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4898. Août.

CHAPITRE III.

Insurrection générale en Espagne ; opérations des différents corps de l'armée française; catastrophe de Baylen; bataille de Medina de Rio-Secco; premier siége de Saragosse, etc.

Insurrection générale en Espagne; operations des différents Espagne. corps de l'armée française, etc. — On a vu, dans le premier chapitre de ce 5o livre, que le royaume d'Espagne était déjà préparé au grand mouvement insurrectionel dont le dénouement de l'odieuse intrigue de Bayonne hâta la manifestation dans toutes les provinces de cette Péninsule. La révolte du peuple de Madrid au 2 mai avait été comme un signal donné, et la principauté des Asturies y répondit la première.

Outre l'illustre souvenir du temps où leur sol âpre et montueux avait offert un asile sûr aux restes des vaillants compagnons de Pélage', les habitants de cette province puisaient aussi de la confiance dans sa position avantageuse et naturellement défendue. Baignées au nord par l'Océan, entourées sur leurs flancs de chemins souvent impraticables, les Asturies étaient ceintes au midi par de hautes et inaccessibles montagnes. Les séances de la junte provinciale s'étaient ouvertes le 1er mai, et peu de jours après on avait reçu à Oviédo la nouvelle des événements du 2 mai, ainsi que la proclamation publiée le 3 par Murat. Les esprits s'aigrirent et s'enflammèrent de plus en

'On sait que, lorsque le comte Julien, l'archevêque Opaz, fils de l'usurpateur Vitiza, et l'évêque Torizo, appelèrent les Musulmans d'Afrique en Espagne, l'an 714, cette même province fut l'asile du prince Pélage Teudomer, parent du dernier roi Rodrigue, et sauva ainsi les débris de la monarchie des Goths. Ce souvenir enflamma sans doute le zèle des Asturiens, lorsqu'on leur fit voir la couronne castillane en péril par la trahison d'un nouveau Julien (Manuel Godoï, prince de la Paix ), auquel, depuis les événements de l'Escurial, on attribuait généralement l'invasion du nord de l'Espagne par les troupes françaises.

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plus; le peuple, poussé par les étudiants de l'université, s'ameuta aux cris de vive Ferdinand VII et mort à Murat. Les autorités Espague locales ne furent plus respectées ni écoutées. Murat et la junte suprême de Madrid, effrayés de ce qui se passait dans les Asturies, voulurent prendre des mesures. qui, au lieu de calmer les esprits, ne firent que les irriter davantage, surtout lorsqu'on apprit ce qui venait de se passer à Bayonne. Le marquis de SantaCruz, grand propriétaire, tenant aux plus illustres familles du pays et président de la junte, s'opposa énergiquement à toute résolution tendant à prêter obéissance aux ordres de Murat et de la junte de Madrid. Les meneurs, qui se composaient des hommes les plus influents du pays par leurs richesses, leur naissance et leur réputation, fixèrent pour le 24 un mouvement général qui devait commencer à 11 heures du soir, au tocsin que sonneraient les cloches des églises de la ville et des villages environnants. A minuit, l'arsenal, où se trouvaient en dépôt cent mille fusils, fut enlevé sans coup férir. L'attaque fut favorisée par les officiers d'artillerie eux-mêmes, qui avaient été mis dans le secret. La junte s'assembla immédiatement, et, reprenant le pouvoir suprême, sanctionna la révolution et confia le commandement militaire à son président, le marquis de Santa-Cruz. Le lendemain 25, la guerre fut solennellement déclarée à Napoléon.

Comme il n'était intervenu, dans le soulèvement des Asturies, que les personnes les plus notables du pays, nul excès de la populace n'en avait souillé la pureté par des violences ou des assassinats, comme cela eut malheureusement lieu dans la plupart des autres provinces. Du moment que la junte des Asturies se déclara souveraine, elle chercha à ouvrir des négociations avec l'Angleterre, et expédia à Londres deux députés qui mirent à la voile de Gijon le 3 mai. Ces deux députés, don Andrès Angel de la Véga et le vicomte de Matarosa, furent favorablement accueillis par le ministre Canning, qui vit tout de suite les avantages que l'Angleterre pouvait retirer de l'insurrection de la Péninsule. Le roi de la Grande-Bretagne chargea son ministre de déclarer officiellement aux députés asturiens que S. M. était prête à étendre son appui à toutes les autres parties de la monarchie espagnole qui se montreraient animées du même esprit

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que les habitants de leur province. Cette déclaration fut suivie Espagne immédiatement d'un envoi considérable de vivres, de muni

tions, d'armes et d'équipements de toute nature.

La Galice, la province de Santander et partie du royaume de Léon, ne tardèrent pas à suivre cette impulsion.

La Galice s'était soulevée le 30 mai, jour de la Saint-Ferdinand. L'étendue de ses côtes, le grand nombre de ses ports, les inégalités de son sol montueux, ses arsenaux, ses abondantes ressources augmentaient l'importance du soulèvement de cette province. Au milieu de l'agitation des esprits à la Corogne, la nouvelle de l'insurrection des Asturies vint accélérer le mouvement. Le capitaine général, don Antonio Filangieri, fut assailli dans son palais, s'échappa par une porte dérobée et se réfugia dans un couvent. La multitude assaillit en même temps le dépôt d'armes et y prit plus de quarante mille fusils. Une junte s'assembla et prit des dispositions promptes et vigoureuses qui furent couronnées de succès. Elle envoya de tous côtés des commissaires pour faire mettre à exécution les mesures de défense et d'armement qu'elle avait décrétées. Partout ces mesures trouvèrent une obéissance empressée, et la jeunesse courut s'enrôler avec le plus grand enthousiasme. Malgré les forces détachées sur Oporto en vertu du traité de Fontainebleau, la garnison de la Corogne se composait encore du régiment d'infanterie de Navarre, des bataillons provinciaux de Betanzos, Ségovie et Compostelle, du second bataillon des volontaires de Catalogne, et du régiment d'artillerie du département. De nombreuses recrues furent incorporées dans les régiments anciens, et l'on forma de nouveaux corps. Ces forces, réunies à celles qui vinrent s'y joindre postérieurement d'Oporto, s'élevaient à environ 40,000 hommes. Dans cette province, ce furent les militaires, soutenus par la population, qui commencèrent l'insurrection. Le 24 juin, quelques soldats, mécontents de la discipline sévère qu'il faisait observer dans les rangs de l'armée, assassinèrent perfidement le capitaine général Filangieri, dans les rues de Villa-Franca del Vierzo, où il avait fixé son quartier général. C'était un homme modéré, doux, affable, chéri des officiers; il emporta dans la tombe les regrets de tous les honnêtes gens du royaume. Don Joaquin Blake, major général de

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l'armée, lui succéda dans son commandement. Celui-ci avait la réputation d'un militaire instruit et d'un profond tacticien; la Espagne. junte, qui avait pris le titre de junte souveraine de Galice, l'éleva au grade de licutenant général.

La ville de Santander, située à l'arrière-garde d'une partie considérable des troupes françaises, pouvait, en s'insurgeant, couper facilement leurs communications entre elles et propager l'insurrection dans les provinces basques; aussi le maréchal Bessières, qui était à Burgos, s'empressa-t-il d'avertir la municipalité de Santander qu'au moindre mouvement séditieux il ferait occuper cette ville par une division de son corps d'armée. Cette menace ne fit qu'accroître le mécontentement et la fermentation. Le peuple, s'échauffant par degrés, finit par éclater, et, sur le plus léger prétexte, demanda l'arrestation de tous les Français établis dans la ville. Aussitôt les cloches sonnent le tocsin, les tambours battent la générale, et l'on n'entend plus dans les rues que les cris de vive Ferdinand VII! mort à Napoléon! Les habitants, armés à l'improviste, arrêtèrent les Français dans leurs maisons et les conduisirent au château de San-Felipe. Le 27 mai, une junte fut assemblée sous la présidence de l'évêque du diocèse. Bientôt après on apprit l'insurrection des Asturies, ce qui décida le mouvement de toute la montagne de Santander. On procéda immédiatement à un enrôlement général, et ces troupes sans discipline s'avancèrent, sans plus de délai, sur les confins de la province pour en garder les passages.

L'exemple des Asturies et de la Galice fut immédiatement suivi dans toutes les provinces qui n'étaient pas contenues par la présence ou la proximité des troupes françaises. Des juntes d'insurrection se formèrent de toutes parts. Des villes, des bourgs mêmes du plat pays de Castille, sans considérer l'inégalité de leurs forces et les dangers de leur position, eurent l'imprudente hardiesse de se soulever. Logroño et Ségovie furent attaquées dès l'instant où ces villes levèrent le drapeau de l'insurrection ; mais Valladolid et Léon, villes de ressources plus étendues et comptant sur les secours qu'elles attendaient de la Galice et des Asturies, avaient proclamé Ferdinand et déclaré la guerre aux Français dès les 23 et 24 mai, 800 hommes venant des Asturies

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arrivèrent à Léon, et le 1er juin on forma une junte à la tête Espagne. de laquelle fut placé don Antonio Valdès, ancien ministre de la marine. Des fusils et des munitions de toutes espèces arrivèrent des Asturies, et l'on commença l'armement de la province.

Le général don Gregorio de la Cuesta, vieux militaire d'humeur dure, et très-obstiné dans ses opinions, était alors capitaine général des royaumes de Léon et de la Vieille-Castille, et résidait à Valladolid. Dans les derniers jours de mai, le peuple ameuté voulut exiger du capitaine général qu'il prit les armes et déclarat la guerre à Napoléon. Cuesta, bon Espagnol, s'affligeait de l'invasion française; mais il refusa de souscrire aux volontés de la populace, qui, selon son opinion, n'avait pas le droit de se mêler d'affaires qui ne la regardaient pas. Alors, les mutins l'ayant menacé de le pendre comme traître à son pays, le général se vit obligé de suivre le torrent de l'insurrection. Il convoqua sans délai une junte, et Valladolid, ainsi que les autres villes éloignées du voisinage des troupes impériales, se hâtèrent de faire des levées d'hommes qui reçurent des armes et des munitions de guerre des arsenaux de Zamora et de Ciudad-Rodrigo. Le soulèvement de Valladolid fut souillé par les excès de la populace et de la soldatesque. A Palencia, un citoyen estimable, nommé Ordoñez, mourut sous leurs coups. Don Luis Martinez de Ariza, gouverneur de Ciudad-Rodrigo, éprouva le même sort, parce qu'il avait joui de la faveur du prince de la Paix. Le corrégidor de Madrigal, ainsi que quelques alguazils, furent assassinés par haine de la populace. Don Miguel de Cévallos, directeur du collége militaire de Ségovie, qui s'était éloigné de cette ville quand les Français l'occupèrent, fut arrêté et conduit prisonnier à Valladolid. Accusé, sans fondement, de trahison, il fut assassiné sous les yeux de sa femme et de sa famille, traîné par la ville et ensuite jeté à l'eau.

A la nouvelle de l'événement du 2 mai, le mécontentement devint général à Séville; il s'accrut encore quand on y connut les changements survenus à Bayonne. Le 26 mai, le peuple, poussé par quelques meneurs, s'empara du dépôt royal d'artillerie et des magasins à poudre, et enleva toutes les armes. Le lendemain matin, s'étant emparé de l'hôtel de ville, il y convoqua une junte qui s'institua junte suprême d'Espagne et des

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