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de tant de grandeur dans toutes les parties de l'administration d'un empire si vaste, qu'il serait bien temps en vérité que l'on ne demandât plus compte aux gens d'un enthousiasme qu'à peu près toute la France partageait alors avec tant d'abandon. D'ailleurs, depuis quelques années, tant de gens se sont chargés de la partie critique, qu'il doit paraître juste qu'une voix fidèle et reconnaissante fasse remarquer ce qu'il y a de louable.

On m'a encore reproché d'être entré dans des détails minutieux sur l'étiquette du palais : mais l'étiquette est de première rigueur dans les palais des souverains, elle existe dans tous, c'est un des ennuis du trône; et l'on a dit que l'une des causes de la révolution fut le mépris que l'on en fit à la cour de Louis XVI. En établissant une étiquette convenable dans sa cour, Napoléon ne fut certainement pas dirigé par un motif de vanité personnelle, car ses goûts étaient simples; mais il se flattait avec raison qu'un appareil imposant qui, à cette époque de la révolution, était une es

pèce de nouveauté. pour le peuple et pour le soldat, les disposerait insensiblement au respect et à l'admiration. Cependant cette grande magnificence ne régnait qu'autour de lui, et jamais dans ses habitudes; sa petite redingote de drap gris et son petit chapeau auront toujours une célébrité bien supérieure au fastueux étalage des broderies et de la pourpre.

Ma déférence pour la critique m'a fait supprimer, dans la seconde édition et dans celleci, le menu d'un des dîners de l'empereur. Cependant nous ne sommes pas trop fàchés de savoir que, sous le règne de saint Louis, un des officiers de la couronne était qualifié de poulailler du roi; et le bon roi René de Provence n'a pas moins de célébrité dans l'histoire par la procession des diables d'Aix, que par les perdrix rouges qu'il fit venir de l'île de Chio pour les naturaliser en France. Ces graves antécédens devaient me justifier.

Il m'a donc été facile de juger que les Mé

moires, qui ne sont que le négligé de l'histoire, ne laissent pas que d'être entourés de beaucoup de difficultés, et qu'il n'en est pas de ce genre d'écrits comme d'un ouvrage d'imagination, où l'auteur, dégagé de toute espèce d'entraves, se livre à ses idées, et est toujours assuré du succès quand il se renferme dans les limites que lui assignent le goût et une saine morale. Celui qui raccnte des anecdotes historiques est sans cesse arrêté par la crainte de substituer ses idées aux faits, ses propres illusions à la vérité, et ses affections à la sévérité.. Les recherches et les vérifications l'embarrassent et le refroidissent presque toujours; alors il n'y a plus d'inspiration.

Entraîné volontairement dans un mouvement rapide qui ne laissait à mon esprit ni le calme ni la suite nécessaires, j'ai dû employer les plus grands efforts de mémoire afin d'être d'une exactitude rigoureuse: si donc j'ai commis quelques erreurs, c'est bien şans le vouloir. L'empressement que j'ai mis à profiter des observations qui m'ont été faites doit me

faire trouver grâce, car je ne suis point de ces gens qui prétendent avoir toujours raison, et avoir jugé d'avance tous les événemens. Mes deux premiers volumes ont été écrits avec conscience et sans passion. Les mêmes sentimens se retrouveront dans ces dernières pablications sur ce qui s'est passé au-delà du Rhin. Étranger à la langue du pays, jeté par

les circonstances au milieu des rivalités européennes, sans autre mandat que mon dévouement à une auguste princesse, réduit à observer de loin, à connaître les effets sans pouvoir éclaircir les causes...., je n'ai pu présenter que des conjectures sur le grand épisode de 1815. Le lecteur jugera lui-même de leur mérite. J'ai pensé que dans ces crises violentes qui atteignent les empires comme les individus, il pouvait être permis de raisonner par supposition, et de chercher l'inconnu parmi toutes les combinaisons des faits les plus graves et les mieux connus. Ces recherches sur cette mystérieuse fatalité qui pèse sur le monde, ont souvent produit d'étranges découvertes; il est même

arrivé plus d'une fois que des esprits faux ont raisonné juste, parce que des circonstances imprévues amenaient des résultats contraires à toutes les probabilités. Certainement on aurait voué au ridicule celui qui, à l'ouverture de la campagne, au mois d'août 1812, aurait dit: Cinq cent mille braves, superbes, forts de santé, d'énergie et de courage, vont franchir le Niemen, et refouler l'ennemi jusqu'au centre de ses affreux climats....; et, avant la fin de la même année, 30 degrés de froid amenant avec eux la destruction et la mort, feront écrouler avec un fracas épouvantable cette vaste puissance à laquelle, dans les âges du monde, rien ne peut être comparé! Les misérables remparts du Kremlin étaient-ils donc si voisins du rocher de Sainte-Hélène ? quel homme raisonnable aurait pu l'imaginer ? et pourtant!!

Depuis la publication des deux premiers volumes de cet ouvrage, il m'a été fourni plusieurs anecdotes peu connues, et qui, par leur nature, rentrent naturellement dans le cercle

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