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qu'après. La capsule mise d'avance empêche l'air, repoussé par la charge, de sortir, et la cheminée pleine d'air ne se remplit pas de poudre. Lorsque vous n'avez tiré qu'un coup, ayez toujours la précaution d'abattre le chien du côté qui n'est point parti; dans tous les cas, en chargeant votre arme, tenez le bout de vos canons le plus loin possible de votre tête.

Quand vous chargez un côté, ne laissez jamais la baguette dans l'autre. Un grain de plomb peut s'engager entre la baguette et le canon, et vous ne pourriez plus la retirer. Ce manque de soin m'a fait perdre une fois la plus belle journée de chasse. Je suis revenu tout seul, la carnassière vide,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris.

J'ai dû faire porter mon fusil chez l'armurier. Si les deux coups sont déchargés, il faut toujours les recharger ensemble. Si pour être plus tôt prêt, on n'en chargeait qu'un seul, il pourrait arriver que plusieurs grains de plomb, tombant dans le canon vide, fissent rater le fusil lorsque plus tard on le chargerait. Il faudrait alors décharger au tire-bourre, et loin de gagner du temps, on en perdrait. Lorsqu'on n'a tiré qu'un seul coup, et qu'on vient de le charger, il est bien de glisser la baguette dans le canon qui n'a pas fait feu, pour appuyer la bourre. Souvent il arrive qu'elle est déplacée par l'effet de la commotion voisine, ce qui peut occasionner de graves accidents.

Au mois de septembre, quand il fait très-chaud,

les canons du fusil deviennent brûlants lorsqu'on a tiré quelques coups; il faut alors diminuer la charge de poudre, elle produira des effets plus forts que la charge ordinaire par un temps froid. Si vous ne preniez pas cette précaution, la violence du coup serait tellement grande, que le chien du fusil reviendrait sur lui-même jusqu'au cran du repos. La force de la poudre est augmentée par le soleil qui desséche toutes les parcelles humides qu'elle renfermait. Ce principe une fois reconnu, lorsque le temps est pluvieux, il est bien d'augmenter la charge.

Règle générale quand vous ferez usage du tirebourre, ôtez toujours vos capsules. Il ne suffit pas d'abattre les chiens; quelquefois la baguette éprouve de la résistance, on ne peut pas la retirer tout seul, on se fait aider par quelqu'un l'un tire la baguette, l'autre tient le fusil. Dans ce mouvement de va-et-vient, un caillou, une branche d'arbre, touche le chien; il se relève de la moitié d'un cran, il n'en faut pas tant pour le faire partir. A ce sujet, je dois vous dire que les armuriers de Paris ont inventé un cran de sûreté pour prévenir cet accident. J'engage les chasseurs à le faire adapter à la platine de leur fusil.

Vous avez chargé, voyez [si la poudre garnit l'intérieur des cheminées; dans le cas contraire, introduisez-en quelques grains; posez vos capsules, assurez-les en abattant les chiens sans secousse; armez, et marchons.

CHAPITRE V.

LE VENT, LA MARCHE.

Pour être bon chasseur, il ne s'agit pas seulement de savoir bien tirer, il faut encore savoir bien chasser.

Aphorisme du professeur.

Commencez d'abord par prendre le vent, c'est-àdire que, s'il vient du nord, il faut marcher vers le nord; s'il vient du midi, vous devez marcher vers le midi; vous feriez de très-mauvaise besogne en manoeuvrant d'une autre manière: deux inconvénients graves en seraient la suite nécessaire; le gibier entendrait le bruit de vos pas, et votre chien ne sentirait point le gibier. Le contraire arrive lorsqu'une brise légère frappe en plein votre visage; elle apporte au nez du chien les particules odorantes émanées du lièvre ou de la perdrix: semblable au mineur qui

suit dans la terre un filon de métal, le chien suit cette ligne invisible d'atomes impalpables, et trace votre marche. Si vous pouvez chasser partout, vous devez suivre cette règle d'une manière absolue; mais si le terrain où vous manœuvrez se trouve borné par des limites que vous ne devez pas franchir, elle est susceptible d'exceptions. En suivant des perdreaux au vent, si vous êtes assez près des terres du voisin pour craindre qu'ils aillent s'y réfugier, marchez en sens contraire, poussez-les au loin sur les vôtres, là, reprenez le vent, tirez, et vous aurez encore la faculté de les revoir à la remise. Si vous agissiez différemment, le premier coup de fusil vous priverait de vos perdreaux, que vous ne reverriez plus de la journée, à moins que le voisin ne voulût vous rendre le même service. Je sais bien qu'en manœuvrant ainsi vous avez peu de chances de tirer les lièvres, mais aussi vous ramassez vos perdreaux chez vous, et bientôt la guerre recommençant d'une manière sérieuse, vous en ferez une ample récolte.

Il ne s'agit pas d'aller loin, il faut beaucoup marcher, explorer toutes les pièces, ne rien oublier, ne pas laisser une touffe d'herbe sans la visiter. Vous venez de battre à bon vent une pièce de luzerne; si tout près il s'en trouve une autre, il ne faut pas la descendre à mauvais vent; il vaut mieux revenir par la pièce déjà battue pour remonter à bon vent dans la nouvelle pièce. Ces marches et contre-marches sont toujours nécessaires et souvent très-utiles; le lièvre qui n'est point parti la première fois, déboule à la

seconde, et vos pas sont bien payés. Je ne demande point pardon à messieurs de l'Académie pour le mot débouler, il est technique, il dit fort bien ce qu'il veut dire. Pourquoi l'ont-ils oublié dans la dernière édition de leur Dictionnaire (1)?

Quand la pièce est large et longue, on la prend à plusieurs fois en descendant toujours par l'endroit déjà battu, car il ne faut jamais marcher qu'à bon vent sur le terrain vierge, en ayant cependant égard à ce que nous avons dit plus haut relativement au voisin. On peut aussi prendre la pièce en travers; dans ce cas, vous présentez au vent tantôt le côté droit, tantôt le côté gauche, en traçant des zigzags de vingt-cinq à trente degrés. Lorsqu'on a beaucoup de terre à parcourir, cette méthode est bonne, mais si vous en avez peu, ne la suivez jamais.

Dans ce cas, il faut économiser et ne pas gaspiller. Arrêtez-vous de temps en temps, soyez tout yeux et tout oreilles. Un chasseur qui marche toujours passera dix fois près d'un lièvre qui ne bougera point. Ce mouvement régulier de ses pas est loin de l'effrayer; mais s'il s'arrête, le lièvre part aussitôt. On comprend facilement le calcul du lièvre, si toutefois le lièvre calcule; je le crois, puisque La Fontaine nous a dit qu'il songeait. « Les premiers pas ne m'ont fait aucun mal, les seconds non plus, peut-être les autres feront de même; voilà comment raisonne le lièvre. On a marché, je n'ai pas eu de mal, on ne me voit

(1) Pour ce mot et pour beaucoup d'autres, voyez le Vocabulaire à la fin du volume.

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