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dire le traitement de la nation la plus favorisée, et serait disposée, de son côté, à accorder le même traitement à toutes les provinces réunies sous l'autorité du roi d'Italie. Quant à la forme de cet accord, il est probable que l'Autriche préférerait ne lui en donner aucune. et que son désir serait que, sans aucun acte public ou sans aucune déclaration publique, il fût tacitement entendu que le traité de 1851 serait des deux côtés appliqué aux territoires qui se trouvent de fait sous l'autorité respective des deux gouvernements. Mais si le gouvernement italien exige une reconnaissance formelle, je ne crois pas que, pour le moment, l'Autriche soit disposée à nous l'accorder...

L'Autriche désirerait que les négociations pour la reconnaissance du royaume d'Italie passassent par les mains de la France et avec l'aide des bons offices de cette puissance...

La tendance de la politique autrichienne et de l'opinion publique, à Vienne, se prononce dans le sens d'un rapprochement de l'Autriche avec la France, et par conséquent avec nous...

M. Drouyn de Lhuys a fini par conclure que son avis serait que l'Italie devrait accepter cet accord dans la mesure indiquée par lui (à savoir sans la reconnaissance du royaume d'Italie et sans établir des relations diplomatiques), ajoutant que les traités commerciaux faciliteraient les relations diplomatiques, qui, plus tard, pourraient, à leur tour, rendre plus facile un traité direct également sur la question de Venise elle-même...

Il m'a dit (le Prince de Metternich) que le cabinet autrichien n'admettait point, au moins pour le moment, une pareille éventualité; qu'au contraire, il pourrait donner à la Vénétie de telles concessions et une telle forme de gouvernement qu'elle pourrait s'en contenter; qu'il espérait que cette expérience réussirait. Mais il ajouta ensuite que, s'il survenait en Europe des événements de nature à rendre une modification territoriale nécessaire, on ne pourrait dès maintenant et à priori écarter la possibilité pour l'Autriche de renoncer à la Vénétie, pour d'autres compensations territoriales...

Non, mille fois non. L'Empereur (et quand je dis l'Empereur, je parle de son gouvernement) ne prendrait aucun ombrage à la suite d'un rapprochement entre Florence et Vienne, de quelque espèce qu'il soit, et même il nous aidera dans cette voie, si nous le désirons, à condition, toutefois, que nous ne lui demandions pas : 1o de faire la guerre ; 2o de s'exposer à un refus de la part de l'Autriche par des demandes qu'il considérerait intempestives; 3° de remettre sur le tapis la question de Rome avant qu'il ait pu achever l'évacuation...

Lord Cowley me disait encore hier: Ne doutez pas du désir de l'Empereur de voir l'Autriche renoncer à la Vénétic Sa Majesté a dit, à dif

férentes reprises au prince de Metternich, qu'il ne pourrait exister de paix et d'entente durables en Europe tant que l'Autriche ne renoncerait pas à la Vénétie...

Léventualité de la guerre est écartée de la France. L'Empereur ne nous empêchera pas de faire la guerre à l'Autriche si nous voulons la faire; mais il ne veut ni ne peut nous promettre de nous aider. Il ne reste que la possibilité d'une rupture entre l'Autriche et la Prusse, cast auquel l'Italie devra naturellement profiter de tout événement pour avoir la Vénétie.

Mais malheureusement, depuis Gastein, je ne vois pas qu'une pareille éventualité soit près de s'accomplir.

Quant à moi, je vous dirai franchement que, dans aucun cas, je ne crois pas que nous devions faire à l'Autriche des concessions plus grandes que celles que nous avons accordées aux autres membres de la Confédération germanique. Mais si l'Autriche veut suivre l'exemple du Wurtemberg, de la Hesse et du Hanovre, acceptez. Je vais plus loin admettez et provoquez le rétablissement des rapports diplomatiques. Il me semble qu'il nous serait utile d'avoir un agent diplomatique à Vienne. Cela ne nous empêcherait pas de poursuivre notre politique nationale, comme la présence d'Apponyi ou de Paar ne nous en a pas empêchés avant 1853. Ce fait pris isolément pourrait causer des difficultés au ministère devant la Chambre, mais il serait de nature à faire partie de tout un système politique, d'un vrai programme de gouvernement qui peut se formuler en peu de mots : Désarmement, renonciation pendant un certain nombre d'années à toute entreprise de guerre, et, par conséquent, à la revendication de Venise par les armes. Politique exclusivement de finances et d'administration intérieure.

Signé NIGRA.

No 18

LE GÉNÉRAL LA MARMORA AU COMTE DE BARRAL, A BERLIN

Florence, le 9 mars 1866.

Monsieur le Ministre, M. le général Govone, qui vous remettra cette lettre, est chargé de remplir auprès du gouvernement prussien une mission d'une importance spéciale. Il possède l'entière confiance du

Roi et de son gouvernement, et je vous prie, monsieur le Ministre, de le présenter à ce titre à S. Exc. M. le comte de Bismarck, et, selon les circonstances, à S. M. le roi Guillaume.

M. le général Govone connait les vues du gouvernement du Roi sur la situation respective de la Prusse et de l'Autriche. Vous le savez, monsieur le Ministre, nos résolutions dépendent de celles que la Prusse pourra prendre, des engagements qu'elle est disposée à contracter, de la portée enfin du but qu'elle poursuit. Si la Prusse est prête à entrer avec décision et à fond dans une politique qui assurerait sa grandeur en Allemagne ; si, en présence de la persistance de l'Autriche à suivre une politique d'hostilité envers la Prusse et envers l'Italie, la guerre est une éventualité réellement acceptée par le gouvernement prussien; si l'on est disposé enfin à Berlin à prendre avec l'Italie des accords effectifs en vue de buts déterminés, nous croyons le moment venu pour la Prusse de ne pas tarder davantage à s'en ouvrir franchement avec nous, et nous sommes prêts à entrer avec elle dans un échange de communications qui lui donnera lieu d'apprécier combien nos dispositions sont sérieuses.

Le but de la mission de M. le général Govone est de s'assurer des combinaisons militaires que, par suite de la situation politique actuelle, le e gouvernement de S. M. le roi de Prusse pourrait vouloir concerter avec nous pour la défense commune. Les membres du cabinet de Berlin, ou les personnages de la cour qui seraient appelés par S. M. le Roi et par S. Exc. le président du conseil à entrer en rapport avec le général Govone, pourront (vous en donnerez l'assurance formelle à qui il appartiendra) s'expliquer avec lui avec toute la clarté et la précision que l'objet de cette mission comporte, et avec la certitude de l'importance particulière que nous attacherons à ce qui nous sera transmis par son intermédiaire.

Vos bons offices et vos indications éclairées, monsieur le Ministre, seront très-utiles à M. le général Govone, et je vous prie de les lui prêter sans réserves. Il n'ignore pas, de son côté, quelle autorité personnelle vous appartient, et combien vos conseils méritent de considération. Les qualités distinguées de M. le général Govone et les missions qu'il a déjà remplies me sont une garantie de plus pour que cette mission atteigne le but qui lui est assigné, et qui consiste, comme je viens de vous le dire, à établir avec netteté la situation respective de l'Italie et de la Prusse, en présence des complications qui s'annoncent pour l'Europe. Agréez, etc.

ARCH. DIPL. 1873.

IV.

Signé LA MARMORA.

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No 19

LE GÉNÉRAL GOVONE AU GÉNÉRAL DE LA MARMORA

Berlin, le 14 mars 1866.

Excellence, en vous annonçant mon arrivée à Berlin, je dois tout de suite ajouter qu'elle avait été ébruitée depuis avant-hier, et que *** en avait lui-même donné avis au ministre de Hanovre, par qui le bruit s'en était répandu dans la ville avec la rapidité de l'éclair. Le comte de Bismarck, à qui le comte de Barral a rapporté cette indiscrétion, s'en est montré extrêmement surpris et fâché, et il a dit qu'il ferait intervenir le Roi pour la punir. Je ne ferai pas de commentaires sur une indiscrétion qui servirait assez bien les intérêts de S. Exc. le président du conseil, s'il était vrai que le cabinet de Berlin tente aujourd'hui de faire plus que nouer de sérieuses intelligences avec l'Italie propres à produire des résultats réciproquement favorables, tente, dis-je, d'intimider l'Autriche à l'avantage exclusif de sa politique particulière.

Le comte de Barral, à qui j'ai présenté ce matin, aussitôt après mon arrivée, la dépêche confidentielle de Votre Excellence, a informé sans retard de mon arrivée le comte de Bismarck, qui en avait déjà manifesté le désir; et le président du conseil a répondu par un billet qu'il me verrait avec plaisir dans la journée, et que, pour éviter la surveillance des agents qui l'épiaient, il se rendrait à trois heures de l'après-midi auprès du comte de Barral au ministère d'État, qui est situé en face de la légation d'Italie.

Le comte de Bismarck est venu, et après quelques paroles sans valeur, il m'a laissé aborder la question qui m'amenait à Berlin. Je lui ai dit que le Roi et Votre Excellence avaient lieu de supposer, d'après les communications verbales réitérées et pleines d'insistance du comte d'Usedom faites en dernier lieu, que la Prusse était décidée à chercher la solution des questions qui en ce moment touchent à ses intérêts en Allemagne, au prix même de la guerre avec l'Autriche; que le Roi et le cabinet de Florence étaient disposés à seconder la Prusse afin de chercher la solution de la question vénitienne, en même temps que la Prusse poursuivrait l'accomplissement de son programme. C'est pourquoi, ai-je ajouté, l'Italie pouvait attendre, et n'avait voulu faire aucun pas décisif sans qu'il fût précédé des engagements formels qui rendissent solidaires les deux programmes, l'italien et prussien; qu'une

fois ces bases admises, j'étais donc chargé d'une mission pour ainsi dire technique, savoir: la mission de concerter une convention militaire dérivant des accords politiques susmentionnés. Le comte de Bismarck a accueilli mes paroles avec une grande attention et d'un œil pénétrant; ensuite il a exposé ses vues. Remontant à l'époque de la convention d'Olmutz, il a dit qu'il serait désirable pour lui qu'une situation compliquée comme celle de 1850 existât en ce moment en Allemagne, parce que le caractère du Roi actuel était pour lui une garantie certaine que la guerre en aurait procuré la solution, qu'avait alors fait avorter la susdite convention d'Olmutz; que son intention était aujourd'hui de ramener l'Allemagne à un état de complication semblable à celui-là, afin d'atteindre le but qu'il se propose, et qu'il avoue hautement être celui de satisfaire l'ambition de la Prusse, ambition qui s'étend, mais en même temps se borne à la domination du nord de l'Allemagne; quant à faire surgir la guerre de la seule question des duchés de l'Elbe, cela lui serait assez facile, a-t-il ajouté; mais une telle et si grande guerre pour une si petite question choquerait l'opinion de l'Europe; tandis que l'Europe trouverait légitime la guerre qui aurait pour but une solution plus large et nationale de la question allemande.

Ici le président du conseil est entré dans beaucoup de développements. Il a dit que son opinion personnelle a toujours été que l'Autriche doit se considérer comme l'ennemie naturelle de la Prusse, que par conséquent il voit avec plaisir, de longue date, l'attitude de la maison de Savoie et les heureux résultats obtenus par elle, mais que cette opinion était isolée en Prusse. D'ailleurs, a-t-il ajouté, ici on regarde comme sacrilége la guerre contre l'Autriche et l'alliance française; pour l'opinion générale, l'Italie se personnifiait dans Garibaldi, voire même dans Mazzini. Il a réussi à modifier cette opinion; il a encore proposé en dernier lieu une expérience au roi Guillaume : celle d'appeler l'Autriche à prendre part à la guerre de Danemark et à tâcher de cimenter ainsi l'alliance austro-prussienne. Cette expérience a complétement échoué, ou plutôt, a-t-il dit, complètement réussi selon ses prévisions; la rivalité naturelle de l'Autriche et son animosité se sont manifestées plus vivement que jamais, et l'expérience a guéri le Roi et beaucoup de personnes de l'alliance autrichienne. Le roi Guillaume a désormais abandonné les scrupules trop strictement légitimistes, et il peut ainsi l'amener à ses vues.

Le comte de Bismarck a alors formulé ses vues comme suit: Dans peu de temps, trois ou quatre mois par exemple, « remettre sur le tapis la question de la réforme germanique assaisonnée d'un Parlement allemand », avec cette proposition et le Parlement produire un

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