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queriez, et ceci répété souvent dégoûterait votre chien, qui vous quitterait peut-être. Un de mes amis, profane s'il en fut, me prie un jour de lui prêter mon chien: on ne doit prêter ni sa femme, ni son cheval, ni son chien; mais moi qui suis doué d'une grandeur d'âme peu commune, je pousse la magnanimité jusqu'à lui confier Médor, l'illustre Médor, le meilleur des chiens,

Quo non præstantior alter,

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pour quêter, arrêter, rapporter poil et plume. Ces messieurs partent; une heure après, Médor revient tout seul et va se blottir dans sa niche. Bientôt le chasseur arrive. Votre chien m'a quitté. Je le sais; il m'a dit que vous aviez manqué cinq ou six coups de suite. C'est vrai. Parbleu! j'en étais sûr. Un chien chasse pour son plaisir, bien plus que pour le vôtre; amusez-le, si vous voulez qu'il

Vous amuse.

Je n'ai pas oublié que vous n'avez jamais tiré ni lièvres ni perdrix; attendez que votre chien tombe en arrêt, cela ne peut tarder longtemps. Laissez-le faire, ne lui parlez pas; suivez en aveugle, il en sait plus que vous. Il va, vient, quête, relève plusieurs fois le nez pour saisir les odeurs que le vent apporte: il renacle, la position devient très-grave, le gibier n'est pas loin. Le chien réfléchit, calcule, avance avec précaution; il choisit l'endroit où il posera son pied sans faire de bruit, il s'allonge, bref il est en arrêt.

Quand vous aurez un peu plus d'habitude, vous connaîtrez à la position de votre chien quel gibier se trouve sous son nez. Pour un lièvre, la queue du chien est ordinairement très-raide et légèrement arquée en bas; inclinée et droite pour un lapin; un peu relevée et droite pour une caille, enfin trèsraide, très-droite, et parallèle à l'horizon, si c'est une perdrix. Pour les oiseaux de marais, tels que râles et bécassines, la queue du chien fait de légers mouvements à droite, à gauche; on dirait qu'ils sont le résultat de l'incertitude.

"

Mais nous n'en sommes pas encore là. Votre cœur bat avec violence, votre poitrine se soulève, vous respirez péniblement; n'étouffez pas, rassurez-vous, il fait chaud, le gibier tiendra l'arrêt; vous avez tout le temps nécessaire, et faites ce raisonnement : « La pièce est très-près de moi; pour que mon coup « soit bon, je dois tirer à trente pas, j'ai donc le « temps de mettre en joue et de viser. >> Songez qu'en tirant à quinze pas, vous avez moins de chance qu'à vingt-cinq ou trente, car ce n'est qu'à cette distance que le coup s'est assez développé; plus près, il serait trop serré. Si vous tuez, vous brisez la pièce, et d'ailleurs il faut tirer bien plus juste pour la toucher; tandis qu'à trente pas, si vous frappez un pied au-dessous, au-dessus, et même à côté, la pièce tombera probablement.

Tout ceci posé, raisonné, calculé, placez-vous de manière que le soleil ne vous donne point dans les yeux; lorsqu'on ne prend pas cette précaution, il

d'abord on

en résulte deux effets désagréables manque toujours, ou si l'on touche, c'est par hasard; ensuite les yeux sont tellement éblouis, qu'il faut longtemps pour se remettre. On voit tout en rouge, en bleu, les arbres semblent danser devant vous; un perdreau prend les couleurs d'un perroquet; sans vous en douter, vous tirez à trois pas de lui. Bon! vous voilà placé le dos au soleil, avancez d'un pas, puis de deux, jusqu'à ce que la pièce parte. Mettez en joue, assurez votre arme à l'épaule, visez, et ne lâchez la détente que lorsque la pièce est en ligne droite avec votre œil, la visière et le guidon. Mais surtout ne vous pressez pas, vous avez beaucoup plus de temps qu'il n'en faut; laissez plutôt filer dix pas de plus, que de tirer au hasard. Vous avez manqué du premier coup, redoublez du second en visant une seconde fois.

Rien ne tombe, la pièce en est quitte pour la peur, votre chien vous regarde et recommence à faire son métier. Vous avez manqué de vos deux coups, parce que vous vous êtes trop pressé. Votre arme n'était pas assez fortement assurée à l'épaule, ce qui présente deux graves inconvénients: elle vacille et ne porte qu'un coup mal assuré, jeté dans l'espace, au hasard; et puis le recul vous donne un soufflet, je crois même voir votre joue droite un peu rouge; c'est désagréable, mais ce n'est pas déshonorant. Souvenez-vous que pour bien mettre en joue, il faut élever le bras droit autant que possible, sans se gêner. Le coude étant plus élevé que l'épaule, il en

résulte un creux où la crosse du fusil vient se loger; elle y trouve un meilleur point d'appui que si le coude était bas. Sur une pièce que l'on manque pour avoir tiré trop tard, il en est vingt que l'on manque pour avoir tiré trop tôt. On manque fort souvent aussi pour vouloir trop découvrir la pièce, c'est-àdire qu'on la voit trop et qu'on tire au-dessous. Il faut viser le centre de la pièce, et n'en jamais voir que la moitié lorsqu'on serre la détente.

Marchez, recommençons, souvenez-vous du précepte, et si vous l'observez une seule fois, un beau perdreau sera votre récompense.

Je ne me trompe pas, en voilà bien un de tombé; vous êtes tout joyeux, votre chien court pour s'en emparer; apporte, doit être votre premier cri, votre seule parole. Il sait bien que son devoir est de l'apporter, mais pour qu'il ne l'oublie pas, répétez-le tou. jours. En même temps, regardez où va le reste de la compagnie, il faut savoir où nous devrons chercher les autres. En recevant le perdreau, caressez le chien de la voix et du geste; cet animal est très-sensible aux éloges comme aux châtiments. Il doit être couché près de vous quand vous chargez votre arme; si vous le laissiez aller à sa fantaisie, il effraierait quelque pièce et vous ne seriez pas là pour tirer. Que votre chien soit couché, ne permettez pas qu'il s'approche de vous, qu'il vous caresse, ses pattes pourraient faire partir le coup qui vous reste; plus d'un chasseur s'est repenti de n'avoir point pris cette précaution.

Les commençants ont une détestable habitude, c'est

de tirer leurs deux coups ensemble sur une compagnie de perdreaux qui part de leurs pieds, et cela sans viser. J'en ai vu même qui se pressaient tant que le bout de leur fusil dépassait presque les perdreaux. Cette méthode est vicieuse, blâmable, abominable; c'est la véritable manière de n'en pas tuer, d'en blesser plusieurs qui vont mourir au loin et deviennent la pâture de l'épervier. Une fois ils ont réussi, d'un seul coup ils ont ramassé trois ou quatre pièces, ils espèrent réussir encore; mais on peut parier dix contre un qu'en tirant de cette manière, on ne tuera rien. Un bon chasseur choisit à droite, à gauche, dans une compagnie de perdrix, deux individus séparés de la bande, les vise l'un après l'autre, les abat, et laisse filer le reste, en disant, au revoir :

Je vous en avertis,

Vous viendrez toutes au logis.

Et ce n'est pas sans intention que je prescris de viser les perdreaux séparés de la bande; si vous tiriez au centre de la compagnie, les voisins recevraient des éclaboussures, et s'en iraient blessés. Toutefois, lorsque deux perdreaux se croisent, il est bien de tirer au point d'intersection; s'ils ne se sont pas encore rencontrés, si l'on voit leur tendance mutuelle à se rapprocher, on tient en joue l'espace vide, et du moment qu'ils se joignent, on lâche la détente. J'ai fait quelquefois ainsi des coups doublement doubles, mais c'est rare; cela n'arrive que dans les journées heureuses, dans ces journées que les Romains mar

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