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qu'assuré : la communication par mer était interceptée par une escadre russe croisant dans l'Adriatique; pour arriver par terre, il fallait traverser la Croatie autrichienne, et le traité de Presburg n'avait rien stipulé à cet égard. Le général Molitor crut donc devoir négocier ce passage avec le gouverneur de Fiume; il ne l'obtint qu'après beaucoup de difficultés et sous des conditions assez embarrassantes. La première était de payer comptant, dans tous les lieux d'étape, les vivres et fournitures de troupes; la seconde, à laquelle le général français se refusa, était qu'il ne passerait pas d'autres troupes que les trois régiments désignés plus haut. Le général Molitor fit à Trieste un emprunt de cinquante mille francs en son nom; il précéda la marche de ses régiments, en assurant, par des marchés en argent, toutes les fournitures, tant dans la Croatie, où les dépenses furent acquittées sur-le-champ, que sur tous les points de la Dalmatie où les troupes devaient passer ou stationner, de manière à n'avoir rien à demander aux habitants d'un pays généralement pauvre, dont il importait de gagner la confiance et l'attachement.

Les Français furent en effet reçus partout à bras ouverts, malgré la présence des autorités autrichiennes qui les attendaient, et les préventions peu favorables dont elles auraient voulu faire précéder l'arrivée des troupes d'occupation. Le lieutenant général autrichien baron de Brady, commandant en chef les forces de terre et de mer, et gouverneur général civil et militaire des provinces de Dalmatie et d'Albanie, attendait à Zara le général Molitor. H y présidait le conseil de gouvernement, où se décidaient les affaires d'administration intérieure. D'après les ordres du prince vice-roi d'Italie, le général Molitor fut investi des mêmes attributions; il profita du temps que sa division traversait la Croatie pour régler les différents services du militaire et du civil, et pour faire remplir par des nationaux les vacances que laissait dans les tribunaux, les finances et l'administration, le départ des fonctionnaires autrichiens. Il imprima aux affaires une marche plus simple, plus facile, et telle qu'elles ne pussent souffrir des soins qu'il avait à donner presque exclusivement aux opérations militaires. Il prít avec lui un conseiller du gouvernement pour la correspondance civile, et rejoignit la tête des troupes à leur entrée dans la province.

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Celles-ci occupèrent successivement les places maritimes, les iles principales et les forts sur la frontière de Bosnie. Les Turcs du littoral ayant montré quelques inquiétudes à l'arrivée des Français, le général Molitor écrivit à leurs pachas, qui lui répondirent amicalement, et il entretint avec eux des relations de bon voisinage.

Malgré la rigueur de la saison et la difficulté des communications, les troupes avaient fait une telle diligence, qu'elles étaient parvenues à l'extrémité méridionale de la Dalmatie, près de la Narenta, du 26 au 28 février, ayant fait cent soixante-dix lieues de France en vingt-huit jours, passant par Trieste, Fiume, Segna, Gospich, Zara, Sebenico et Spalato. Le général Molitor était à peine arrivé à Sebenico, que les soupçons que lui avaient fait naître les difficultés du gouverneur du Fiume sur les intentions du cabinet autrichien se convertirent en probabilités, et bientôt après en certitude.

D'après le traité de Presburg, l'Autriche devait remettre à la France toutes les places de la Dalmatie et des bouches du Cattaro, dans un état de défense convenable, et surtout y laisser les munitions; au lieu de remplir cet article exprès et important, les commandants autrichiens dans toutes les places, iles et forts (Zara excepté), exportèrent et vendirent à vil prix, avant l'arrivée du général Molitor, jusqu'au dernier grain de poudre, en même temps que les Russes, avec lesquels ils paraissaient être d'intelligence, couvraient de leur escadre les parages de la province et menaçaient tous les points accessibles. Les troupes françaises se trouvaient, par le fait, à une distance immense de toute espèce de secours, et attirées, pour ainsi dire, contre la foi des traités, dans un horrible piége. Fort heureusement le général Molitor, à son passage à Trieste, avait eu la précaution d'y faire embarquer secrètement des munitions, qui arrivèrent en temps utile. Il informa le prince vice-roi de toutes ces circonstances par des courriers extraordinaires, et il fit les mêmes communications à l'ambassadeur de Napoléon à Vienne.

Le cabinet de Vienne rejeta tout sur les sous-ordres, et protesta de sa loyauté; mais bientôt après, comme les troupes françaises s'approchaient des Etats de Raguse, les troupes au

trichiennes remirent aux Russes les bouches du Cattaro, comme on le sait déjà, et ces derniers en prirent possession aussi tranquillement que si cette forteresse et ses dépendances leur eussent été cédées par un traité authentique.

Toutefois, les officiers du régiment autrichien de Thurn, en garnison à Cattaro, crurent leur honneur compromis par cette violation manifeste d'un traité si récent, et délibérèrent pour s'y opposer. Alors le marquis Ghislieri, commisssaire plénipotentiaire autrichien, qui s'était rendu sur les lieux, employa tous les moyens de persuasion pour les apaiser; il écrivit même à ceux qui pouvaient avoir le plus d'influence, pour les assurer que tout se passait par ordre du gouvernement autrichien. Ces officiers n'en furent que plus indignés; plusieurs d'entre eux donnèrent leur démission, et vinrent communiquer au général Molitor la lettre en original du marquis Ghislieri. A la vue de cette pièce, que le général transmit à l'ambassadeur français à Vienne, le ministère de François II fut trèsembarrassé; l'empereur disgrâcia, pour la forme, M. Ghislieri, quiavait eu l'impudence de dire tout haut que cette disgrâce serait une comédie qu'il jouerait avec le ministre comte Stadion. Dans le même temps, la cour de Vienne envoya, également pour la forme, un corps d'armée en Dalmatie, pour reprendre et remettre aux Français les bouches du Cattaro. Ce corps d'armée, commandé par le général de Bellegarde, arriva dans le mois de juin, se confina dans une ile de la Dalmatie, et n'en bougea plus.

Le vice-roi d'Italie, à qui le général Molitor rendit compte de sa position, lui preserivit de s'arrêter devant le territoire de Raguse, de ne commencer aucune hostilité, et d'attendre que les Autrichiens lui remissent les bouches du Cattaro, comme ils s'y étaient engagés par le traité de Presburg. Ce prince fit ensuite passer en Dalmatie un régiment, de l'artillerie, des approvisionnements, de l'argent et une flottille. Ces secours, qui arrivèrent successivement, et non sans rencontrer beaucoup d'obstacles, donnèrent au général Molitor les moyens de mettre en état de défense respectable les places de la Dalmatie et de s'opposer aux entreprises des Russes.

Ceux-ci, dont les vues sur les îles de la mer lonienne re

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montaient à une époque déjà éloignée, cherchaient à établir des intelligences avec les Grecs et sur le continent de la Dalmatie. Ils avaient depuis quelque temps sous leur protection, et alors pour ainsi dire sous leurs drapeaux, les Monténégrins, peuplade féroce et à demi sauvage, que l'espoir, du pillage et la position formidable des montagnes qu'ils habitent appelaient et maintenaient sous les armes, et qui depuis longtemps avaient secoué le joug de la domination ottomane. Ces barbares, de la religion grecque, étaient commandés par leur évêque, homme qui n'était pas sans instruction et sans un certain esprit d'intrigue il était décoré de plusieurs ordres de Russie, et pensionné par cette puissance, ainsi que plusieurs autres personnages marquants de cette tribu, entre autres un boucher, qui avait un brevet de lieutenant général.

Les intelligences que les Russes tentèrent de pratiquer en Dalmatie échouèrent toutes, grâce à la discipline des troupes françaises et aux mesures que le général Molitor prit pour ménager les habitants, dont l'affection et le dévouement devenaient de jour en jour plus remarquables. L'escadre russe, chargée de troupes de débarquement, n'osant rien hasarder sur les côtes dalmates pour appuyer les intrigues de son gouvernement, dirigea alors ses entreprises sur les îles.

Le 10 avril, un vaisseau de ligne, deux bricks, trois chebecks, une tartane, avec huit bâtiments de transport, attaquèrent l'ile de Cursola, où le général Molitor n'avait pu placer que 200 hommes du 81° régiment commandés par le chef de bataillon Dugiet, et des munitions en proportion avec l'approvisionnement général de la province. Ce détachement se défendit, pendant trois jours consécutifs, avec une valeur et une constance admirables; et, après avoir repoussé trois fois les troupes de débarquement, fortes de 1,200 hommes, leur en avoir tué le quart, après avoir fait brûler jusqu'à la dernière cartouche, le commandant Dugiet parvint à se retirer la nuit, avec sa petite troupe, dans des barques, et à gagner les côtes de Lezina et de Spalato. L'occupation momentanée de Cursola ne doit être attribuée qu'au manque de munitions, occasionné par la conduite déloyale des Autrichiens.

L'ile de Lezina, par sa position, son étendue et son port, est

l'ile la plus importante de la Dalmatie; les Russes voulaient s'en emparer à tout prix : elle était gardée par un bataillon du 23o régiment et un détachement du 81°. Le 29 avril, le vaisseau Asia, de 74, commandé par le capitaine de vaisseau Bailly, se présenta dans la rade de Lezina avec les deux bricks et les autres bâtiments de guerre et de transport, portant environ 3,000 hommes de débarquement qui avaient servi à l'expédition de Cursola. Le vaisseau russe dirigea d'abord sur la ville le feu de toutes ses batteries; il le continua pendant les deux journées suivantes, et tenta plusieurs débarquements qui furent repoussés. Dans la nuit du 1er au 2 mai, les Russes réussirent à établir une batterie sur l'écueil qui est à l'entrée du port, et, sous la protection de ce feu et de celui des bâtiments de l'escadre, ils mirent à terre 300 hommes d'élite, qui s'avancèrent audacieusement sur la ville; mais, dans le même temps, le capitaine Hudoux, du 23° régiment, officier d'une valeur brillante, sortit à la tête de deux compagnies de grenadiers et de voltigeurs, tourna la colonne ennemie, l'attaqua à la baïonnette, en tua la plus grande partie et fit le reste prisonnier, dont trois officiers; pas un homme ne put regagner les chaloupes. Cet échec irrita au dernier point le capitaine russe, qui redoubla le feu de sa batterie du rocher et de ses bâtiments, pendant les journées des 3, 4, 5 et 6; les Français déployèrent la même fermeté dans leur résistance.

Cependant le général Molitor attendait alors et depuis longtemps, avec une grande impatience, un convoi d'artillerie et de munitions, expédié de Venise par mer, et qui était arrêté par les vents contraires. Ce convoi arriva enfin, et le général le dirigea aussitôt sur le port de Socolitza, situé au revers oriental de l'ile de Lezina. Quatre bricks et chebecks ennemis tentèrent de l'intercepter; mais ils furent attaqués et chassés par quatre bâtiments de la flottille italienne envoyée par le vice-roi et que commandait le capitaine de frégate Stalimini.

Bientôt le convoi fut débarqué; deux pièces de canon furent traînées à bras par les habitants, qui gravirent une montagne escarpée. Le 7 au matin, ces deux pièces commencèrent à tirer sur le vaisseau russe, qui n'eut que le temps de couper ses câbles et de prendre le large avec tous les autres bâtiments; une partie

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