Page images
PDF
EPUB

1808.

Espagne.

transmettre à son auguste frère..... Il a voulu ensuite que, dans le lieu de sa résidence et en sa présence même, se rassemblassent les députés des principales villes et autres personnes autorisées de notre pays, pour conférer en commun sur les maux que nous avons soufferts, et sanctionner la constitution que notre régénérateur daigne lui-même proposer, afin qu'elle soit la règle invariable de notre gouvernement. Tel est le but noble et glorieux pour lequel nous sommes assemblés. Il est donc nécessaire d'y fixer uniquement notre attention, et, nous dépouillant de toute partialité et des préjugés de province, de classe et d'états, de consacrer toutes nos facultés à la félicité commune de l'Espagne; personne ne doit plus avoir d'intérêt séparé de ceux de la mère patrie : les membres d'une mème famille doivent jouir également de ses avantages, et supporter avec égalité les charges nécessaires au soutien de sa splendeur; à ses yeux comme aux yeux de la loi, les moins favorisés de la fortune ne perdent rien de l'estime qu'ils méritent et de leurs droits à être protégés. Sacrifions, chacun en ce qui nous concerne, les avantages dont nous jouissons hors de la règle commune, et dont plusieurs sont purement imaginaires; sacrifions-les sur l'autel de la patrie pour élever un monument simple et grand, au lieu de l'édifice gothique et compliqué de notre gouvernement antérieur. Examinons-la bien, et nous trouverons que c'est la constitution qui convient le mieux à l'universalité de la nation, sur laquelle doivent se fixer nos regards, et non sur des portions isolées et séparées. Peut-être cette union défectueuse, qui portait précédemment nos provinces à rivaliser entre elles au lieu de se rapprocher par les mêmes liens, cause-t-elle aujourd'hui la division dont nous gémissons, etc. »

Après plusieurs séances employées à la discussion d'un projet de constitution, la junte vota dans le court intervalle de douze séances, et rendit obligatoire pour tout le royaume, un acte en 146 articles, à peu près calqué sur les constitutions de l'empire français. Le gouvernement se composait du roi, de ses ministres, du sénat, du conseil d'État, des cortès ou assemblée des députés de la nation, et de l'ordre judiciaire. La principale différence entre les deux constitutions se remarquait

1808.

dans la formation des cortès ou chambre des députés. En effet, au lieu d'être choisis indifféremment parmi les nationaux, les Espagne. députés, au nombre total de 172, devaient être tirés des trois ordres du clergé, de la noblesse et du peuple; le clergé devait envoyer vingt-cinq députés, la noblesse vingt-cinq, et le peuple cent vingt-deux, savoir: soixante-douze députés des provinces, tant d'Espagne que des Indes, trente des principales villes, quinze négociants ou commerçants, et quinze députés des universités, savants ou hommes distingués par leur mérite personnel, soit dans les sciences, soit dans les arts; mais le système électoral admis pour la nomination de ces députés de diverses classes était loin de présenter à la nation les garanties nécessaires. Les députés du banc de la noblesse et du clergé étaient nommés par le roi, qui choisissait également les députés des principales villes, du commerce et des universités, sur la présentation du conseil municipal des villes, des tribunaux de commerce et des universités. Les soixante-douze membres formant spécialement la députation des provinces étaient seuls nommés par le peuple, divisé en conséquence par arrondissements d'élection, de manière qu'il y eût un député pour trois cent mille âmes.

Mais l'essentiel, dans cette constitution, c'est qu'elle proelamait et consacrait les droits de la nation espagnole pour l'avenir. La liberté individuelle et la liberté de la presse étaient, comme en France, placées sous la protection spéciale de deux commissions du sénat. Tous les Espagnols étaient déclarés aptes aux emplois publics, et aucun impôt ne pouvait être ordonné et réparti sans avoir été consenti librement par les cortès. Enfin, l'ordre judiciaire était déclaré indépendant, et tous les juges inamovibles. Avec les défectuosités que nous avons fait remarquer, la constitution espagnole était loin d'être parfaite; mais n'était-ce pas déjà beaucoup pour une nation qui, la veille encore, ne voyait plus dans les anciennes chartes du royaume aucune digue capable de contenir les irruptions du despotisme? Et, comme si Napoléon eût voulu se montrer plus libéral envers ce peuple qu'envers celui qui l'avait élu pour monarque, il y avait, dans ce même acte, un article qui donnait aux cortès le droit de s'assembler extraordinairement en 1820, afin

1808.

d'apporter à la charte les changements et améliorations que le Espagne. temps et l'expérience auraient fait juger nécessaires.

le

Enfin, le 7 juillet, l'assemblée s'étant réunie de nouveau, roi Joseph Ier prêta, entre les mains de l'archevêque de Burgos, le serment d'observer la constitution, ce que firent également les députés présents, au nombre de 91, au lieu de 150, chiffre fixé par les lettres de convocation. Dès le 4 juillet, Joseph avait définitivement composé son ministère avec des députés présents à Bayonne. Il distribua ensuite les emplois de cour parmi les grands d'Espagne qui l'entouraient; et, après avoir réglé tout ce qui concernait l'installation du nouveau gouvernement, il se décida à entrer en Espagne le 9 juillet.

Il est presque inutile de rapporter que tous les actes de Napoléon en ces étonnantes circonstances, communiqués au sénat français, furent unanimement approuvés par ce premier corps de l'empire; il ne vint à la pensée d'aucun de ses membres de soulever le voile qui couvrait une intrigue politique aussi déplorable, ni de provoquer l'examen le plus léger des moyens qui en avaient assuré le succès.

Tels furent les événements préparatoires de la guerre funeste dont nous commencerons le récit après avoir terminé ce qui nous reste à dire de la campagne de Portugal.

CHAPITRE II.

Suite de la campagne de Portugal; le général Junot est nommé gouverneur général du royaume; défection d'une partie du corps d'armée auxiliaire espagnol; désarmement de l'autre partie; débarquement des Anglais dans la province des Algarves; insurrection générale en Portugal; situation critique de l'armée française; combats divers avec les insurgés, etc. Expédition dans la province d'Alentejo; combat et prise d'Evora; débarquement d'une armée anglaise; combat de Roliça; bataille de Vimeiro; convention de Cintra; évacuation entière du Portugal par l'armée française.

180%

Suite de la campagne de Portugal; le général Junot est nommé gouverneur général du royaume. Le général Junot, Portugal. devenu sans coup férir maître du Portugal, avait voulu donner à l'administration de ce pays le mouvement qui convenait aux circonstances; mais il ne tarda pas à éprouver de grands obstacles de la part de la junte ou conseil de gouvernement, créé par le prince-régent du royaume, au moment du départ de la cour pour le Brésil. Ce conseil opposait aux desseins du général français cette force d'inertie, plus fâcheuse souvent qu'une mauvaise volonté prononcée ou une résistance ouverte. Afin d'éviter toute la responsabilité des mesures violentes qu'il se voyait dans la nécessité de prendre incessamment, Junot rendit compte à l'empereur de l'état des choses, et reçut en réponse les pouvoirs et le titre de gouverneur général du Portugal.

La cérémonie de son installation en cette qualité se fit le 1er février 1808, avec autant de solennité que la démarche préliminaire avait été tenue secrète. Le conseil de régence avait été convoqué extraordinairement au palais de l'inquisition. Le général s'y rendit accompagné de tous les officiers de son état-major et de toutes les personnes qu'il avait déjà choisies pour administrer le Portugal sous ses ordres directs. Il donna connaissance à la fois et des ordres qu'il avait reçus et des dispositions qu'il avait prises pour leur exécution. Prononçant

1808. Portugal.

ensuite la dissolution du conseil de régence, il fit connaître le choix des membres du nouveau ministère qu'il instituait au nom de l'empereur 1.

Ce changement dans l'administration du royaume fut vu avec indifférence par la capitale et par les provinces. Toutefois, il en résulta bientôt un ordre de choses préférable à la situation précédente des administrés. Le nouveau gouvernement avait la volonté et le pouvoir d'assurer la tranquillité publique; il y réussit, et prévint, momentanément à la vérité, les désordres que d'autres circonstances devaient ramener plus tard. Mais cette tranquillité n'était qu'apparente; le pays, accablé sous le poids de contributions extraordinaires, ne désirait qu'une occasion favorable pour secouer le joug qui l'opprimait.

Le choix du prince que l'empereur des Français allait sans doute mettre sur le trône vacant fut d'abord l'objet qui occupa le plus les esprits portugais. Le général Junot tira parti de cette inquiétude pour envoyer en France une grande députation, dont le prétexte était d'obtenir de Napoléon que le sort du royaume fût promptement fixé, mais qui n'avait pour objet direct, de la part du gouverneur général, que d'éloigner de Lisbonne plusieurs personnages distingués par leur naissance ou par leur crédit, regardés comme suspects, et qui, sous le titre honorable de députés de la nation, ne devaient réellement être que des otages mis entre les mains de l'arbitre des destinées du Portugal 2.

Ce ministère se composait mi-partie de Français et de Portugais. Les premiers étaient MM. Hermann, pour les finances; le commissaire-ordonnateur Luuyt, pour la guerre; Lagarde, pour la police; l'inspecteur aux re vues Vienot-Vaublanc, comme secrétaire d'État (parent de celui qui depuis fut ministre de l'intérieur en France, après le second retour du roi). Les ministres portugais étaient MM. Petro de Mello, pour l'intérieur; le comte de Sampajo, pour la marine; et de Castro, pour la justice et les cultes.

› Ces députés restèrent en France jusqu'après la chute du trône impérial, en 1814: la plupart négligés et presque sans moyens d'existence, objets innocents de la haine de leurs compatriotes, et abandonnés par le gouvernement, qui, après en avoir employé quelques-uns comme instruments d'oppression, les rejeta ensuite dès qu'ils lui devinrent inutiles. Ils étaient au nombre de treize, savoir les archevêques de Lisbonne et de Coimbre, députés pour le clergé; les marquis de Penhalva, de Marialva, de Valença, d'Abrantès (père et fils), le comte de Sabugal, le vicomte de Barbacena,

« PreviousContinue »