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vant vous se trouve le dernier anneau de la chaîne administrative, qui commence au ministre et finit au garde champêtre. Consultez-le sur la manière de faire votre tournée : le garde champêtre aime qu'on le consulte; il est bavard de sa nature, usez d'adresse avec lui; bientôt, sans s'en douter, il vous indiquera les lieux fréquentés par un lièvre, dans quels cantons se trouvent les perdreaux, le taillis qui foisonne de lapins, le trèfle que préfèrent les cailles, et vous n'aurez perdu ni votre argent ni vos paroles.

Un de mes amis chassait dans une luzerne, le garde champêtre arrive et lui déclare procès-verbal : « Ap« prenez, monsieur, qu'en vous présentant devant « moi, vous devez ôter votre chapeau » (Du bout de son fusil, le chasseur jette en bas le chapeau). « Ah! « je comprends, vous ne vouliez pas me montrer « votre vieille perruque de chanvre ou de chiendent; voyons... » Il ôte la perruque, la fait voler en l'air, tire dessus, la brise en mille miettes, donne 20 francs au garde stupéfait en disant : « Achetez des cheveux << si vous n'en avez pas. » Tout le monde fut content.

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Le garde champêtre est essentiellement braconnier toujours au milieu des champs, il connaît le passage ordinaire du lièvre, il sait toujours où couchent les perdreaux; ses poches sont pleines de collets de laiton, de halliers de fil, de lacets de crin. Il s'en va le soir poser ses instrumens de dommage, et le matin l'homme chargé de garder les blés s'y glisse comme un chat, les parcourt en tous sens, courbe, brise leur tige dorée, et pour faire sa récolte, hélas!

souvent trop belle, il fait un tort notable à celle du fermier.

Le garde champêtre doit porter un sabre, mais il a toujours un fusil, une vieille carabine qu'il cache dans une armoire, dans une meule de foin, dans une gerbe de blé. Cette arme qu'aucun chasseur n'oserait tirer, tellement elle semble vouloir crever, ne crève cependant jamais, elle porte des coups certains. En effet, le garde champêtre ne chassant que par contrebande ne tire qu'à l'affût; il assassine et ne manque pas. S'il rentre le soir, car il ne rentre pas toujours, il choisit les rues désertes, sales et obscures; il se glisse comme un chat le long des haies pour ne pas être vu. Fouillez sous sa blouse, vous trouverez un lièvre. Lorsque de grand matin vous entendez un coup de fusil, suivi d'un profond silence, pariez que le garde champêtre a tiré, vous gagnerez

souvent.

Je passais un jour près d'un bois appartenant au duc de Bourbon, c'est dire qu'il était bourré de gibier jusqu'aux branches. Flore, mon illustre chienne (elle a les Invalides, son fils Presto la remplace dignement), Flore entre dans un fourré; bientôt je la vois revenir toute fière avec un lièvre qu'elle dépose à mes pieds; elle retourne au bois et me rapporte un lapin, et puis un autre, et puis un autre; bref, un lièvre et six lapins.

Prenons ceci, puisque Dieu nous l'envoie,

dis-je en fourrant le gibier dans ma carnassière. Cent

pas plus loin, je rencontrai le garde champêtre de Saint-Maur, qui depuis périt en braconnant la nuit : c'était mourir au champ d'honneur, comme un soldat sur la brèche. Tout en riant aux éclats, je lui racontai l'aventure; mon homme aurait voulu rire, mais il ne pouvait pas y parvenir. En disant : « Oh! << que c'est drôle! » sa bouche faisait une affreuse grimace; s'il riait, c'était en dedans; aucun muscle de son visage ne le laissait supposer. Je trouvai cela singulier; mais deux jours plus tard je sus le mot de l'énigme. Ce gibier avait été pris par lui-même; en attendant que la nuit permit de l'apporter au village, notre homme l'avait caché dans un buisson, et le nez de Flore dérangea les projets du garde braconnier.

Le messier.

Dans les pays vignobles, comme le garde champêtre ne suffirait pas pour surveiller les voleurs de raisins, on nomme au mois de septembre plusieurs paysans chargés de venir à son aide; ces gardes provisoires, improprement appelés messiers, prêtent serment devant le juge de paix; leurs procès-verbaux font foi devant les tribunaux, et leurs fonctions finissent après la vendange. Ils doivent porter une hallebarde, mais ils ont presque toujours un fusil. Ne sont-ils pas gardes nationaux? ne sont-ils pas armés pour défendre la patrie? Quand ils font l'exercice à feu, leurs fusils ne contiennent qu'une demi-charge, ils gardent le reste pour de meilleures occasions.

Oh! la garde nationale a causé la mort de bien des lièvres. Différent en cela du chien du jardinier qui ne mange pas de choux et ne veut pas que les autres en mangent, le messier chasse en empêchant de chasser.

Les vignes ont un grand attrait pour le chasseur; quand la plaine est découverte, que le gibier s'y trouve battu, poursuivi dans toutes les directions, il va chercher dans les vignes un abri protecteur; et puis le raisin attire la perdrix, la caille, la grive; il leur donne cette graisse dorée digne des palais délicats.

Vous avez parcouru la plaine sans rien apercevoir, ou si vous avez vu des perdreaux, ils sont partis si loin de vous qu'il eût fallu du gros canon pour les atteindre. Que faire ? retourner chez soi la carnassière vide, c'est humiliant; acheter des perdreaux à la halle, c'est ignoble. Écoutez à vingt pas de vous une compagnie de ces messieurs fait entendre ses chants harmonieux; entrez dans la vigne, un coup double est bientôt fait, et puis les messiers sont peutêtre fort loin.

Ils étaient là. Vous êtes entouré par des hallebardiers en colère; ils ont fondu sur vous comme des vautours, c'est sur vous qu'ils vont faire curée. Ils énumèrent très longuement l'énormité du cas, la gravité du délit, le danger de briser un ceps en tirant un lièvre, le dommage énorme que peut causer votre chien en mangeant du raisin : c'est le protocole ordinaire; tous les messiers tiennent le même langage.

Ils accuseront votre chien et n'oseront pas vous soupçonner, parce qu'ils attendent quelque chose de vous. Tous ces discours, ces menaces de procès-verbal, de conduite chez le maire, se calment quand vous ouvrez votre bourse : une pièce de 20 sous donnée à chacun d'eux fait tout évanouir. Doublez la dose, ils vous indiqueront le gibier; poussez jusqu'à la pièce de 5 francs, et mes lurons, oubliant leurs arguments sur les ceps et les raisins, vont vous servir de rabatteurs.

Le gendarme.

Chargé de veiller à l'exécution des lois, le gendarme peut vous faire exhiber votre permis de chasse. Le maire, l'adjoint, le garde champètre ou forestier de la commune où vous chassez ont le même droit; vous devez leur répondre avec politesse, en homme de bonne compagnie.

Les premières ordonnances restrictives sur le droit de port-d'armes sont de Henri II; elles le défendaient sous peine de mort. Plus tard ses successeurs la remplacèrent par l'amende arbitraire et les galères; la pendaison n'arrivait qu'en cas de récidive. Mais en 1609, Henri IV, et j'en suis fâché pour lui, remit en vigueur les ordonnances de Henri II; plusieurs exemples furent faits, un entre autres par le parlement de Grenoble. Cette rigueur subsista jusqu'au règne de Louis XIV.

Le port-d'armes était alors défendu par les lois à certaines personnes, à certaines classes d'une ma

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