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Les études de ce genre sont certainement une source de jouissances morales, non sans âpreté peut-être, mais des plus vives et des plus pures pour tout homme qui pense. A vivre ainsi dans le passé et dans l'avenir on ressent une saine et forte impression de fierté, en s'éloignant des foules qui suivent lâchement tous les courants d'un temps dévoyé, qui acceptent ou acclament successivement toutes les erreurs et toutes les violences; on éprouve un soulage-ment intime qui ravive le courage en assistant dans la solitude et le silence du cabinet aux triomphes passés et aux revanches futures du droit aujourd'hui vaincu.

Mais il n'y a pas là qu'un repos et un charme pour l'esprit. Ces études s'imposent à toutes les époques de transition qui ont la conscience des maux dont elles souffrent. Elles sont une nécessité absolue pour les nations en danger qui veulent vivre. Par malheur notre époque qui souffre de tant de maux et notre nation qui est dans un danger si évident ont une tendance déplorable aux expédients. La longue habitude de souffrir et de voir le mal triompher sans cesse, l'ignorance du passé vrai, l'indolence, la peur, et, disons-le, la lâcheté trop générale du parti des honnê-tes gens, leur ont inspiré un certain éloignement pour les principes vrais, sûrs, qui ne pactisent pas avec les maux régnants. Que d'hommes, et des meilleurs, s'effraient quand on leur parle de retour aux principes et de restauration du droit! Combien repoussent cette idée comme une utopie dångereuse ou au moins irréalisable !

C'est que beaucoup d'honnêtes gens, sans même s'en rendre compte, sont atteints d'un des maux de nos temps. Les uns craignent de troubler leur repos et leurs jouissances; les autres ont des liens d'intérêts ou d'affection avec des hommes dont ils détestent les actes et le parti; d'autres se laissent gagner par quelque sophisme à la mode; beaucoup sont d'une ignorance fâcheuse. Ces diverses causes font qu'on se contente trop d'écarter les ruines qui s'amoncèlent chaque jour, ou même simplement d'en détourner les regards, au lieu de chercher comment on devra rebâtir l'édifice. On va jusqu'à prendre ce découragement pour de la prudence, cette lâcheté pour de la sagesse, et on reste à contempler inactif la révolution qui passe en accomplissant son œuvre de destruction.

Voilà comment notre époque s'attache aux expédients et repousse les principes. Il est certain pourtant que si on rejette les principes pour se contenter de simples palliatifs, on verra de plus en plus, aujourd'hui, s'accumuler les ruines et que demain, on sera impuissant à rien édifier à leur place.

Il en est de l'enseignement comme de tout le reste.

Le présent travail, qui se rattache à des études plus générales sur le génie, les traditions de la France et les réformes dont elle a besoin, concerne exclusivement l'instruction publique aux diverses époques de notre histoire.

Tout le monde, aujourd'hui, parle d'instruction et d'enseignement, mais peu de gens ont des idées un peu nettes sur ce point. On gémit généralement de ce qui se passe, on maudit les hommes coupables des violences impies que subit la France; mais il est rare qu'on entende formuler une idée juste, utile et pratique. Parfois même on entend les plus honnêtes gens, les plus hostiles aux idées et aux pratiques du jour, émettre les opinions les plus surprenantes, et que M. Ferry ne désavouerait pas.

La cause première de tout cela est surtout que notre siècle tout entier a vécu dans le faux en ce qui concerne l'enseignement, et que les générations se sont succédé, depuis cent ans, sans avoir jamais vu pratiquer les vrais principes qui doivent dominer cette matière. Les Français d'aujourd'hui parlent trop souvent d'enseignement comme d'hébreu ou de sanscrit. Il ne se doutent pas des conditions essentielles qui ont été si longtemps et qui doivent être les siennes dans notre pays.

En traitant de l'enseignement, je ne prétends pas étudier ce sujet d'une manière complète. Je m'occuperai seulement de la part qu'y a prise l'initiative privée et du rôle que l'Etat y a joué, en d'autres termes, du régime légal de l'enseignement, des questions de liberté ou de monopole qui ont tant agité la France et qui sont aujourd'hui pour elle des questions de vie ou de mort. D'autres étudieront les programmes et les parties pédagogiques. Cette matière est vaste et complexe comme toutes celles qui touchent à la vie sociale et politique des peuples.

Avant d'aller plus loin, il faut s'entendre sur un point important. Je n'écris pas pour des athées ni pour des sectaires; cela est utile à dire aujourd'hui. Je m'adresse à un peuple chrétien, qui est né du christianisme, qui en a vécu pendant quatorze siècles et qui, malgré tous les efforts contraires, malgré ses préjugés et ses erreurs, en est resté · profondément imbu; je m'adresse aux 37 millions de catholiques et aux six cent mille protestants qui forment la nation française. Je m'adresse aussi aux juifs sincères dans leur religion. Si j'exclus les athées et les sectaires, c'est que les uns ont une lacune dans l'intelligence, et que les autres, déterminés à faire le mal de propos délibéré, ne sont accessibles à aucune considération de justice ni de vérité.

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Le Génie et les traditions de la France. L'enseignement national depuis les temps les plus reculés. d'enseignement et l'abstention de l'Etat. gations enseignantes.

les Ecoles.

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La liberté Les congré- Les Universités, les Collèges et

§ I.

L'enseignement en France jusqu'à la Réforme de Luther.

I.

Chez les peuples chrétiens, l'éducation et l'instruction ont toujours eu pour but de donner à l'homme une connaissance vraie et solide de Dieu, de la religion et de lui-même, de lui faire apprendre et aimer les devoirs qu'impose cette triple connaissance: fidélité à Dieu et à l'Eglise jusqu'à la mort, dévouement à la famille et au pays, charité envers tous les hommes, respect et obéissance à toute autorité légitime; de lui enseigner les langues, l'histoire et les sciences comme moyen d'arriver à une connaissance complète, à une pratique exacte et fidèle de ces devoirs.

Quel doit être l'esprit de l'enseignement et à quelle inspiration doit-il demander sa lumière et sa force ? Saint Bernard, cet homme extraordinaire, ce conseiller des papes et des rois, répond à cette question dans une instruction sur les caractères de la science.

Il en est, dit-il, qui veulent savoir uniquement pour savoir; c'est curiosité.

Il en est qui veulent savoir pour qu'on admire leur science; c'est vanité.

Voilà la science selon le monde.

Il en est d'autres qui étudient pour édifier les hommes; c'est charité.

Il en est enfin qui étudient pour être édifiés eux-mêmes, et c'est prudence. (In cantic. serm. XXXVI).

Voilà la science selon la foi. Voilà la mission de ceux qui enseignent et le devoir de ceux qui étudient.

La science selon le monde, qui trop souvent, à notre époque, prétend être indépendante, c'est-à-dire s'appuyer uniquement sur la raison ou plutôt sur les sens de l'homme, devient par là même une cause d'aveuglement, d'erreur et de perdition. En rejetant de la science tout ce qui échappe au regard et aux sens, on se condamne forcément à

tourner dans un cercle très restreint et à chercher la vérité et les causes premières dans la matière, où elles ne sont pas. Les prétendus savants positivistes ou matérialistes n'ont qu'une science tronquée et fausse. Ils sont en outre fort illogiques en prétendant s'appuyer sur la raison. La raison nous dit en effet, comme la foi, qu'il y a tout un monde qui échappe à l'examen de nos sens..

En distribuant les sciences humaines, l'enseignement catholique ne perd pas de vue que l'homme est citoyen de deux mondes et qu'il a deux existences, l'une pour un temps, l'autre pour l'éternité. Au lieu de réduire sa destinée aux limites de la vie mortelle, comme le fait l'enseignement incrédule, il montre dans cette destinée ce qu'il y a réellement un voyage et une patrie. Il donne au voyage ce qu'il lui faut pour être heureux et aboutir au port; il indique la voie et éclaire les périls dont elle est semée. L'enseignement incrédule cache le port où nous sommes appelés, il égare nos pas, il multiplie les dangers de la route et rend à peu près impossible qu'on ne sombre pas à l'un de ses écueils.

II.

L'Eglise a reçu de N.-S. Jésus-Christ la mission d'enseigner. Elle est, en outre, mère spirituelle de tous les chrétiens. Elle a donc, par sa mission et par son caractère, le devoir et le droit d'enseigner la vérité, de développer dans l'esprit de tous ses enfants le germe de vérité religieuse qu'elle y a déposé.

Aussi, à toutes les époques, l'Eglise a fait un devoir à ses pasteurs d'enseigner la religion et de développer, par un enseignement scolaire, les principes qu'elle a mission de transmettre.

Lors de sa fondation et de la séparation des apôtres, l'Eglise a trouvé le monde soumis à Rome, dont les principes sur l'autorité paternelle assuraient la liberté complète d'enseignement au père de famille. Le témoignage positif de Cicéron, reproduit par M. l'abbé Crozat dans son excellent Essai des droits et des devoirs de la famille et de l'Etat en matière d'enseignement, ne saurait laisser de doute à ce sujet. M. Troplong est dans une erreur évidente, en soutenant que l'Etat romain était resté maître de l'enseignement. L'enseignement était libre, sous la surveillance et l'autorité des Censeurs, comme il l'était dans l'ancienne France, sous l'autorité des Parlements. (V. Crozat, pp. 23 et s.)

Julien l'Apostat est le premier empereur romain qui ait porté atteinte à cette liberté. Il interdit aux chrétiens l'en

seignement des lettres; il soumit ceux qui voulaient enseigrer à l'examen de la curie, et se réserva de confirmer leur nomination. Cette nouveauté, inspirée à son auteur par sa haine contre le christianisme, tomba avec Julien.

Après cet empereur, la liberté absolue ne fut limitée, sous Théodose le Grand, que par l'approbation de la Curie. Cette mesure résultait de la nécessité de protéger contre l'enseignement païen les écoles publiques et privées de l'Empire devenu chrétien.

Pendant les premiers siècles, l'Eglise, décimée par les persécutions, ne pouvait songer à ouvrir des écoles. Lorsque le christianisme s'assit sur le trône, elle trouva dans les écoles établies en dehors d'elle des ressources suffisantes pour l'éducation de la jeunesse. Son rôle devint beaucoup plus actif, à cet égard, chez les peuples nouveaux sortis de l'Empire romain.

III.

Dans la Gaule, particulièrement, le génie chrétien de l'enseignement a éclaté dès les temps les plus reculés.

A l'époque de saint Martin de Tours, disciple de saint Hilaire (374), il y avait déjà une école dans son monastère, et Sulpice Sévère cite un grand nombre de savants qui en étaient sortis. Le monastère de Lérins eut également une école fameuse qui, au ve siècle, fournit beaucoup d'hommes remarquables. Vers l'an 395, saint Honorat avait établi dans son monastère une école pareille à celle de Lérins.

Les écoles anciennes des villes ou des particuliers avaient été détruites, lors des invasions barbares. Le Concile de Vaison, en 539, exhorta vivement les prêtres à en fonder de nouvelles près de leurs églises. Ce fut, dans la Gaule, un mouvement immense et une tradition constante. Les Evêques, les moines, les simples prêtres, ont seuls, à l'époque des invasions et de la destruction de l'Empire romain, gardé le dépôt des connaissances humaines, des sciences et des lettres de l'antiquité; eux seuls pouvaient le transmettre. Pendant longtemps, par le fait des circonstances, l'Eglise eut chez nous le monopole de l'enseignement. Ce n'est pas là le moindre des services rendus par elle au monde moderne, qu'elle a formé au point de vue intellectuel autant qu'elle l'a matériellement aidé à sortir du chaos barbare.

Les Evêques, les moines et les prêtres furent à la fois les défenseurs et les protecteurs des cités, leurs magistrats les plus capables, les seuls instituteurs des peuples nouveaux, et les propagateurs de la foi qui allait devenir la base de toutes les institutions politiques et sociales de l'Europe.

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