Page images
PDF
EPUB

On arriva le 25 novembre sur les bords de la Berezina, et on prépara les moyens de passage. Tchitchakof était sur l'autre rive, et se retira, trompé par des préparatifs faits sur d'autres points. Le 27 s'effectua le passage qui fut accompagné d'un grand désordre et d'un encombrement de voitures. Beaucoup d'hommes furent noyés, et on abandonna sur l'autre rive un grand nombre de traineurs, des femmes et la plupart des voitures. Le 29, on quitta les bords de la Berezina; plus d'ensemble, tous marchoient pêle-mêle. L'infanterie et la cavalerie, les Français et les Allemands, tout étoit confondu; on ne distinguoit plus ni aile ni centre. Le 3 décembre, on atteignit Malodeczno, où l'on trouva quelques vivres et du fourrage; le soleil étoit brillant et le froid suppor table, mais le lendemain l'hiver reprit. C'est à Malodeczno que Buonaparte annonça le projet de quitter l'armée. Arrivé

Smorgoni au milieu des morts et des mourans, il ne laissa percer aucune émotion, rédigea ses dernières instructions, et revit ce vingt-neuvième bulletin où il racontoit si froidement les désastres d'une si belle armée. Il parut consulter les maréchaux sur son projet; sans convenir de la témérité de son entreprise, il lui échappa de dire: Si j'étois né sur le trône, si j'étois un Bourbon, il m'auroit été facile de ne pas faire de fautes; aveu remarquable en faveur de la légitimité. Il caressa tous ses généraux, et partit le 6 décembre, accompagné de MM. de Caulaincourt, Duroc et Lobau. En passant par Wilna, il ne donna aucun ordre et laissa ignorer la situation de l'armée, Il traversa rapidement Varsovie ét Dresde, et arriva le 19 décembre à Paris, sans paroître occupé de tout ce qu'il avoit laissé derrière lui.

Son départ acheva de porter le désordre dans l'armée. Murat, qu'il avoit nommé général en chef, n'avoit pas assez d'autorité, ou plutôt n'en avoit point du tout. Il n'y eut plus de subordination. Cette grande armée, qui, quelques mois auparavant, étoit entrée en Russie avec un appareil si formidable, étoit réduite à environ 3000 hommes de la garde. L'extrême violence de l'hiver achevoit d'éteindre l'union, la pitié, l'humanité. On se traînoit les pieds nus, et on tomboit fes uns après les autres dans la neige pour ne plus se relever. Partout le spectacle d'horribles souffrances, d'effroyables convulsions, des figures qui n'avoient plus rien d'humain. Le tableau que trace l'auteur de ce grand désastre navre le

cœur et épouvante la pensée. Quel déchirant résultat de l'ambition d'un seul homme!

A Wilna, où on arriva le 9 décembre, et où aucun ordre n'avoit été donné, il y eut un engorgement affreux, chacun se précipitant dans la ville, dans l'espoir d'y trouver le terme de ses souffrances. Beaucoup y périrent. Soixante mille hom mes avoient passé la Berezina, depuis 20,000 recrues avoient rejoint. Sur ces 80,000, la moitié périt entre Malodeczno et Wilna. Il y avoit dans cette dernière ville pour 40 jours de farine et de pain, et 30 jours de viande; aucun ordre ne fut donné, aucune distribution ne fut faite. Bientôt, les Russes parurent et la déroute commença; 20,000 hommes restèrent à Wilna où ils furent faits prisonniers. Les fuyards arrivèrent à Ponari où tout fut abandonné, bagages, trésor, blessés; l'argent, l'honneur, un reste de discipline, tout fut englouti à la fois. L'armée n'existoit plus. Le 13 décembre, on atteignit Kowno, dernière ville de la Russie; Murat assemble un conseil, et s'y plaint hautement de son beaufrère; il n'étoit plus possible, disoit-il, de servir un insensé. Le maréchal Davoust lui reproche son ingratitude. Ce n'étoit peut-être pas à Murat à accuser Buonaparte, mais dans toute autre bouche la plainte n'étoit que trop légitime.

Les tristes débris de l'armée arrivèrent à Koenigsberg, et cette capitale humiliée put se venger en voyant un si terrible désastre. Quelques soldats à demi-gelés se traînoient encore et mouroient dans les hôpitaux. Le thermomètre des cendit tout à coup de 20 degrés, et ce changement subit de température fut fatal à plusieurs. Macdonald arriva le 3 janvier pour couvrir Koenigsberg; après s'être avancé jusqu'à Riga, il avoit été obligé d'effectuer sa retraite, ayant été abandonné par le général prussien York, qui fit sa pai paix avec les Russes. Les Prussiens entrainèrent leur rpi qui refusoit de se déclarer. Le prince de Schwartzemberg, général autrichien, qui couvroit Varsovie, reçoit de son gouverne ment l'ordre de se retirer, et livre la ville le 8 février.

Le 1er janvier, Murat étoit encore à Koenigsberg et précipita son départ pour Elbing. Dix mille malades ou blessés encombroient la première de ces villes, la plupart furent abandonnés à la générosité de l'ennemi, et beaucoup périrent. A Wilna, plus de 16,000 prisonniers avoient péri; mais Alexandre, a son arrivée, fit cesser de déplorables ven

geances. Le 9, ce prince et Kutusof se trouvoient sur le Niémen, et ce ne fut que le 22 que les Russes atteignirent la Vistule. Murat, qui étoit resté à Elbing du 3 au 11, s'enfuit le 12 à Posen, et disparut le 16 pour retourner à Naples, mécontent de tout le monde, et se plaignant de sa femme, qu'il accusoit d'être contre lui dans les intérêts de son frère.

A cette époque, la vieille garde comptoit au plus 500 combattans, le reste formoit 6000 hommes; encore la plupart de ces soldats, triste reste de 600,000, pouvoient-ils à peine se servir de leurs armes. Les chefs eux-mêmes étoient rebutés, les recrues se débandoient en voyant le désordre qui régnoit partout. Le corps de Macdonald et la division d'Heudelet conservèrent seuls leur ensemble. On réunit tous ces débris dans Dantzick, où 35,000 soldats de dix-sept nations différentes se trouvèrent renfermés. Le reste ne commença à se rallier qu'à Posen et sur l'Oder. Alexandre arrêta la marche de ses troupes à Kalrich, là cessa la poursuite.

M. de Ségur finit son ouvrage par des réflexions sur l'ambition de la Russie; il semble assez clair que ce n'est pas l'ámbition de cette puissance qui fut cause du désastre que nous venons de raconter. Il y a peu de chose à ajouter à un tel récit, les faits parlent d'eux-mêmes, ils nous montrent une main supérieure préparant un châtiment terrible, endurcissant le cœur d'un autre Pharaon, jetant un épais bandeau sur ses yeux, prolongeant ses illusions malgré tous les calculs de la 'prudence et toutes les remontrances de ses généraux, et le poussant en aveugle vers cette solitude où alloit s'ensevelir a puissance. Il faudroit le crayon de Bossuet pour peindre une telle catastrophe; mais quelles larmes pourroient déplorer assez le sort funeste de tant de milliers de guerriers ensevelis sans gloire dans ces déserts, loin de leurs familles en deuil, et privés de toutes les consolations qui tempérent l'amertume de la mort!

&

NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES.

PARIS. Samedi dernier, avant l'ordination, M. l'archevêque a donné la confirmation à plusieurs militaires d'un

des régimens en garnison à Paris. Ces militaires étoient accompagnés de leur aumônier. Le prélat a fait ensuite l'ordination, où il y a eu vingt prêtres, quatre diacres et dix sous-diacres. Dans ce nombre, il n'y a eu que deux prêtres et un diacre pour Paris. Les autres ordinands étoient du séminaire de MM. de Saint-Lazare, de celui de la rue NotreDame-des-Champs, des Irlandais, etc. Plusieurs étrangers assistoient à la cérémonic, qui s'est faite dans la chapelle de l'archevêché.

-Les ennemis du clergé viennent de faire réimprimer un livre qui porte pour titre : des Evêques, ou Tradition des faits qui manifestent le système d'indépendance que les évéques ont opposé dans les différens siècles à la justice souveraine du roi, in-8°. Ce livre parut pour la première fois en 1753, lors des disputes entre le clergé et le parlement. Il est attribué à l'abbé Chauvelin, qui croyoit ou qui vouloit faire croire que c'étoit la même chose de ne pas se soumettre aux prétentions du parlement ou de se révolter contre l'autorité royale. L'abbé Chauvelin joua un rôle très-actif lors des refus des sacremens et de la destruction des Jésuites; il prononca dans ces occasions des discours très-vifs. Il étoit de la société de Me Doublet, où, dit Grimm, on étoit janseniste ou du moins parlementaire, mais où on n'étoit pas chrétien. Il étoit certainement bien urgent de réimprimer la Tradition des faits dans le moment actuel, où les évêques marchent si ouvertement vers le système d'indépendance que leur reprochoit l'abbé Chauvelin. Des prélats qui ne jouissent que d'un traitement précaire, qui ne peuvent en quelque sorte faire un pas sans l'autorité civile, qui sont liés pour toute leur administration, aspirent évidemment à l'indépendance. M. Barbier, dans le Dictionnaire des Anonymes, dit que la Tradition des faits contient beaucoup d'assertions hasardées, comme le démontre l'auteur anonyme de l'Examen de cet ouvrage, publié en 1754, in-12, et réimprimé sous le titre de Lettres critiques et historiques. L'ouvrage, tel qu'il paroît actuellement, est précédé d'une introduction historique signée A. G..... Nous ne savons quel est cet éditeur, qui est effrayé, comme de raison, des dangers dont nous sommes menacés par l'esprit d'indépendance des évêques. Ce sont là, en effet, les factieux les plus à craindre pour la monarchie, et on doit une éternelle reconnoissance à l'écrivain qui les

signale, et qui avertit le gouvernement de s'en méfier. Combien il y a de sagacité à deviner de si dangereux ennemis, et de courage à les dénoncer!

C'est sans doute une chose remarquable qu'une Oraison funèbre de Louis XVIII, prononcée en Angleterre et en ́ anglais. Cet hommage, rendu au Roi de France sur une terre étrangère, est dû à M. l'abbé Orré, ecclésiastique français. demeurant à Liverpool. Le 27 octobre 1824, M. H. Orré prononça un discours dans un service pour le feu Roi; il ne l'avoit pas d'abord destiné à l'impression, mais, ce discours lui ayant été demandé par plusieurs personnes, il a cédé à la tentation de le publier. Son texte est pris de ces paroles de l'Ecclésiastique, chap. XXXIX, v. 14: Sapientiam ejus enarrabunt gentes, et laudem ejus nuntiabit ecclesia. L'orateur n'a point entrepris de raconter toute la vie du prince, et s'est borné aux traits les plus saillans. Il n'a point oublié l'asile honorable offert au Roi en Angleterre, et le service éclatant qu'une nation rivale nous a rendu dans cette circonstance. Enfin il termine par le récit de la mort de Louis XVIII. Nous sommes peut-être assez mauvais juge du mérite d'un discours écrit dans une langue étrangère; mais celui-ci nous a paru offrir un tableau intéressant, quoique abrégé de la vie de Louis XVIII, et le style convient à la chaire et au sujet. L'Oraison funebre, imprimée à Liverpool, se trouve à Paris, chez Guilleminet.

-M. l'abbé Baraldi, de Modêné, éditeur des Mémoires de religion, de morale et de littérature, ayant fait hommage au Pape de son recueil, le saint Père, qui connoissoit déjà le mérite et l'orthodoxie de l'ouvrage, a accepté l'hommage ave bonté, et a adressé, au savant et pieux éditeur, un bref d'encouragement et de félicitation. «Connoissant, dit le saint Père, et par la renommée et par nous-mêmes, votre savoir, votre zèle pour la religion et votre dévoûment pour notre personne et pour le saint Siége, nous joignons trèsvolontiers notre suffrage à celui de Pie VII, d'heureuse mémoire; nous approuvons beaucoup votre travail, et nous vous exhortons fortement à le continuer. » Ce bref est daté dü 3 août dernier, et adressé à M. l'abbé Baraldi. Nous prenons une part bien sincère au témoignage flatteur rendu par le sonverain Pontife en faveur d'un recueil rédigé dans un exrellent esprit, et dont nous avons emprunté plusieurs mor

[ocr errors]

12

« PreviousContinue »