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veut toujours toucher la pièce qu'il tue, quand même ce serait un rat. Il se déshabille et se jette dans la rivière; il nage, il nage après son cul-blanc; vingt fois il est prêt à l'atteindre, mais l'eau qu'il pousse en nageant fait avancer l'oiseau; souvent celui-ci disparaît dans les flots d'écume; enfin de nouveaux efforts amènent la victoire, et le cul-blanc est pris. Le chasseur nage vers le bord, sa proie dans une main, tel le Camoëns portait la Lusiade au-dessus des vagues de la mer.

En suivant le cours de la rivière notre nageur avait fait bien du chemin; il regarde et voit son chien, son fusil, sa carnassière fort loin. Comment les joindre? dans l'eau c'est impossible; pour remonter le courant il n'a plus la force nécessaire. Revenir à pied, tout nu, ce n'est ni agréable ni décent; mais il faut opter il prend ce dernier parti. Bravement il se lance au milieu des rires des moissonneurs, il court, il galope; au moment de toucher au port il croit pouvoir s'habiller, ses vêtements ont disparu, quelque passant les a volés. Le chasseur les avait posés loin du fusil et de sa carnassière, et le chien ne pouvait pas tout garder. Concevez-vous les tribulations de ce pauvre homme? Il crie, il appelle, il promet sa bourse qu'il n'a plus à celui qui rapportera ses habits, l'écho seul répond à sa voix. A la fin un coucou (1) passa sur la route, le cocher répon

(1) On appelle ainsi des voitures fort sales, fort incommodes, où les Parisiens s'entassent dix ou douze quand ils vont s'amuser à la campagne.

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dit aux cris de détresse, il partagea sa défroque avec le chasseur, qui rentra dans Paris tout penaud; il avait perdu sa blouse, son pantalon, sa chemise et même ses souliers, mais en revanche il put montrer son cul-blanc.

Le chien arrête fort bien l'alouette, et son arrêt serait aussi ferme que pour la caille et le perdreau, si le chasseur l'y maintenait, s'il tirait à chaque fois, et s'il lui faisait rapporter des alouettes mortes. Mais lorsque le chien marque de faux arrêts sur ces oiseaux, le chasseur le gronde, et bientôt il ne s'en occupe plus.

Pour un apprenti chasseur, le tir de l'alouette au départ est un bon exercice que l'on peut répéter souvent, car on rencontre des alouettes à chaque pas, dans certaines saisons. Il faut de la promptitude, du coup d'œil, pour bien tirer cet oiseau, qui certainement est plus difficile à tuer que la caille ou le perdreau. Ce n'est plus comme l'hirondelle qui passe et repasse devant vous, et que vous tirez quand vous voulez; il faut ici saisir le moment; une fois l'occasion perdue, vous ne la retrouvez plus.

Dans les contrées où le gibier n'est pas abondant, la chasse de l'alouette au miroir est un plaisir que l'on prend faute d'autres. Dans les pays giboyeux, lorsque les perdrix ne sont plus abordables, on chasse aux alouettes, et c'est assez amusant. Soit coquetterie, soit curiosité, l'alouette aime à s'approcher d'un objet brillant; elle regarde et se mire en chantant.

Dubartas a fait les vers suivants pour imiter le chant

de l'alouette.

La gentille alouette crie son tire lire,
Tire lire à liré, et tire tiran lire,

Vers la voûte du ciel; puis son vol vers ce lieu
Vire, et désire dire: adieu Dieu, adieu Dieu.

On fait des miroirs qui tournent seuls et marchent comme une pendule, par l'effet d'un mouvement d'horlogerie. Ils sont fort commodes, mais l'éclat qu'ils répandent est trop uniforme. Je préfère l'ancien miroir dont se servaient nos pères, et qu'un cordeau fait agir. Suivant que le soleil est fort ou faible, on peut ralentir ou bien accélérer le mouvement. Cette chasse se fait le matin au mois d'octobre par un temps clair; elle dure jusqu'à deux heures. Un seul miroir peut suffire à plusieurs tireurs, si le passage des alouettes est abondant. Lorsque le temps est sombre, on peut, au lieu de miroir, se servir d'une chouette, les alouettes arriveront plus facilement encore. Quand elles ont vu le feu, le miroir ne les attire presque plus, mais l'envie de chercher noise au hibou les fait passer sur toutes les considérations. C'est une des chasses où l'on brûle le plus de poudre; comme il est important de charger vite, on fera bien de se servir de cartouches.

Si l'alouette est difficile à tirer au départ, c'est tout le contraire lorsqu'on la tire au miroir; elle papillonne, elle bat des ailes sans changer de place: c'est comme si l'on tuait un oiseau posé sur une branche. Cette chasse est fort agréable aux dames qui ne crai

gnent pas de s'armer d'un fusil. Une brochette d'alouettes grasses et dodues a bien son mérite; il ne faut pas les vider; la rôtie est de rigueur. Je sais bien qu'avec des alouettes on apaise difficilement une faim dévorante, mais on les sert après des mets plus substantiels, et d'ailleurs on se rattrape sur la quantité.

Nous étions un jour en plaine, et nous regardions dans le lointain un chasseur qui semblait vouloir sauter un fossé. Notre homme retirait sa jambe droite en arrière, comme pour prendre son élan, et puis il s'arrêtait. Il sautera, dit l'un; il ne sautera pas, dit l'autre; et le mouvement recommençait toujours.

Il faut que le fossé soit bien large, dis-je alors, pour qu'il hésite si longtemps. - Il est tout petit, dit l'un; -il est très-profond, dit l'autre; il est sec, il est plein d'eau, il est.... Bref, en avançant, nous voyons un honnête chasseur d'alouettes qui faisait tourner son miroir avec une ficelle attachée à sa jambe; il ne cherchait nullement à sauter un fossé, car il n'y en avait pas.

CHAPITRE XX.

ANIMAUX NUISIBLES.

Dolus an virtus, quis in hoste requirat?

VIRGILE.

Dans l'intérêt général, et dans son intérêt particulier, un chasseur doit chercher à détruire tous les animaux qui font la guerre au gibier. Ce sont des braconniers, ce sont des rivaux qui nuisent à ses plaisirs; s'il trouve l'occasion de tirer la belette ou le lapin, la perdrix ou l'épervier, il doit toujours tuer l'animal destructeur, il retrouvera les autres plus tard.

Si vous rencontrez un chat dans une luzerne, dans un bois, loin des habitations, tuez le chat; il guette les jeunes perdreaux, c'est pour lui viande trop délicate; qu'il prenne des souris. Lorsque le chat a goûté le gibier, il dédaigne toute autre nourriture;

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