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CHAPITRE XIL

XII.

LA PERDRIX.

De la perdrix entendre faut
Qu'elle est lubrique grandement
Et conçoit naturellement
Par l'aleine du masle chaud.
La perdrix denote une femme
Mondaine lubrique et charnelle
Qui au détriment de son âme
Attire les paillards à elle.
Le sire de GARGAS (1).

La perdrix s'accouple au mois de mars; elle pond au mois de mai, quelquefois à la fin d'avril. A la SaintJean, perdreau volant: c'est un vieux proverbe dont elle prouve l'exactitude chaque année. Du moment

(1) La description philosophale de la Nature et conditions des oyseaux, avec figures et portraictures au naturel, par le sire de GARGAS. Paris, 1609.

que les petits sont éclos, le père, la mère et les enfants marchent, volent ensemble; on les appelle du nom collectif de compagnie.

Malheureusement la perdrix fait son nid dans les luzernes, trèfles et sainfoins; elle préfère souvent les prairies artificielles, parce que, poussant plus vite, elles lui présentent plus tôt un abri; mais la fauchaison arrive lorsque bien des petits ne sont pas encore éclos, et la couvée est perdue. Hélas! pourquoi cet intéressant oiseau n'a-t-il pas assez de prévoyance pour faire toujours son nid dans les blés! Ses œufs ne seraient point ramassés par les faucheurs, et nous tuerions bien plus de perdreaux.

Les chasseurs-propriétaires achètent les œufs ainsi trouvés, les font couver par des poules, et du moment que les perdreaux sont en état de se suffire, ils les mettent dans les blés. Ils les lâchent par dix ou douze dans les lieux où se trouvent d'autres couvées; bientôt ces nouveaux venus sont admis par la mère, qui s'enorgueillit de sa nombreuse famille. Il vaut cependant mieux les lâcher avec la poule qui les a couvés; mais il faut porter le panier aussi loin que possible de la ferme. S'ils ont été couvés par une perdrix, il ne faut pas ouvrir la cage avec la main, la mère aurait peur et irait au bout de l'horizon. Il faut poser l'appareil près d'un blé, aller vous blottir à quelques cents pas, et un quart d'heure après lorsque vous supposez que l'effroi causé par votre présence a dû se calmer, vous tirez tout doucement une ficelle qui enlève le couvercle, et vos oiseaux se sauvent ensem

ble sans se presser. Les perdrix dont les œufs ont été pris par les faucheurs font souvent un autre nid qui réussit bien, et qu'on appelle recoquée; mais les perdreaux d'une recoquée deviennent rarement des perdrix. Le mois de septembre arrive avant qu'ils aient assez de force pour se sauver; les chiens les prennent; et les mauvais chasseurs, incapables de tuer un perdreau vigoureux, ne rougissent pas de fusiller ces petits malheureux, gros comme une alouette; et puis ils se vantent d'avoir tué des perdreaux! Les misérables! ils ont commis un crime. On peut les comparer au lâche soldat qui, dans une ville prise d'assaut, égorge l'enfant à la mamelle, pour teindre son sabre de sang et se donner l'air d'un brave. « J'ai coupé le bras d'un Autrichien à la bataille de Wa«gram, disait certain conscrit. Il valait mieux lui couper la tête, lui répondit-on.

"

Sans doute,

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Tous les animaux ont de la tendresse pour leurs petits celle de la perdrix est extrême. Sans cesse aux aguets, elle écoute, regarde, appelle ses enfants, les couvre de ses ailes, ou part avec eux. Mais s'ils ne sont pas assez forts pour fuir, c'est alors que son instinct maternel trouve une ruse sublime. La Fontaine l'a trop bien décrite pour que je l'essaie après lui:

Quand la perdrix

Voit ses petits

En danger et n'ayant qu'une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,

Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile,

Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,

Détourne le danger, sauve ainsi sa famille;

Et puis quand le chasseur croit que son chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit

De l'homme qui, confus des yeux en vain la suit.

J'ai vu souvent cette scène intéressante, je la vois tous les ans se renouveler; j'ai toujours respecté la mère et les enfants, et je mépriserais souverainement le chasseur qui, sans pitié, tuerait une perdrix dans cette circonstance.

Lorsque le printemps est pluvieux, les couvées manquent souvent; l'eau couvre les sillons, les œufs sont mouillés, et le pauvre perdreau meurt sans avoir vu le jour.

Ut flos ante diem flebilis occidit.

La grêle, les orages en détruisent beaucoup, malgré la tendre sollicitude et l'aile protectrice des mères. Que d'ennemis dont le perdreau doit éviter l'influence ou les poursuites! Au premier rang il faut placer la pie. La pie est l'oiseau qui détruit le plus d'oiseaux : son œil perçant découvre les nids au fond des taillis, sur les arbres et dans les blés; elle mange tout, œufs et petits, s'il s'en trouve; et puis quand, à force de bonheur ou de ruses, les perdreaux échappent à tant de dangers, l'homme arrive armé du fusil, précédé par le chien, et suivi du fatal tournebroche.

On ne commence la chasse aux perdreaux que lorsqu'ils sont parvenus à leur grosseur, quand ils ont

quitté leurs premières plumes et qu'ils sont maillés. De même qu'à la guerre on reconnaît un droit des gens, une loi d'honneur que tous les généraux respectent, à la chasse il existe certaines règles que doit toujours suivre un chasseur consciencieux. Tuer un pouilleux, c'est manger son blé lorsqu'il est en herbe, c'est se priver d'un plaisir futur, c'est commettre un crime de chasse. Et d'ailleurs, à quoi ce pouilleux peut-il servir? Sans goût et sans saveur, on le jette dans la gouttière pour qu'il devienne la pâture du chat. Bien plus, c'est se donner un ridicule, et, chez nous autres Français, un ridicule est quelque chose. Lorsque arrivés au rendez-vous, les chasseurs étalent avec orgueil le fruit de leurs travaux, les plaisanteries, les quolibets pleuvent sur le maladroit, l'assassin, et pendant le dîner il sert de plastron à tous les sarcasmes de la bande joyeuse.

Et puis un pouilleux ne compte pas comme pièce tuée dans l'inspection sévère que chacun fait de la carnassière de son voisin, car il s'agit de nommer roi de la chasse celui qui montre le plus de preuves d'adresse, un pouilleux, un levraut, un lapereau de lait, sont considérés comme rien. Il faut du gibier de bon aloi; poil ou plume, il doit être au moins dans l'adolescence et jamais d'extrême jeunesse; il faut que ses ailes ou ses jarets puissent le dérober à vos coups. Dans ce contrôle mutuel, essentiellement moral, on a pour but de flétrir les mauvaises actions, c'est le meilleur moyen pour empêcher de les commettre.

Les chasseurs à l'eau rose qui tuent un perdreau

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