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notre droit et nos intérêts, en tant qu'Etat riverain, seraient gravement affectés si le projet austro-hongrois était admis par la Conférence. La Serbie et la Roumanie cesseraient d'être des Etats danubiens >>.

Si nous voulons sauvegarder nos intérêts, il est nécessaire que nous agissions d'accord avec les Etats avec lesquels nous devons supposer que ces intérêts sont communs, j'entends la Roumanie d'abord, puis la Turquie, et même la Russie.

D'après l'entretien que M. Mijatovitch a eu avec le baron Brunnow, et celui de M. le régent Ristitch avec M. Chichkine, nous sommes fondés à croire que cette dernière puissance est d'accord avec nous sur la manière d'envisager la question.

Or, notre action ne peut avoir pour objet que la réalisation du principe de libre navigation du Danube établi par le traité de Paris.

Dès lors, nous ne saurions être pour le maintien, ni même pour une prorogation à long terme de la commission européenne, que nous regardons comme une entrave à cette liberté. Toutefois, comme cette question est hors de notre domaine, nous devons nous borner à faire connaître notre opinion sans insister. Mais nous devons nous exprimer plus librement et tenir ferme sur ce qui a trait à la navigation même : car ici l'affaire est du ressort exclusif de la commission riveraine seule, et nullement de la Conférence de Londres.

Nulle autre puissance ne pourrait prétendre régler les détails de cette navigation, dans laquelle le dégagement des Portes de Fer est nécessairement compris, sans porter atteinte à notre droit.

C'est pourquoi nous avons recommandé à M. Mijatovitch d'agir en vue d'une nouvelle réunion de la commission riveraine, cette commission ayant seule qualité pour régler la navigation du Danube, et par suite résoudre la question des Portes de Fer, les Etats riverains étant seuls compétents pour cet objet. Ce n'est qu'alors que nous pourrions faire connaître au sein de la commission elle-même nos vues au sujet du dégagement des Portes de Fer.

Veuillez, Monsieur, vous entendre avec le gouvernement impérialprincier au sujet de cette affaire, dans laquelle nos intérêts sont communs, et me faire savoir de quelle manière il envisage la question. Ce sera à vous d'agir de façon à faire adopter nos idées, dans le cas où le gouvernement impérial-princier ne les partagerait pas déjà, ainsi que nous devons le présumer.

Agréez, etc.

No 6

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. ZUKITCH A BUKHAREST, ET A M. CRISTITCH, A CONSTANTINOPLE

Télégramme.

Belgrade, le 20 janvier/1er février 1871.

On leur communique les informations que l'envoyé serbe à Londres a transmises au gouvernement princier.

On leur fait savoir que le gouvernement ne saurait admettre une telle décision de la Conférence dans la question du Danube.

Le gouvernement désire que la commission riveraine soit réunie à nouveau pour régler la navigation du fleuve, conformément au principe de liberté établi par le traité de Paris, et pour résoudre la question des Portes de Fer, qui est du ressort des Etats riverains seulement, et hullement de la Conférence de Londres.

On leur recommande d'exposer aux gouvernements près desquels ils sont accrédités le point de vue serbe, en leur représentant la nécessité d'agir de concert, afin de sauvegarder les droits des Etats riverains.

No 7

M. P. CRISTITCH AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Télégramme.

Constantinople, le 21 janvier/2 février 1871.

Il rend compte d'un entretien qu'il a eu avec le grand-vizir au sujet de la question du Danube.

La Porte consent à ce que la commission européenne de la Soulina soit maintenue pendant encore deux ans au plus. Quant à la question des Portes de Fer, elle restera certainement en dehors des travaux de la Conférence de Londres, et devra être déférée à la commission riveraine.

No 8

M. ZUKITCH AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Télégramme.

Bukharest, le 22 janvier/2 février 1871.

Il annonce qu'il a exposé au ministre des affaires étrangères de Roumanie le point de vue serbe.

Le ministre de Roumanie est entièrement de l'avis du gouvernement serbe, et il envoie des instructions en ce sens à l'agent roumain à Londres.

No 9

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH,

A LONDRES

Télégramme.

Belgrade, le 22 janvier/3 février 1861.

D'après la déclaration faite par le grand-vizir à notre chargé d'affaires à Constantinople, la Porte consent à ce que la commission européenne soit prorogée pendant deux ans au plus. Quant à la question des Portes de Fer, elle ne sera pas soumise à la Conférence, et la solution en sera réservée à la commission riveraine du Danube. Ainsi, les vues de la Porte concordent parfaitement avec les nôtres.

Vous pouvez communiquer cette dépêche à l'ambassade ottomane. Du reste, agissez toujours dans l'ordre d'idées que je vous ai tracé par mon télégramme du 16 courant (no 4).

No 10

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES A M. MIJATOVITCH,.

A LONDRES

Belgrade, le 23 janvier/4 février 1871.

Monsieur, au moment de votre départ pour Londres, je vous ai remis des instructions genérales qui devaient vous servir de guide jusqu'à

ce que nous eussions une connaissance précise du programme de la Conférence.

Vous n'ignorez pas que la mission que vous êtes allé remplir à Londres de la part du gouvernement de la Régence princière avait pour objet de sauvegarder les intérêts du pays pendant la durée de la Conférence, principalement en ce qui concerne la question du Danube, si importante pour nous, et que l'Autriche-Hongrie, comme nous en avons été informés à temps, grâce à la vigilance de notre chargé d'affaires à Constantinople, se proposait d'introduire devant la Conférence.

J'ai dû attendre, pour compléter ces instructions, que nous fussions pleinement édifiés sur les intentions de l'Autriche-Hongrie. Aujourd'hui que les informations que vous nous avez transmises, et celles que nous avons recueillies d'autre part, nous ont mis à même de connaitre la teneur du projet austro-hongrois, j'ai reçu l'ordre de vous exposer la manière de voir du gouvernement princier, relativement à ce projet, et de vous préciser la marche que vous devez suivre.

En résumé, l'Autriche-Hongrie propose: 1° que la commission européenne soit permanente, ou du moins que sa durée soit prolongée pour plusieurs années, et qu'en même temps l'on étende sa compétence; 2o que l'on confie à l'Autriche-Hongrie le soin de dégager les Portes de Fer, et que, pour l'indemniser de ses dépenses, on l'autorise à percevoir une taxe sur les navires.

Pour apprécier exactement cette proposition, nous devons examiner les dispositions du traité de Paris de 1856 relatives au Danube.

L'article 15 de ce traité porte « que l'acte du Congrès de Vienne ayant établi les principes destinés à régler la navigation des fleuves qui séparent ou traversent plusieurs Etats, ces principes seront également appliqués au Danube et à ses embouchures >>.

Dans le but de réaliser cette disposition, l'article 16 du même traité institue une commission européenne, dans laquelle les puissances cosignataires, l'Autriche, la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, la Prusse, la Russie et la Turquie sont chacune représentées par un délégué, et chargées de faire disparaître les obstacles que rencontre la navigation aux embouchures du Danube, ainsi que dans les parties de la mer Noire y avoisinantes ; et l'art. 17 institue une commission riveraine composée des représentants des Etats riverains, parmi lesquels figure naturellement aussi la Serbie. La tâche incombant à cette commission est définie ainsi par le même article: 1° élaborer les règlements de navigation et de police fluviale; 2° faire disparaître les entraves, de quelque nature qu'ils puissent être, qui s'opposent encore à l'application au Danube des dispositions du traité de Vienne; 30 ordonner et

ARCH. DIPL. 1873. — IV.

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faire exécuter les travaux nécessaires sur tout le parcours du fleuve; 4o veiller, après la dissolution de la commission européenne, au maintien de la navigation des embouchures du Danube et des parties de la mer y avoisinantes.

Vous voyez, Monsieur, que le projet austro-hongrois ne s'accorde en aucun point avec le traité de Paris. Aux termes de ce traité, d'une part, la commission européenne ne saurait être permanente; de l'autre, l'Autriche-Hongrie ne saurait être appelée isolément à faire les travaux nécessaires pour détruire les obstacles qui gênent la navigation du Danube.

Il n'appartient pas davantage à une Conférence européenne, comme celle qui est réunie en ce moment à Londres, de prendre une décision à cet égard, attendu que le soin d'exécuter ces travaux a été dévolu par l'article 17, alinéas 2 et 3, du traité de Paris, à la commission riveraine, c'est-à-dire à toutes les puissances riveraines, la Bavière, le Wurtemberg, l'Autriche-Hongrie, la Turquie, la Serbie et la Roumanie.

Sur quoi pourrait donc se fonder la prétention de l'Autriche-Hongrie? Elle est en contradiction formelle avec le traité de Paris, et nous ne pensons pas qu'elle puisse se baser davantage sur le droit public européen. L'Europe a institué la commission européenne, parce que les intérêts sur lesquels cette commission était appelée à veiller aux embouchures du Danube étaient communs à toute l'Europe.

Mais le dégagement des Portes de Fer intéresse avant tout les Etats riverains, et plus particulièrement l'Autriche-Hongrie, la Turquie, la Serbie et la Roumanie.

Il semble, d'après cela, que la commission riveraine elle-même ne puisse rien décider définitivement sans l'assentiment de tous ces Etats. Encore moins légalement une décision de ce genre pourrait-elle émaner des puissances qui ne sont intéressées dans la question qu'au point de vue général européen. Ainsi, la Conférence elle-même devrait être compétente pour conférer à l'Autriche-Hongrie le droit qu'elle réclame, et nous doutons, à vrai dire, de cette compétence. Tout ce que les puissances seraient en droit de décider à la Conférence serait la question de savoir si elles consentent à l'imposition d'une taxe sur les navires, dans le cas où les Etats riverains se mettraient d'accord pour dégager les Portes de Fer.

Par les considérations qui précèdent, le gouvernement princier estime que, sur ce point, l'intérêt de notre pays se trouve en parfait accord avec les stipulations du traité de Paris. C'est pourquoi je vous ai télégraphié le 16/28 de ce mois d'agir dans le sens dudit traité, en vous attachant surtout à provoquer une nouvelle réunion de la com

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