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On fait cette chasse en bateau, mais il faut souvent mettre pied à terre sur les bords, et ces bords sont fangeux; on y entre quelquefois jusqu'aux genoux. Si tout cela ne vous effraie pas, chassez au marais, vous aurez du plaisir pour votre argent. Aucune espèce de chasse n'offre plus de variétés, plus d'épisodes piquants. J'ai vu des râles qui, par la multiplicité de leurs ruses, ont fourni matière à la conversation pendant un long dîner de chasseurs.

Les râles sont tous difficiles à lever et faciles à tirer. Lorsqu'on chasse dans un marais fréquenté par ces oiseaux intéressants, il est aisé d'en faire une bonne récolte. Si l'un ne veut pas partir, on en cherche un autre plus accommodant; on se rattrape sur la quantité.

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« Une admirable Providence se fait remarquer « dans les nids des oiseaux. On ne peut contempler, «sans être attendri, cette bonté divine qui donne « l'industrie au faible, et la prévoyance à l'insouciance. Aussitôt que les arbres ont développé leurs fleurs, mille ouvriers commencent leurs travaux. Ceux-ci portent de longues pailles dans le trou d'un « vieux mur, ceux-là maçonnent des bâtiments aux « fenêtres d'une église ; d'autres dérobent un crin à << une cavale, ou le brin de laine que la brebis a laissé suspendu à la ronce. Il y a des bûcherons qui croi<< sent des branches dans la cime d'un arbre; il y a « des filandières qui recueillent la soie sur un chardon. Mille palais s'élèvent, et chaque palais est un nid, etc. "

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Si Châteaubriand, à qui nous empruntons cette citation, avait vu, comme nous, le nid d'un râle marouette, il eût été certainement ravi d'admiration, et nous aurions une belle page de plus. Je me baignais dans la Marne, Flore était avec moi; suivant son habitude, elle cherchait un chien cherche toujours. Tout à coup elle tombe en arrêt dans des roseaux qui bordent une île; je m'approche et je vois.... le plus joli spectacle que la nature puisse offrir aux yeux d'un homme.

Figurez-vous un petit bateau, fort bien fait, amarréprès du rivage; la corde le retient, l'eau ne peut lui donner qu'un léger balancement; dans ce bateau, placez une jolie mère de famille entourée de jolis enfans voilà ce que je vis dans des proportions infiniment réduites.

Le bateau, construit avec des feuilles de rosean artistement tressées, avait une charpente solide. Attaché par la poupe à la tige tremblante d'un arbuste, le câble qui le retenait présentait autant de garantie à la nacelle en miniature, que ceux qu'on fabrique à Toulon pour les vaisseaux de haut-bord. Les pluies pouvaient gonfler la rivière, la sécheresse pouvait la faire baisser, sans que le bateau pût s'en ressentir. Il devait monter, descendre, l'eau devait servir pour le tenir à flot sans lui nuire. Au milieu de cette jolie embarcation, une mère couvait ses petits, elle tremblait déjà devant Flore, mon arrivée augmenta sa terreur; mais, ferme à son poste, la tendresse maternelle eut le dessus. J'admirai ce tableau ravissant,

Je pris Flore dans mes bras, je l'enlevai doucement en arrière, et la pauvre mère fut délivrée de notre présence.

Quand on songe que cette nacelle tressée avec des⚫ roseaux, attachée au rivage, garnie de mousse, de plumes, de crins, avait été faite par un petit bec et deux pattes; quand on songe au travail pour couper les roseaux, les entrelacer, faire des nœuds, à de si petits moyens pour un si joli résultat, on n'a plus rien à dire il faut admirer et se taire.

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Tous les râles fournissent au cuisinier une matière première, délicate et de haute saveur. Les anciens Romains avaient donné aux râles l'épithète de epulum regium, mets royal. De regium, les Italiens ont fait real et nous en avons fait râle, car le mot ralla que j'ai cité plus haut n'est que dans les auteurs de la basse latinité. Préparés à la casserole, l'arôme des râles se développe mieux; la broche les dessèche trop souvent. Je conseillerai toujours aux amateurs de les manger en salmis, assaisonnés aux truffes ou bien aux champignons. Cependant si l'on veut les rôtir, ils sont excellents, mais il faudra l'œil du maître pour les surveiller. Ne vous fiez jamais aux soins de votre cuisinière, une distraction vous causerait un notable dommage, vos râles seraient trop cuits, et alors autant vaudrait servir à vos convives une ignoble brochette de moineaux francs.

CHAPITRE XVI.

LA BÉCASSE.

Cùm nemus omne suo viridi spoliatur honore,
Præda est facilis et amana scolopax.
NEMESIANUS.

Il existe plusieurs espèces ou variétés de bécasses; comme elles ont toutes les mêmes habitudes, qu'on les trouve aux mêmes endroits, à peu près aux mêmes époques, nous les désignerons sous le nom générique de bécasses.

Cet oiseau de passage habite les hautes montagnes; c'est là qu'il élève ses petits. Vers le mois d'octobre, il descend dans les bois, préférant ceux qui renferment des étangs, des mares, des marais. Les vents d'est et de nord-est sont ceux qui nous amènent le plus de bécasses, surtout lorsqu'ils sont accompagnés de brouillards. On trouve la bécasse dans les lieux

où des amas de feuilles mortes ont produit une espèce de terreau. Elle y cherche les vers qui lui servent de pâture, puis elle va faire sa toilette sur le bord d'une mare, en se lavant les pattes et le bec.

La bécasse ne fait pas de longs voyages comme le canard ou l'hirondelle; changeant de climats sans changer de contrées, quittant les hautes montagnes pour les bois, les bois pour les montagnes, elle fait, dans un sens vertical, le chemin que les autres font horizontalement (1).

On chasse fort bien la bécasse au chien d'arrêt, il faut avoir le soin d'attacher un grelot au cou du chien; sans cette précaution vous ignoreriez s'il s'arrête, car dans un bois on ne le voit pas toujours. Lorsque vous n'entendrez plus le grelot, dirigez-vous vers l'endroit où peu de temps avant il retentissait encore, et vous trouverez votre chien immobile vis-àvis de l'oiseau. La bécasse garde bien l'arrêt, elle part sous les pieds du chasseur; la seule difficulté qu'elle

(1) « La bécasse est un oyseau se tenant l'été ez haultes montaignes des Alpes, Pyrenées, Souisse, Savoye et Auvergne, où les avons veues en tems d'été; mais elles partent l'hiver pour venir chercher pâture ça bas par les plaines et bois taillis, et d'autant qu'il y a de telles haultes montaignes en Grèce, ce n'est étrange qu'Aristote n'ait dit qu'elles sont passagères; et de fait, la bécasse ne ressemble les autres qui s'en vont du tout hors de la région, en tant qu'elles changent seulement leur demeure: l'été en la montaigne, et l'hiver ez plaines, là où tandis que les haultes montaignes sont congelées, hantant les sources chaudes et autres lieux humides pour paturer, tirent les achées, qu'on dit autrement verms, hors de terre avec leur long bec; et pour ce faire, volent soir et matin, faisant leur demeure le jour aux lieux couverts, et la nuit découverts.

BELON, Nature des Oyseaux, page 273.

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