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CHAPITRE III.

HABILLEMENT DU CHASSEUR.

L'homme bien vêtu qui tire mal ou ne tire pas, le limier qui s'arrête, le chien d'arrêt qui court, le lévrier qui dort, sont quatre bêtes inutiles.

(Traduction d'une vieille légende espagnole.)

Pour se déguiser en chasseurs, les élégants n'épargnent rien. Semblables aux coquettes, ils ont des négligés qui coûtent plus cher que des toilettes de bal, et cela dans l'espoir que les dames en perdront le repos et l'appétit, que leur teint se fanera, qu'elles en mourront peut-être, comme il arrive tous les jours, ainsi que chacun sait. Et puis quand ils ont vu les ravages causés par leur costume, quand au rose de deux belles joues a succédé la couleur hâve et plombée, ces messieurs triomphent.... Oh! les scélérats! Pauvres femmes, que je vous plains!

Les plus beaux à la chasse sont toujours les moins adroits les plus belles carnassières sont toujours à peu près vides: c'est le résultat de mille observations. Règle générale: il faut que le chasseur soit parfaitement libre dans ses mouvements, qu'il ne soit gêné d'aucune manière; cette condition remplie, il peut choisir la forme et la couleur de ses vêtements. Toutefois, je me permettrai quelques conseils, ma longue expérience m'en donne le droit.

Commençons par les souliers. Ils doivent être forts, souples, assez grands pour que le pied soit bien à l'aise. Il faut que la semelle ait une saillie de 9 ou 11 millimètres qui dépasse l'empeigne; de cette manière, les cailloux que l'on rencontre en marchant vite sont repoussés; on n'a pas besoin de choisir la place où posera le pied, on va toujours sans jamais se blesser.

La guêtre en peau de veau doit bien emboîter la jambe et le pied; il faut que chacun la fasse confectionner pour soi; rarement une guêtre faite d'avance va bien. Elle doit monter jusqu'à la naissance du mollet chez les chasseurs à mollets, ou jusqu'à sa place chez ceux qui n'en ont pas. Quand on chasse dans des taillis pleins d'épines, ou dans des landes, la grande guêtre montant sur le genou devient indispensable.

Le pantalon de toile ou de drap, suivant la saison, tombant sur la guêtre, si le temps est sec, ou ployé dans la guêtre, s'il pleut; car, dans ce cas, le pantalon flottant ramasse beaucoup de boue, ce qui rend la marche lourde et fort désagréable.

Le gilet de flanelle sur la peau, quelque temps qu'il fasse; plus il fait chaud, plus il devient nécessaire. C'est une règle d'hygiène qu'on ne regrettera point d'avoir suivie; elle empêche les rhumes, les fluxions de poitrine, et donne la faculté de se reposer sous un arbre sans crainte de se refroidir.

La chemise de bonne et forte toile, moins facile à s'imprégner de sueur que celle en percale, en calicot, résiste mieux aux grands mouvements des bras, ne se déchire jamais, se colle moins sur la peau; trois avantages que n'ont point les tissus de coton, surtout quand ils sont mouillés.

Les bretelles en caoutchouc blanc ou bien en coton blanc; cette couleur est préférable pour que la chemise ne soit point marquée d'une croix peinte sur le dos. Les bretelles avec élastiques de cuivre doivent être toujours rejetées. Le cuivre s'oxyde par la sueur, et la chemise est teinte au vert de gris.

La cravate légère, flottant autour du cou sans être serrée, ou, ce qui vaut encore mieux, pas de cra

vate.

Et puis la blouse bleue, la blouse d'origine grecque, romaine, gauloise, est le vêtement par excellence. Il a traversé les siècles, a vu toutes les modes naître et mourir; il fut le premier habit de l'homme, c'est un habit naturel. Le premier tissu fabriqué devint probablement une blouse; l'art du tailleur a commencé par là; depuis on a fait de plus jolies choses, mais jamais de plus commodes; aussi la blouse est restée, elle restera jusqu'à la consommation des siècles.

Les vestes, les redingotes de chasse qui dessinent la taille, rendent les mouvements des épaules, des coudes, moins libres. Ce qu'elles vous donnent en élégance, elles vous l'ôtent en commodité: je conseille donc la blouse, la blouse de toile, la blouse de toile bleue. Celles en coton se déchirent trop facilement quand on traverse un fourré; la pluie glisse moins pardessus. Celles de couleur claire sont trop vite sales, et lorsqu'on vient de tuer un lièvre, il est assez désagréable d'avoir l'air d'un garçon boucher. Je conseille la couleur bleue, parce que le gibier la connaît plus qu'une autre. Les laboureurs, les bûcherons, les charretiers portent presque en tout pays des blouses bleues. Ces gens-là, quand ils travaillent, ne font pas peur aux perdreaux qui viennent souvent manger tout près d'eux, et quelquefois en labourant, maître Pierre tire son fusil rouillé qui fait un grand ravage au milieu de la compagnie. La blouse de toile est bonne en toute saison; mais en hiver direz-vous, elle sera trop froide. C'est surtout en cette saison qu'elle est préférable. En mettant par-dessous un bon gilet de laine, ou deux chemises, on a suffisamment chaud, et quelle différence avec une veste de drap, dont les plis nuisent toujours à la promptitude des mouvements.

Terminons par la coiffure. La casquette à visière est bonne en automne, en hiver, quand le soleil n'est pas très-chaud, lorsqu'il fait du vent ou que le temps est brumeux. Au mois de septembre, si le soleil darde ses rayons brûlants sur votre tête, la casquette ne peut garantir ni votre cou ni vos joues; prenez alors

le chapeau de feutre blanc à grands bords plats, larges de 10 centimètres.

Je sais que nos fashionables lèveront les épaules en me lisant, si tant est qu'ils me lisent; ils renonceront difficilement aux boutons ornés de têtes de loup, de hures de sangliers. La chasse, pour la plupart d'entre eux, n'est qu'une occasion de paraître avec avantage sous un costume élégant, nouveau, pittoresque, en présence de belles dames qui les accompagnent en calèche ou les attendent au retour. Ceux là courent d'autre gibier que le lièvre et la perdrix; ils font de la galanterie, ils ne sont pas chasseurs. Cependant je leur dirai que toujours de l'élégance n'est pas de l'élé. gance; on fait peu d'impression quand on est toujours beau, toujours frais, tiré sans cesse à quatre épingles. Les contrastes produisent bien plus d'effet; celui qu'on a vu le matin vêtu comme un roulier, gagne beaucoup au salon, quand il a repris son habit coupé par Blain, son pantalon dessiné par Schwartz, et son gilet exécuté par Blanc, car je sais qu'un jeune homme qui se respecte doit avoir trois tailleurs. Et la chose est facile à comprendre l'homme ne vit pas assez longtemps pour s'illustrer dans plusieurs arts, heureux si dans un seul, en travaillant toujours, il réussit à se faire un grand nom, à devenir une célébrité de son époque, et de même qu'un habile chimiste ne peut être à la fois bon peintre et fameux astronome, un tailleur, après avoir médité les contours gracieux du'gilet, n'a plus de sève pour aller jusqu'aux mystères du pantalon. Je vais vous prouver à ma ma

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