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habitants, fatigués de la domination des puissances qui s'étaient partagé leur patrie, un enthousiasme qui ne peut être comparé Pologne. qu'à celui de la grande majorité du peuple français en 1789. Le dévouement dont les Polonais s'étaient empressés de donner des preuves au maréchal Davoust, qui avait paru le premier sur leur territoire asservi, augmenta encore lorsque l'empereur vint établir son quartier général à Posen. Les nombreux partisans de l'ancienne indépendance se portèrent en foule au-devant de celui qu'ils regardaient comme le libérateur de la Pologne. Remplis d'admiration pour le vainqueur des coalitions, et versant des larmes généreuses, ils réclamaient de lui l'affranchissement de leur patrie, le rétablissement du noble trône de Sobieski. Jamais un spectacle plus touchant ne s'était offert aux yeux de Napoléon. Un peuple entier secouant ses mains chargées de fers, demandant à payer de son sang et par tous les sacrifices possibles son retour à l'indépendance!

Il convient de dire que Napoléon avait préparé lui-même ce grand mouvement de la nation, en laissant entrevoir, quelque temps avant l'entrée de ses troupes dans ce pays, le dessein de relever le trône de Pologne. Il savait que, forcé de plier la tête sous le joug, depuis son dernier élan vers la liberté sous la direction du vaillant et infortuné Kosciuszko, le peuple polonais, comprimé, mais non soumis, n'attendait que l'occasion de ressaisir ses droits; il savait que ce vaste territoire était une pépinière inépuisable de guerriers valeureux; et, sur le point d'en venir aux mains avec un adversaire plus redoutable que le roi de Prusse, il lui importait de chercher à tirer parti d'une pareille ressource pour renforcer ses moyens d'agression. Il n'était point d'ailleurs inutile, pour la réussite de ses projets ultérieurs, de rétablir un royaume qui lui eût servi de boulevard contre les entreprises subséquentes de la Russie, seule puissance que l'Angleterre pût lui mettre plus tard en opposition sur le continent.

Napoléon fit aux députations des différents ordres, qui lui furent présentées dans une audience solennelle, l'accueil le plus encourageant; mais, comme il l'avait fait à Berlin, il leur représenta que les malheurs de la Pologne avaient été le résultat de ses divisions intestines; que ce qui avait été détruit par la

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force ne pouvait être rétabli que par la force; qu'il verrait avec un vif intérêt le trône de Pologne se relever, et son indépendance assurer celle de ses voisins menacée par l'ambition démesurée de la Russie; mais que des discours et des vœux ne suffisaient pas; que si les prêtres, les nobles, les bourgeois faisaient cause commune, prenaient la ferme résolution de triompher ou de mourir, ils triompheraient; et qu'ils pouvaient toujours compter sur sa puissante protection. Cette seule démonstration suffit pour exciter les généreux descendants des Sarmates à faire tous leurs efforts pour seconder les vues du souverain de la France. On les vit courir aux armes pour former, sous la direction du général Dombrowsky, déjà depuis longtemps dans les rangs français, des régiments qui devaient rendre, par la suite, de si importants services'.

Quelle que fût l'arrière-pensée de l'empereur des Français, les Polonais se confièrent en sa promesse, et répondirent dignement à l'appel fait, en son nom, à leur courage. En peu de temps une armée nationale se trouva sur pied. Ceux des prisonniers de l'armée prussienne qui étaient originaires de la partie de la Pologne échue en partage au roi Frédéric Guillaume avaient été admis dans les nouveaux cadres.

Napoléon voulut mettre complétement à profit l'élan des

On a mis en doute la sincérité de la promesse que Napoléon fit alors aux Polonais de les aider à recouvrer leur indépendance. Nous pensons que telle pouvait être, en effet, son intention à cette époque; mais que les événements qui suivirent l'empêchèrent de l'exécuter, par les difficultés que cet arrangement eût entraînées dans la conclusion du traité de Tilsit. Le bulletin officiel, en relatant l'entrée des Français en Pologne, s'exprimait ainsi :

« L'amour de la patrie, ce sentiment national, s'est non-seulement conservé entier dans le cœur du peuple polonais, mais il a été retrempé par le malheur; sa première passion, son premier désir, est de redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander à grands cris le rétablissement du royaume, et offrir leurs enfants, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs anciennes habitudes.

« Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendrat-elle son existence et son indépendance? Du fond du tombeau renaîtra-telle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événements, est l'arbitre de ce grand problème politique; mais certes il n'y eut jamais d'événement plus mémorable, plus digne d'intérêt............ »

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braves Polonais. Une artillerie nombreuse, dont la majeure partie provenait de prises faites sur le champ de bataille et dans Pologne. les places conquises, fut rassemblée en un parc à Posen, sous la direction du général Songis. Un train considérable et un convoi de munitions tirées de l'arsenal de Magdeburg, arrivé le 24 novembre à Potsdam, fut de suite embarqué sur le Havel pour être dirigé par le canal de Finow, l'Oder et la Wartha, sur cette même ville de Posen.

Par l'effet des derniers mouvements qu'avait ordonnés Napoléon, la grande ligne de bataille de l'armée française s'établissait depuis le Mecklenburg, où le maréchal Mortier se dirigeait sur Rostock et Anklam, jusqu'au delà de Posen. Elle faisait un coude par sa droite sur la Silésie, où le prince Jérôme Bonaparte se trouvait à la tête du corps de troupes des alliés composé de trente-six bataillons et quarante-huit escadrons bavarois et wurtembergeois. Suivant le plan préparé par l'empereur pour envahir la Silésie, ce prince s'était porté à Dresde avec les divisions bavaroises des généraux de Wrede et Deroi, qui étaient restées en observation à Plauen et à Hof. Pendant que quatre de ses corps d'armée poursuivaient jusqu'aux rivages de la Baltique les débris de l'armée prussienne, que le corps du maréchal Ney assiégeait Magdeburg, l'empereur avait fait continuer le mouvement en avant sur l'Oder par le corps du maréchal Davoust et par le corps auxiliaire des troupes de Bavière et de Wurtemberg. Il avait ordonné à son frère de mettre successivement en marche les deux divisions bavaroises et celle des Wurtembergeois de Dresde par Cottbus, pour les réunir à Crossen sur l'Oder, d'établir son quartier général à Grünberg, de se mettre en communication avec le corps du maréchal Davoust qui se rendait à Francfort, et de prendre les ordres du maréchal.

La marche du maréchal Mortier dans le nord du duché de Mecklenburg avait pour but de renouveler les inquiétudes que le roi de Suède avait déjà eues sur le sort de la Pomeranie suédoise, et principalement sur Stralsund, qui en est la capitale. Aussi ce prince s'empressa-t-il de faire achever les préparatifs déjà commencés pour mettre cette place importante à l'abri d'une attaque de vive force.

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Le roi de Prusse prit de son côté des mesures pour la sûPologne. reté des places de Colberg et de Dantzig; il en renforça autant que possible les garnisons, et nomma, pour y commander, des généraux sur lesquels il pût mieux compter que sur ceux qui avaient si promptement capitulé dans les places de Spandau, Stettin et Cüstrin.

En recevant à Posen la nouvelle de l'évacuation de Varsovie par les Russes, l'empereur avait fait mettre, le 2 décembre, à l'ordre général de l'armée la proclamation suivante :

« Soldats! il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes épouvantés fuyaient en déroute, ou enveloppés rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain, ils firent entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses. A peine échappés, par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième; mais l'allié sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance n'est déjà plus. Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont en notre pouvoir : l'Oder, la Wartha, les deserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche. C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne, l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski de retour de leur mémorable expédition.

<< Soldats! nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l'Elbe et l'Oder Pondichéry, nos établissements des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas les soldats d'Austerlitz? »

Pour consacrer cet anniversaire, l'ordre du jour fit connaitre

à l'armée le décret qui ordonnait l'érection d'un monument dédié par l'empereur aux soldats de la grande armée, et qui devait être construit aux frais de la couronne sur l'emplacement de la Madeleine.

Le grand-duc de Berg, auquel l'empereur avait confié provisoirement le commandement des corps des maréchaux Lannes, Augereau, Ney et Davoust, s'était avancé sur la grande route de Lowicz à Varsovie. Son quartier général fut établi à Lowicz le 26 novembre. Le lendemain son avant-garde rencontra à Blonie un détachement de cavalerie que le général Sedmoratzki avait fait passer sur la rive gauche de la Vistule, et qui, après un court engagement, se retira à Praga. Le général Köhler l'y suivit avec la garnison prussienne de Varsovie, et détruisit dans la nuit du 28 au 29 le pont de la Vistule. Le prince Murat entra le 28 au soir dans Varsovie avec sa cavalerie. Le maréchal Davoust y arriva le 30 avec une partie de son corps d'armée; le maréchal Lannes occupa jusqu'au 5 décembre des cantonnements sur la Bzura entre Lowicz et Sochaczew ; le maréchal Augereau suivit ce mouvement jusque dans les environs de Kutno et de Gombin. Le corps du maréchal Soult se porta dans la direction de Varsovie, et celui du maréchal Ney dans celle de Podgorze; sa cavalerie légère, aux ordres du général Durosnel, manœuvra entre Podgorze et Bromberg pour observer la place de Graudenz; enfin le corps du maréchal Bernadotte, qui n'atteignit Posen que le 8 décembre, cantonna dans les environs de Pudwitz.

L'empereur était encore indécis sur le choix d'un point pour le passage de la Vistule que les alliés semblaient vouloir défendre, lorsque le général Sedmoratzki, qui commandait la division établie à Praga, évacua cette place le 1er décembre, passa le Bug et se retira sur la Narew, sans alléguer d'autre motif de sa retraite si ce n'est qu'il s'attendait à un coup de main de la part de l'ennemi le jour de l'anniversaire de la bataille d'Austerlitz, et que Napoléon ne se ferait pas scrupule de violer le territoire autrichien pour passer la Vistule à Mniszow au confluent de la Pilica et de ce fleuve. Le lendemain, le grand-duc de Berg fit occuper Praga par le 17o régiment d'infanterie; les jours suivants, les troupes entrées à Varsovie

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