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partant du Pruth, entre Séova et Hush, passerait au nord du lac Salsyk et s'arrêterait au-dessus du lac Albédiès.

MM. les Plénipotentiaires de la Russie, obligés, disent-ils, de s'assurer de la position qui en résulterait pour les colonies de Bulgares et de Russes établies dans cette partie de la Bessarabie, demandent à remettre la suite de la discussion à la prochaine séance.

Le Congrès adhère : mais MM. les Plénipotentiaires de la France et de la Grande-Bretagne établissent que la proposition à laquelle ils se sont ralliés, dans un esprit de concorde, constitue, sous tous les rapports, une concession dont l'importance est attestée par l'étendue du territoire compris entre Chotyn et Hush, et ils expriment la conviction que cette concession sera pleinement appréciée par MM. les Plénipotentiaires de la Russie.

M. le comte Orloff rend témoignage des bonnes dispositions que MM. les Plénipotentiaires de Russie rencontrent, à leur tour, de la part des autres membres du Congrès, et il ajoute qu'en demandant de pouvoir soumettre à une étude particulière la proposition qui leur est faite, ils n'ont en vue d'autre but que celui de chercher à la concilier avec les exigences locales.

Le Congrès passe à l'examen des propositions relatives à l'organisation des Principautés.

M. le comte Walewski fait remarquer qu'avant de toucher à ce point important de la négociation, il est indispensable de délibérer sur une question qui est dominante, et à la solution de laquelle se trouvent nécessairement subordonnés les travaux ultérieurs du Congrès à ce sujet cette question est celle de savoir si la Moldavie et la Valachie seront désormais réunies en une seule principauté, ou si elles continueront à posséder une administration séparée. M. le premier Plénipotentiaire de la France pense que, la réunion des deux provinces répondant à des nécessités révélées par un examen attentif de leurs véritables intérêts, le Congrès devrait l'admettre et la proclamer.

M. le premier Plénipotentiaire de la Grande-Bretagne partage et appuie la même opinion, en se fondant particulièrement sur l'utilité et la convenance à prendre en sérieuse considération les vœux des populations, dont il est toujours bon, ajoute-t-il, de tenir compte.

M. le premier Plénipotentiaire de la Turquie la combat. Aali-Pacha soutient qu'on ne saurait attribuer à la séparation des deux provinces la situation à laquelle il s'agit de mettre un terme; que la séparation date des temps les plus reculés, et que la perturbation qui a régné dans les Principautés remonte à une époque relativement récente; que la séparation est la conséquence naturelle des mœurs et

des habitudes, qui diffèrent dans l'une et l'autre province, que quelques individus, sous l'influence de considérations personnelles, ont pu formuler un avis contraire à l'état actuel, mais que tel n'est pas certainement l'opinion des populations.

M. le comte de Buol, quoique n'étant pas autorisé à discuter une question que ses instructions n'ont pas prévue, pense, comme le premier Plénipotentiaire de la Turquie, que rien ne justifierait la réunion des deux provinces. Les populations, ajoute-t-il, n'ont pas été consultées, et, si l'on considère le prix que chaque agglomération attache à son autonomie, on peut en déduire à priori que les Moldaves, comme les Valaques, désirent avant tout conserver leurs institutions locales et séparées.

Après avoir développé tous les motifs qui militent pour la réunion, M. le comte Walewski répond que le Congrès ne peut consulter directement les populations, et qu'il doit nécessairement procéder à cet égard par voie de présomption. Or, dit-il, tous les renseignements s'accordent à représenter les Moldo-Valaques comme unanimement animés du désir de ne plus former à l'avenir qu'une seule principauté ce désir s'explique par la communauté d'origine et de religion, ainsi que par les précédents qui ont mis en lumière les inconvénients de l'ordre politique ou administratif qui résultent de la séparation; l'union étant sans contredit un élément de force et de prospérité pour les deux provinces répond à l'objet proposé à la sollicitude du Congrès.

M. le premier Plénipotentiaire de l'Autriche ne croit pas pouvoir accorder une foi entière aux informations sur lesquelles se fonde le premier Plénipotentiaire de la France. Il pense d'ailleurs que l'opinion du premier Plénipotentiaire de la Turquie, mieux placé qu'aucun autre membre du Congrès pour apprécier les véritables besoins et les vœux des populations, mérite d'être prise en considération particulière; que, d'autre part, les Puissances sont avant tout engagées à maintenir les priviléges des Principautés, et que ce serait y porter une grave atteinte que de contraindre les deux provinces à se fondre l'une dans l'autre, puisque au nombre de ces priviléges se trouve avant tout celui de s'administrer séparément. Il ajoute que plus tard, et quand on aura constitué dans les Principautés une institution pouvant être régulièrement considérée comme l'organe légitime des vœux du pays, on pourra, s'il y a lieu, procéder à l'union des deux provinces avec une parfaite connaissance de cause.

M. le baron de Bourqueney répond au premier Plénipotentiaire de l'Autriche qu'il ne peut partager son appréciation. Les bases de la négociation, dit-il, portent que les Principautés conserveront leurs

priviléges et immunités, et que le Sultan, de concert avec ses alliés, leur accordera ou y confirmera une organisation intérieure conforme aux besoins et aux vœux des populations. Nous avons donc, à Vienne, entendu réserver au Sultan et à ses alliés le droit et le soin de se concerter sur les mesures propres à assurer le bonheur de ces peuples, en tenant compte de leurs vœux. Or, la France a déposé, aux Conférences de l'an dernier, un acte qui a placé la question sur le terrain de la discussion, et il ne s'est élevé nulle part, depuis lors, une manifestation tendant à infirmer les renseignements qui nous portent à croire que les Moldo-Valaques désirent la réunion des provinces en une seule Principauté.

M. le premier Plénipotentiaire de la Sardaigne rappelle, afin d'établir que le vœu des populations à cet égard est antérieur aux circonstances actuelles, qu'un article du statut organique a préjugé la question en déposant dans cet acte le principe de la réunion éventuelle des Principautés.

Aali-Pacha soutient que l'article cité par M. le comte de Cavour ne saurait comporter une semblable interprétation.

M. le comte Orloff déclare que les Plénipotentiaires de Russie, ayant pu apprécier les besoins et les voeux des Principautés, appuient le projet de réunion, comme devant aider à la prospérité de ces provinces.

Sur la déclaration faite par Aali-Pacha que les Plénipotentiaires de la Turquie ne sont pas autorisés à suivre la discussion sur ce terrain, et les Plénipotentiaires de l'Autriche étant eux-mêmes sans instructions, la question est renvoyée à une autre séance, afin de les mettre à même de prendre les ordres de leurs cours.

(Suivent les signatures.)

PROTOCOLE No VII

Séance du 10 mars 1856.

Présents: les Plénipotentiaires de l'Autriche, de la France, de la Grande-Bretagne, de la Russie, de la Sardaigne, de la Turquie. M. le second Plénipotentiaire de la Turquie, retenu par l'état de sa santé, n'assiste pas à la séance.

Le protocole de la séance précédente est lu et approuvé.

Le Congrès reprend la discussion sur la délimitation des frontières en Bessarabie.

M. le baron de Brunnow expose que les Plénipotentiaires de Russie

ont examiné, avec le même esprit de concorde qui a suggéré les termes aux Plénipotentiaires des Puissances alliées, le tracé qui leur a été proposé dans la séance précédente; qu'ils reconnaissent combien ce tracé justifie la confiance qu'ils avaient placée dans les dispositions conciliantes du Congrès, mais qu'après avoir consulté leurs instructions, et en se fondant sur les considérations topographiques et administratives qu'ils ont déjà fait valoir, ils se voient obligés, dans l'intérêt même d'une bonne délimitation, de demander un amendement au tracé qui leur a été offert, de façon que la frontière, partant du confluent du Pruth et de la Saratsika, remonterait cette dernière rivière jusqu'au village du même nom, pour se diriger de là vers la rivière de Yalpuk, dont elle descendrait le cours jusqu'au point où elle rejoint le val de Trajan, qu'elle suivrait jusqu'au lac Salsyk, pour aboutir ensuite à l'extrémité septentrionale du lac Alabiés.

Cette proposition devient l'objet d'un examen auquel participent tous les Plénipotentiaires, qui, tombant d'accord, décident que la frontière partira de la mer Noire, à un kilomètre à l'est du lac Bourna-Sola, rejoindra perpendiculairement la route d'Akerman, suivra cette route jusqu'au val de Trajan, passera au sud de Bolgrad, remontera le long de la rivière de Yalpuk jusqu'à la hauteur de Saratsika, et ira aboutir à Katamori, sur le Pruth.

En adhérant à cette délibération, messieurs les Plénipotentiaires de la Russie ayant dû, disent-ils, s'écarter de leurs instructions, réservent l'approbation de leur Cour.

Une commission, composée d'ingénieurs et de géomètres, sera chargée de fixer, dans ses détails, le tracé de la nouvelle frontière.

M. le comte Orloff, se fondant sur les précédents, propose au Congrès de décider que les habitants du territoire cédé par la Russie conserveront la jouissance entière des droits et priviléges dont ils sont en possession, et qu'il leur sera permis de transporter ailleurs leur domicile, en cédant leurs propriétés contre une indemnité pécuniaire convenue de gré à gré, ou au moyen d'un accord particulier qui serait conclu avec l'administration des Principautés.

Plusieurs Plénipotentiaires faisant remarquer que cette proposition peut soulever des difficultés qu'ils ne sont pas en mesure d'apprécier, le Congrès la prend ad referendum.

M. le comte Walewski rappelle que le développement du premier point, en ce qui concerne l'organisation future des Principautés, exige d'en confier les détails à une commission dont les travaux, si on devait y subordonner la conclusion de la paix, retarderaient, sans motifs suffisants, le principal objet confié aux soins du Congrès. Dans l'opi

nion de M. le premier Plénipotentiaire de la France, on pourrait se borner à consigner au traité les bases du régime politique et administratif qui régira désormais les provinces Danubiennes, en convenant que les Parties contractantes concluront, dans le plus bref délai une convention à ce sujet; dans ce cas, ajoute-t-il, le Traité de paix pourrait être signé prochainement, et l'attente de l'Europe ne serait pas tenue plus longtemps en suspens.

Cette proposition est l'objet d'une discussion dans laquelle interviennent particulièrement MM. les Plénipotentiaires de l'Autriche et de la Grande-Bretagne.

M. le premier Plénipotentiaire de l'Autriche propose un amendement qui est accepté; et, en conséquence, le Congrès décide qu'une commission, composée de M. le comte de Buol, de M. le baron de Bourqueney et d'Aali-Pacha, présentera, à la prochaine séance, le texte des articles du Traité de paix destinés à fixer les bases de la convention qui sera conclue au sujet des Principautés.

M. le comte Walewski émet l'avis qu'au point où les négociations sont heureusement arrivées, le moment est venu d'inviter la Prusse à se faire représenter au Congrès, ainsi qu'il a été décidé dans la séance du 28 février, et il propose de faire parvenir à Berlin la résolution suivante :

« Le congrès, considérant qu'il est d'un intérêt européen que la Prusse, signataire de la Convention conclue à Londres le treize juillet mil huit cent quarante et un, participe aux nouveaux arrangements à prendre, décide qu'un extrait du protocole de ce jour sera adressé à Berlin, par les soins de M. le comte Walewski, organe du Congrès, pour inviter le gouvernement prussien à envoyer des Plénipotentiaires à Paris. >>

Le Congrès adhère.

M. le comte de Clarendon, en témoignant de la confiance qu'il place dans les sentiments de la cour de Russie, et parlant au nom des Puissances alliées, croit pouvoir être certain que les cimetières où reposent les officiers et soldats qui ont succombé devant Sébastopol ou sur d'autres points du territoire russe, ainsi que les monuments élevés à leur mémoire, seront maintenus à perpétuité et environnés du respect dû à la cendre des morts; il ajoute qu'il serait heureux, toutefois, d'en recueillir l'assurance de la bouche de MM. les Plénipotentiaires de Russie.

M. le comte Orloff remercie le Congrès de l'occasion qui lui est offerte de donner une marque des dispositions qui animent l'Empereur, son auguste maître, dont il est certain d'être le loyal et fidèle interprète, en déclarant qu'on prendra toutes les mesures propres à

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