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de se rembarquer, fut attaqué, pris et brûlé par l'amiral SidneySmith, commandant en second de l'expédition. Quatre frégates, des cinq dont se composait l'escadre turque mouillée à la pointe de Nagara, se rendirent, s'échouèrent et furent incendiées; la cinquième, qui osa combattre contre trois vaisseaux, n'amena son pavillon qu'après avoir perdu les deux tiers de son équipage. Un seul brick s'échappa, et alla porter à Constantinople la nouvelle de ces désastres et de l'entrée de la flotte anglaise dans la mer de Marmara.

Le 20 février, à quatre heures du soir, la flotte anglaise vint mouiller aux îles des Princes, à trois lieues de l'entrée du port de Constantinople. La consternation était générale et la plus grande confusion régnait dans le sérail: on s'indignait de la lâcheté du capitan-pacha, qui avait occupé le château d'Europe, on accusait de trahison Feyzy-Effendi, favori du sultan, qui avait occupé le château d'Asie; le premier fut destitué surle-champ, le second paya de sa tête. Les esprits étaient diversement agités : le divan avait peur, tandis que le peuple, qui ne partageait pas les frayeurs des habitants du sérail, poussait des cris de fureur et de vengeance contre les Anglais. Il fallut toute la noble énergie du général Sébastiani pour arrêter les premières résolutions du Grand Seigneur, qui était près d'accepter les conditions imposées par l'ennemi. Cependant le tumulte allait croissant dans la ville et dans les faubourgs : les canonniers couraient aux batteries encore désarmées; les janissaires prenaient les armes; enfin les ministres qui venaient de conseiller à leur maître une honteuse soumission, entraînés par le mouvement populaire et craignant d'en devenir les victimes, changèrent promptement de résolution, et représentèrent au Grand Seigneur qu'il fallait profiter de cet enthousiasme. Enfin le sultan se détermina à rejeter les propositions des Anglais et à repousser leur injuste agression. Les dispositions proposées par le général Sébastiani furent adoptées, et l'offre des services des officiers français qui se trouvaient à Constantinople fut acceptée avec reconnaissance.

Cependant l'amiral Duckworth et l'ambassadeur d'Angleterre adressèrent, des îles des Princes, au reis-effendi un parlementaire chargé de lui remettre des lettres renfermant les mêmes

sommations que celles que le divan avait repoussées un mois auparavant. L'amiral n'accordait au divan qu'une demi-heure pour délibérer et répondre à sa note; mais le parlementaire fut si brutalement accueilli par le ministre de la marine, que, craignant pour sa vie, il retourna vers la flotte sans avoir rempli sa mission. Un second parlementaire dépêché avec une note particulière de M. Arbuthnot ne fut pas plus écouté que le premier. Pendant cette négociation, que l'ambassadeur de France faisait habilement prolonger, les travaux de défense avançaient avec une incroyable rapidité. On élevait et armait des batteries, une immense population portait les terres, les fascines et trainait les canons. Le général Sebastiani, ses aides de camp et tous les Français qui se trouvaient à Constantinople, l'ambassadeur d'Espagne Almenara, les ministres et le sultan Sélim lui-même, à pied et sans escorte au milieu des travailleurs, parcouraient ces nombreux ateliers, les dirigeaient, les encourageaient et excitaient le zèle de ceux qui travaillaient par des éloges et des largesses. Dès le troisième jour, la défense de Constantinople était assurée, lorsque les Anglais feignirent de se mettre en mouvement et de commencer leur attaque; mais l'amiral Duckworth put juger, par la contenance des Turcs, de l'impossibilité d'obtenir le moindre succès, devant des batteries formidables armées de six cents pièces de canon, cinquante mortiers et seize grilles à rougir les boulets; d'un autre côté, la crainte de trouver le passage du détroit plus difficile et mieux défendu que lorsqu'il l'avait surpris et forcé décida l'amiral Duckworth à renoncer à cette téméraire entreprise. Le 2 mars au matin, la flotte anglaise mit à la voile, s'éloigna et disparut aux yeux des habitants de Constantinople. Les fortes batteries des forts intérieurs des Dardanelles, mieux disposées cette fois par des officiers français, et servies par de bons canonniers, firent beaucoup de mal aux vaisseaux anglais. Quoique leur passage à la faveur du vent et des courants fût extrêmement rapide, plusieurs furent atteints par des boulets de granit du poids de sept à huit cents livres, lancés au hasard par d'énormes pièces de bronze sans affûts et dont le tir ne peut être dirigé. Une de ces masses rencontra le vaisseau à trois ponts le Windsor-Castle, entr'ouvrit le bordage et coupa le grand mật

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dans l'entre-pont; une autre enfila par la poupe le Standart, détruisit une partie du pont, et mit soixante hommes hors de combat. Après être sorti du canal, l'amiral anglais jeta l'ancre dans la rade de Ténédos, et fit voile pour Malte. L'amiral russe Siniawin, avec dix vaisseaux de ligne et quelques frégates, vint relever la croisière anglaise dans l'Archipel; il s'empara des îles de Lemnos et de Ténédos, et ferma étroitement le canal des Dardanelles. Dans cette position, il bloquait Constantinople et observait la flotte ottomane en dedans des châteaux. Le capitan-pacha Seïd-Ali, qui commandait cette flotte, résolut d'attaquer l'escadre russe qu'il aborda le 1er juillet; mais, mal secondé par ses capitaines, et après un combat acharné entre les deux flottes, à peu près d'égale force, deux vaisseaux turcs furent pris, et le reste de la flotte très-maltraité se retira sous le canon des châteaux. Malgré cet échec, Saïd-Ali débloqua réellement le canal, puisque l'escadre russe avait tellement souffert que la plupart des vaisseaux étaient hors d'état de tenir la mer. L'amiral Siniawin fut obligé de faire route pour les îles Ioniennes, afin d'y réparer ses avaries'.

Ainsi se termina, à la honte de l'Angleterre, une expédition maritime dont le but était moins d'entraîner le Grand Seigneur dans la coalition contre la France que d'exercer à Constantinople les mêmes pirateries qui avaient signalé les expéditions contre la Hollande et le Danemark.

Les Russes n'avaient pas obtenu plus de succès sur terre. Depuis l'occupation de Bukharest par le général Michelson, ils avaient eu avec les Turcs, commandés par Mustapha-Baraycktar, un grand nombre d'engagements dans lesquels ceux-ci avaient presque toujours obtenu des avantages marqués. Une révolution eut lieu à Constantinople vers la fin du mois de mai : elle fit descendre le sultan Selim III du trône; mais elle ne changea rien aux dispositions du gouvernement ture; cependant le général Michelson se maintint dans la haute Valachie et en Moldavie, par suite du peu d'ensemble que les différents corps de l'armée turque apportèrent dans leurs opérations; car cette

* Mathieu Dumas, Précis des événements militaires, vol. 17 et 19. Juchereau Saint Denis, Révolutions de Constantinople en 1807 et 1808.

révolution éclata aussi à l'armée du Danube où se trouvaient le grand vizir et les ministres qui suivent toujours l'étendard sacré. L'aga des janissaires, dévoué à Sélim, avait été massacré par sa troupe. Cet événement causa le plus grand désordre dans l'armée, rompit l'accord entre les chefs et arrêta les opérations concertées pour attaquer et chasser de la Valachie l'armée russe déjà fort affaiblie par les détachements que Michelson avait fait marcher en Pologne. Le grand vizir devait concentrer son corps d'armée à Choumla, passer le Danube à Galatz et à Ismaïl et se porter sur le Seret, tandis que Mustapha-Baraycktar, partant de Roustchouk, se serait porté sur Bukharest. Ces mouvements, ceux des pachas qui avaient ordre d'amener de puissants renforts à l'armée du grand vizir étaient paralysés par les conséquences de la révolution de Constantinople, lorsque le général Guilleminot, dépêché de Tilsit par Napoléon, après la signature de la paix, apporta d'abord au quartier général russe à Bukharest, et ensuite à celui du grand vizir à Choumla, l'armistice stipulé par l'article 21 du traité de paix conclu entre la Russie et la France.

Aux termes de l'article 22 du traité, les troupes russes devaient se retirer des provinces de Valachie et de Moldavie; mais ces provinces ne pouvaient être occupées par les troupes du Grand Seigneur jusqu'à l'échange des ratifications du traité de paix définitif entre la Russie et la Porte Ottomane, traité qui devait se négocier de suite, en conformité des articles 21 et 23 de celui de Tilsit. Toutefois, dans les fréquentes conversations que Napoléon et Alexandre avaient eues ensemble pendant leur séjour à Tilsit, ces deux monarques étaient presque convenus qu'on traînerait en longueur l'évacuation (par les troupes russes) des provinces dont nous parlons; Napoléon laissa même entrevoir à l'empereur de Russie le projet de jeter les Turcs en Asie, attendu, disait-il, que c'était une espèce de honte pour les puissances chrétiennes de souffrir plus longtemps ces barbares en Europe '.

1 Rapport du général Savary à l'empereur Napoléon, daté de Saint-Pétersbourg, le 18 novembre 1807. (Voyez la Correspondance inédite de NapoLéon Bonaparte, tome VII.)

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D'après cette espèce de convention secrète, Alexandre, en envoyant au général Michelson les instructions et les pouvoirs nécessaires pour traiter d'un armistice avec les Turcs, et pour le ratifier, lui ordonna de prolonger, le plus qu'il pourrait, les négociations qui devaient avoir lieu à ce sujet. Le général obéit, et mourut pendant la durée de ces négociations. Son successeur provisoire les termina, en concluant l'armistice sans attendre les ordres directs du cabinet de Saint-Pétersbourg.

Les troupes russes avaient déjà commencé leur mouvement rétrograde pour évacuer les deux provinces, lorsque des détachements turcs repassèrent le Danube, rentrèrent dans Galatz, qu'ils avaient évacué conformément à l'armistice, tuèrent des officiers et des membres du gouvernement moldave, se livrèrent à tous les désordres ordinaires à cette nation, et s'avancèrent à la poursuite de leurs adversaires. Le général russe, effrayé de cette infraction, s'arrêta d'abord, puis, revenant sur ses pas, chassa les Osmanlis de Galatz, et les força de repasser le Danube. Sur ces entrefaites, il reçut des dépêches de l'empereur Alexandre, qui lui notifiait le refus d'accepter l'armistice conclu, et lui donnait l'ordre de demander sur-le-champ au grand vizir de changer ou d'annuler deux articles de cette transaction, qui compromettaient la dignité des armes russes. Le vizir refusa positivement de rien changer à l'armistice que les Turcs venaient de rompre eux-mêmes en repassant le Danube et en rentrant dans Galatz. En conséquence, le cabinet russe considéra les choses comme rétablies dans leur premier état, et ne crut pas devoir ordonner l'évacuation convenue par un acte qui, de fait, n'avait plus de valeur.

Cependant Napoléon, feignant d'oublier la convention verbale de Tilsit, fit demander officiellement à l'empereur Alexandre, par le général Savary, qui se trouvait alors à Saint-Pétersbourg en qualité d'envoyé extraordinaire, les motifs du retard qu'éprouvait l'évacuation stipulée par l'article 23 du traité de paix avec la Russie. L'envoyé français représenta au monarque russe que la paix ne pouvait pas être rétablie entre Ja Russie et la Porte Ottomane que préalablement cette opération n'eût eu lieu, puisqu'elle était la base du traité de paix et celle de l'armistice qui avait été conclu, lequel armistice

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