Page images
PDF
EPUB

elle était désirée ; elle était attendue, mais simple et modeste elle se refusa à toutes les démonstrations du vif intérêt qu'elle inspirait. Logée à Bâle chez le sénateur Wincher, elle y resta la journée du 3, renfermée dans l'intérieur de ses appartemens: ce fut le premier jour de repos depuis le voyage; il appartint tout entier aux plaisirs d'une mère. Son fils voyageant à part avec madame de Montesquiou, les journées de cette longue marche se passaient sans que l'impératrice pût le voir. Cette princesse ne consentit à sortir de l'intérieur de ses appartemens que pour donner audience à M. le général Kinski, accompagné des comtes de Wrbna et de Tosi, chambellans de l'empereur d'Autriche, qui avaient été chargés de l'honorable mission de la recevoir aux bords du Rhin et de l'accompagner jusqu'à Schoenbrunn.

Ah! je vois bien que je ne suis plus roi, dit ce même jour le jeune prince, car je n'ai plus de pages. Accoutumé à jouer avec ceux d'entre eux qui étaient de service auprès de lui, il avait remarqué leur absence: heureux âge! des jeux enfantins étaient les seuls objets de ses regrets!

Les frais de poste du voyage à travers la France furent réglés ce jour-là par le baron de SaintAignan; ils s'élevèrent à une somme ronde de

50,000 fr. qui fut payée sur les fonds de l'impératrice à M. Carré, inspecteur des postes. Jusqu'aux bords du Rhin toutes les autres dépenses avaient également été acquittées avec les mêmes fonds; mais une fois hors de France, les frais de poste furent soldés par la maison d'Autriche : 24 voitures de toute espèce composaient le cortége.

Je passerai rapidement sur les événemens de ce voyage, et ne m'arrêterai qu'aux incidens qui me paraîtront avoir quelque intérêt : il me suffira de dire une fois pour toutes que les plus grands honneurs furent rendus à Marie-Louise jusqu'au terme de son voyage. Notre marche avait plutôt l'air d'un triomphe que d'une fuite; on eût dit, peut-être avec raison, que l'Autriche, forcée de préter momentanément une princesse adorée, célébrait son retour comme une conquête. Tous les souverains de Bade, de Wurtemberg, de Bavière, etc., dont nous traversions les extrêmes frontières, envoyèrent des députations de grandsofficiers de leurs couronnes....; il n'y manquait que des arcs de triomphe pour se croire encore sur le terrain fidèle et soumis de l'ancienne confédération du Rhin.

Après avoir admiré la fameuse chute du Rhin près de Schaffhouse, les beaux lacs de Zurich et

de Constance, nous arrivâmes dans le Tyrol. L'entrée de Marie-Louise dans Inspruck fut accompagnée de démonstrations encore plus éclatantes que dans les autres états. Les provinces du Tyrol à la suite du traité de Presbourg étaient échues en partage au roi de Bavière. Le sol était bien la possession de ce prince, mais l'affection et le cœur des Tyroliens appartenaient à la maison d'Autriche: accoutumés depuis des siècles à sa domination paternelle, ils supportaient avec peine ce changement de gouvernement. Leur joie fut d'autant plus vive à l'aspect de la fille chérie de l'empereur François, qu'ils avaient un espoir bien. fondé d'être rendus à ce prince, qui n'y levait que de faibles impôts 1. L'exercice de la souveraineté du roi de Bavière était certainement aussi modéré que celui de l'empereur d'Autriche; mais l'habitude, d'anciens souvenirs, et les mœurs vierges de cette nation fidèle n'admettaient aucun calcul. Dans leur enthousiasme, ils se livrèrent à tous les sentimens de leur ame; ils dételèrent, malgré les ordres de Marie-Louise, les chevaux de sa voiture et de celle de son fils, et les traînèrent, ou, pour mieux dire, les portèrent en poussant des cris de joie; et comme presque tous les habitans voulaient participer à cette bruyante ovation,

Une convention signée à Paris le 20 juin 1814, entre l'Autriche et la Bavière, fit rentrer la première dans la possession du Tyrol : elle fut confirmée par les actes du congrès de Vienne.

plusieurs d'entre eux furent grièvement blessés. Hélas! par un de ces contrastes singuliers que la Providence permet quelquefois pour montrer la vanité, l'instabilité des grandeurs humaines, à peu près à la même époque, l'époux et le père de ces objets si chers était exposé aux outrages, même aux plus grands dangers près des bords de la Durance!!

Je n'ai pas besoin de dire que les secours de toute espèce que l'impératrice fit distribuer aux familles des personnes qui avait été blessées, ajoutèrent un nouveau degré à l'exaltation des habitans d'Inspruck: le soir même, 200 Tyroliens réunis sous les fenêtres du palais, chantèrent en l'honneur de Marie-Louise leurs hymnes nationaux, sans autre accompagnement que leurs voix, avec un tel accord que jamais je n'ai rien entendu de plus extraordinaire et de plus ravissant que ces chants, devenus classiques dans toute l'Europe.

Le roi de Bavière n'avait rien changé à l'ordre établi dans le palais d'Inspruck, c'étaient le même mobilier, les mêmes décorations et les mêmes tableaux que la maison d'Autriche y avait fait placer. Par suite d'un usage constant et plein d'intérêt, la plus petite cérémonie à laquelle le souverain de l'Autriche assiste en personne, devient le sujet d'un grand tableau destiné à orner les palais impériaux.

Ces tableaux, dit-on, sont des portraits d'une ressemblance extrême, et sont une image fidèle TOME III.

2

des costumes et des usages du temps: je me rappelle avoir vu à Schoenbrunn plusieurs de ces tableaux représentant des entrées de souverains, etc.; dans l'un d'eux, c'était celui d'un carrousel, l'impératrice Marie-Thérèse était peinte courant la bague dans un petit char doré et à l'antique : elle était vêtue d'une jupe de brocart d'or, d'un habitveste de la même étoffe, et d'un petit chapeau à trois cornes bordé d'un galon en or; sa coiffure était celle d'un homme, et se terminait, je crois, par une double queue. L'un des tableaux du salon d'Inspruck représentait cette même impératrice dans une cérémonie plus grave et sous un costume des plus imposans: elle présidait un chapitre de l'ordre de Marie-Thérèse, la plus noble et la plus héroïque des institutions....; près d'elle était son jeune fils Joseph II, paraissant âgé de 10 à 12 ans. En examinant les traits de ce royal enfant, nous trouvâmes une grande ressemblance avec ceux du jeune Napoléon : S. M. partagea notre opinion et fit demander son fils; je le soulevai à la hauteur du tableau pour rendre l'observation plus facile, et dès lors cette ressemblance ne fut plus douteuse.

Le palais de Saltzbourg, d'après les ordres du roi de Bavière, fut préparé pour l'impératrice et pour toute sa cour. La princesse royale, aujourd'hui

« PreviousContinue »