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ne s'arrêtent pas, et le coup porterait derrière. Il faut donc accoutumer la main à suivre le gibier avec un mouvement uniforme : c'est indispensable pour devenir bon chasseur.

En forgeant on devient forgeron, en tirant souvent vous deviendrez bon tireur. L'habitude vous apprendra bientôt à voir partir de sang-froid une pièce à l'improviste; vous ne vous presserez plus, et lançant votre coup de fusil sans réflexion, le perdreau tombera dans la gueule du chien, sans que vous puissiez vous rendre compte comment l'opération s'est faite.

Ce tir spontané d'une pièce qui part de loin dans un bois est souvent bien extraordinaire; on n'a qu'une ou deux secondes pour mettre en joue et tirer plus tard la pièce ne serait pas visible. Eh bien! ce calcul est fait en un clin d'œil, l'arme est à l'épaule, le coup est parti, la pièce est morte. L'habitude a tout fait, vos bras, votre œil, votre doigt, ont obéi; vous ne savez ni pourquoi, ni comment. Un mouvement machinal, mécanique, s'est opéré. Ce projet, vous l'avez achevé dans l'instant que vous l'avez conçu. Quand vous voulez écrire un mot, vous l'écrivez, cela vous paraît tout simple; cependant que de choses il a fallu pour écrire ce mot! D'abord la pensée a dû le concecevoir, les lettres qui le composent se sont présentées à vous dans leur ordre naturel, vous les avez écrites les unes après les autres, avec leurs liaisons, leurs. accents, leurs barres, leurs points, leurs apostrophes; tout cela s'est fait sans calcul, machinalement, et le mot est écrit.

Il en est qui, pour s'exercer au tir du perdreau, tuent des hirondelles à la journée; c'est un meurtre inutile. Meurtre, parce que l'hirondelle ne fait que du bien, en mangeant des milliers d'insectes nuisibles qui nous dévoreraient; inutile, parce qu'on peut tuer cinquante hirondelles de suite et manquer tous les perdreaux que l'on rencontrera. Ce qui caractérise un bon chasseur, c'est la spontanéité, cette promptitude, ce coup d'œil sùr, qui lui fait saisir l'occasion aux cheveux; l'occasion une fois perdue ne se retrouve plus. Les Romains la représentaient courant sur une lame de rasoir, volant comme un oiseau.

Cursu volucri pendens in novaculâ.

Ils avaient raison : le perdreau, la caille, toute espèce de gibier lui ressemble, il faut profiter du moment; une fois passé, tout est fini. De quelle manière le tir de l'hirondelle peut-il ressembler au tir du gibier? Elle va, vient, revient cent fois, mille fois; vous prenez votre temps, vous visez et ne tirez que lorsqu'elle se trouve au bout de votre fusil, à distance. Vous choisissez le moment, et ce moment manqué revient à chaque minute. On pourrait s'exercer avec plus de fruit sur des moineaux qu'on aurait dans la main et qu'on tirerait au vol. Comme avec les perdreaux, il faudrait saisir l'occasion, et ce serait sans inconvénient que vous détruiriez quelques-uns de ces oiseaux nuisibles; mais l'hirondelle, c'est un crime que de la tirer.

Cependant un chasseur pourrait tuer beaucoup de

moineaux, et manquer les perdrix, quoiqu'elles offrent plus de surface. Le bruit qu'elles font en partant étonne, effraie, il faut longtemps pour s'y accoutumer; et puis nous savons qu'un jeune acteur qui joue fort bien aux répétitions s'embrouille ou reste court en présence d'un parterre payant.

Dans les chapitres spéciaux nous décrirons plus au long les habitudes, les mœurs des lièvres, des lapins, des perdreaux, etc., etc., avec la manière de s'en servir.

CHAPITRE VIII.

RUSES DE GUERRE.

La division Vedel aurait dû se trouver à Baylen; elle resta en arrière, et son absence décida de la perte de l'armée d'Andalousie. Ses soldats, manquant de vivres, se livraient au plaisir de la chasse, en poursuivant des troupeaux de chèvres que les Espagnols avaient lâchés tout exprès dans les montagnes,

Mémoires d'un apothicaire.

Je l'ai déjà dit, nous chassons, mais nous n'assassinons pas. Nos chiens, nos armes à feu nous donnent assez d'avantage sur le gibier, sans que nous ayons besoin de recourir aux piéges, collets, traîneaux, pantières et autres engins, bons tout au plus pour les malheureux qui vivent de vol et de rapine, et par cette raison indignes d'un galant homme. Le

chasseur qui se respecte rejette fort loin de pareils moyens comme honteux; il rougirait de se mettre à l'affût, et même il n'admet la chasse en battue qu'avec des restrictions.

Le gibier a des ruses dont il fait usage; nous pouvons le combattre avec d'autres ruses, mais il faut toujours lui laisser une chance pour se sauver. Ainsi, par exemple, tout le monde sait qu'un lièvre venant droit au chasseur blotti dans un fossé, derrière un buisson, est un lièvre mort; certainement la religieuse sortie depuis deux jours de son couvent le tuerait. C'est un guet-apens, une lâcheté d'assassiner ainsi. J'ai souvent fait des chasses en battue avec de vrais amateurs; voici comment nous nous y prenions, et je conseille à tous les honnêtes gens de suivre notre exemple.

Il est défendu, sous peine d'une forte amende, de tirer du fossé, de derrière la haie, etc. Il faut sortir de la cachette, paraître au grand jour, crier garde à vous, et tirer. Le lièvre se retourne, fait un crochet, manœuvre à sa manière si vous le manquez, tant mieux pour lui; si vous le tuez, votre conscience est pure, vous avez agi loyalement. Mais, direz-vous, on en tue moins soit; l'année d'après on en trouve davantage. Quant à la perdrix, tirez-la comme vous voudrez; elle est bien plus difficile à tuer en battue, et cela fait compensation.

Les braconniers approvisionnent de perdreaux tous les marchés. Ils traînent un immense filet à travers champs; les perdrix entendant du bruit ont

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