dispositions de l'empereur pour la nation portugaise.

Junot, ayant enfin rassemblé quinze à seize cents hommes d'infanterie et une trentaine de cavaliers portugais de service à Sacavem, se hâta. d'arriver au but de sa pénible course; ce fut à la tête de cette faible troupe qu'il y entra, pour y attendre son armée, qui ne formait qu'une longue procession de corps et d'hommes isolés, depuis la frontière du Portugal jusqu'à sa capitale.

Un vent peu favorable retenait encore en vue la flotte royale* quand, le 30 novembre, Junot parvint à Lisbonne; mais ce même jour, le vent ayant changé, elle mit à la voile. Le général français, furieux de manquer ainsi sa proie et apercevant un bâtiment retardataire qui s'éloignait à toutes voiles, courut à la tour de Belem et y chargea lui-même une pièce de canon qui fut pointée contre ce navire; dernière et honteuse insulte au prince qui l'avait si bien traité durant son ambassade.

Cependant l'arrivée d'une troupe si faible et si délabrée fit succéder dans l'ame des habitans de Lisbonne une méprisante pitié aux craintes exagérées qu'avaient inspirées son approche, et la situation des Français aurait été des plus dangereuses si le gouvernement, pour se conformer

* Voyez la pièce justificative C.

aux instructions du régent, n'eût chargé le comte de Novion, chef de la garde de police, de veiller à leur sûreté.

Novion, issu d'une ancienne et honorable famille de robe, membre du côté droit de l'assemblée constituante, était du petit nombre de ces émigrés qui eussent voulu le bouleversement de leur patrie et le supplice de tous les révolutionnaires. Venu à Lisbonne pour y chercher fortune, sa haine prononcée contre la France le fit placer à la tête de cette troupe de surveillance fondée et organisée par don Rodrigue de Souza. Cet homme avait été déjà séduit par Junot lors de son ambassade, comme le furent aussi le marquis d'Alora et quelques autres portugais ; et devenu ainsi protecteur de ceux-là même qu'il eût précédemment immolés. Ce fut par ses soins que la garnison de Lisbonne, très peu considérable, mais suffisante pour enlever Junot et ce qui l'entourait, demeura consignée dans ses casernes jusqu'au moment où le général eut un assez grand nombre de soldats pour leur faire occuper tous les postes nécessaires à sa propre sûreté.

Cette situation très critique dura près de quinze jours, pendant lesquels l'armée française ne dut son salut qu'à la fidélité de la régence pour les ordres qu'elle avait reçus du prince, sa victime.

Cette régence était respectée du peuple et cela seul le maintenait dans le calme, malgré l'indignation dont il était animé ; aussi Junot ne se départait-il pas encore de la modération qu'il avait d'abord annoncée.

Cependant les troupes françaises arrivaient successivement; c'était une longue file de soldats maigres, estropiés, affamés, déguenillés, marchant par petits groupes, quelquefois isolément; et quand ils furent réunis, on fit évacuer aux Portugais les postes et ports du Tage; des garnisons françaises les y remplacèrent. On caserna les soldats dans les couvens, et on leur fit occuper les trois stations de Santarem, Abrantès et Almeida, tandis que Setubal, Elvas, Valença, San-Iago et Porto étaient occupés par des corps espagnols; puis Junot, levant le masque dont il avait cru devoir se couvrir, passa le 13 décembre une revue durant laquelle l'étendard portugais fut remplacé sur la forteresse maure par le drapeau tricolore.

Cet acte inattendu et si humiliant pour la pation portugaise produisit dans tous les esprits une vive fermentation, sans exciter néanmoins une lutte sérieuse, Junot continuant à laisser exercer l'action des lois au nom du souverain légitime et cachant avec soin les stipulations du traité de Fon

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