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Saint-Pierre pour épouvanter le peuple. Le jeune Espagnol qui nous rapporte ces faits, et qui était alors en visite à Louvain, s'y rendit à cinq heures du matin. Déjà beaucoup d'ouvriers entouraient en grande diligence une partie de la place, afin que nul ne pût passer le clos. Puis ils érigèrent au milieu deux croix de la hauteur d'un homme et apportèrent tout autour « force fagots et autre bois. » Plus tard, le procureur général et les siens entrèrent dans une maison vis-à-vis du temple et dont les fenêtres donnaient sur les deux croix. Toutes les compagnies de la ville avaient été commandées « pour le fin matin, » de crainte que le peuple ne délivrât les prisonniers. Les miliciens, qui avaient accompagné les magistrats, entourèrent la place et montraient par l'expression de leurs traits qu'ils étaient là « à grand force et à grand regret.» Enfin les deux accusés parurent. C'était d'abord Jean Schats, âgé de quarante-trois ans, dont le principal crime était d'avoir eu chez lui une Bible en allemand qu'il lisait, ainsi que la Vie de Notre-Seigneur, la Consolation du pécheur, le Petit jardin de l'âme, Emmaüs, « et autres écrits reliés ensemble « sous une couverture de cuir. » De plus, il était accusé d'avoir visité ceux de sa croyance qui devenaient malades et de les avoir assistés de ses aumônes. A côté de Schats était Jean Vicart, mercier, accusé de crimes pareils (1). Ces deux hommes, sortant d'une prison rigoureuse, échappant d'une torture cruelle, étaient faibles et comme à demi morts. Toutefois, ceux qui les entouraient les entendirent « déplorer leurs péchés devant Dieu et déclarer prendre la mort bien à gré, ayant fiance en la miséricorde divine (2). »

Leur prière achevée, le bourreau les lia aux deux poteaux, leur mit une corde avec un nœud coulant autour du cou, puis les entoura de fagots, de paille et de poudre. A un signe du procureur général, il tira la corde pour les étrangler. Alors

(1) Pièces justificatives des Mémoires d'Enzinas. Interrogatoires, t. I, p. 337 à 383.

(2) Mémoires d'Enzinas, t. I, p. 93.

ce magistrat, « montrant aussi grande allégresse que s'il eût été nommé empereur du peuple romain, » dit un témoin, tendit au bourreau un flambeau allumé, et en le faisant, se pencha avec tant de colère que peu s'en fallut qu'il ne tombât du lieu où il était. La foule avait les yeux fixés sur lui, et contemplait avec étonnement, dit le chroniqueur, « sa face hideuse et ardente de rage, ses yeux furieux, sa gueule de travers qui jetait des flammes plus épouvantables que celles du flambeau qu'il tenait; plusieurs vouaient au démon avec d'horribles imprécations cette sanglante bête (1). » « Bientôt le feu fut si grand qu'on eût dit que les flammes touchaient aux nues et voulaient les enflammer. Des éclats de feu montaient si haut et faisaient un tel bruit qu'on eût dit de grosses voix qui, venant du ciel, criaient vengeance. »

Le lendemain, ce fut le tour des femmes. Deux femmes assez âgées, qui par-dessus tout avaient constamment maintenu la vérité de l'Evangile, furent condamnées au plus cruel supplice, savoir, à être enterrées vives (2).

L'une d'elles était Antoinette van Roesmals, l'amie de Jean de Lasco, de Hardenberg, de don Francisco de Enzinas, dont les ancêtres avaient gouverné l'Etat, et qui était âgée de près de soixante ans, pleine de foi et de bonnes œuvres. On disait dans la ville que ses parents, ses amis et même le bailli avaient offert beaucoup d'argent pour qu'on la mît en liberté, mais en vain. Elle approchait du lieu où elle devait être mise vivante en terre. Gudule, sa fille, d'une si grande beauté, à la fleur de son âge, qui avait pour sa mère l'amour le plus profond, ne voulait pas être séparée d'elle. « Je veux, dit-elle, être spectatrice du sacrifice de ma mère (3). » On obtint pourtant qu'elle ne se tiendrait pas au bord de la fosse où celle qui l'avait mise au monde devait être ensevelie vivante; elle consentit à rester à quelque distance pourvu qu'elle

(1) «Plures fuerunt qui horrendis imprecationibus, sanguinariam belluam diabolis devoverunt. » (Mémoires d'Enzinas, p. 94.)

(2) Crespin, Actes, l. III, p. 126.

(3) « Spectatrix materni sacrificii.» (Ibid., p. 112.)

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XXV. 17

vît sa mère. Ainsi cachée dans un lieu à l'écart (1), elle vit conduire la pieuse Antoinette au supplice; elle vit préparer la fosse et sa mère rester toujours sereine. Gudule était saisie, muette, immobile; elle ne versait point de pleurs; toute sa vie était dans ses regards (2). Elle suivait d'un œil fixe la lugubre exécution. Mais quand elle vit sa mère couchée vivante dans la fosse des morts, quand les valets des bourreaux jetèrent sur elle des pelletées de terre et qu'elle commença à en être couverte, Gudule poussa un cri. Dès lors elle ne se contint plus; elle jetait vers le ciel des clameurs effroyables. « Oh! dit un témoin, de quelles lamentations, de quels plaintifs gémissements elle remplissait les airs! (3) » Sa langue s'était enfin déliée; elle n'était plus immobile. Réduite au désespoir, poussée par la plus vive douleur, elle se mit à courir dans les rues de la ville comme si elle avait perdu la raison. Des larmes coulaient de ses yeux comme d'une fontaine; elle s'arrachait les cheveux, elle se déchirait le visage (4). « La pauvre fille vit encore, dit le témoin qui nous a laissé le récit de ces choses, et j'ai bonne espérance qu'elle ne sera jamais délaissée par le Dieu éternel, le Père de notre libérateur Jésus-Christ, qui est aussi le Père des orphelins. »

(1) « In aliquo fortassis angulo, aut certe in domo proxima. » (Mémoires d'Enzinas.)

« Ita maternam fortunam in anima filiæ fixam insedisse. » (Ibiḍ.)

<< Deum immortalem ! quibus lamentationibus, quibus ejulatibus aera complebat. » (Ibid.)

(4) « Ferebatur velut insana per urbem magna vis lacrymarum ex oculis tanqnam ex fonte promanabat; capillos ac faciem dilaniabat. » (Ibid.)

DOCUMENTS INÉDITS ET ORIGINAUX

LES PROTESTANTS D'ALENÇON EN 1680

A Monsieur Jules Bonnet, secrétaire de la SoCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DU PROTESTANTISME FRANÇAIS.

Monsieur,

Je vous envoie enfin la copie de ce rôle des protestants d'Alençon depuis si longtemps annoncé, et dont vous avez bien voulu entretenir votre Comité.

Ce document parle de lui-même. Dressé par quelque agent subalterne (voyez l'orthographe1), il a été plus tard annoté par une main sinistre (voyez les mots soulignés).

Comment une telle pièce inquisitoriale figure-t-elle aujourd'hui dans les archives d'une de ces familles dont il s'est agi de prendre le petit garçon? Il n'est guère possible de répondre à cette demande que par une supposition. Un descendant de ce petit garçon ayant exercé, sous la première république, des fonctions municipales à Alençon, cette pièce a pu facilement passer sous ses yeux à la mairie et il a pu trouver tout naturel de la garder.

Genève, 26 novembre 1875.

PH. PLAN, bibliothécaire.

Suite du [Puits] DES FORGES

Guillaume (Lesage), agé de dix mois, Marthe agée de 2 ans, et Magne agée de six ans, et la sœur du dt Sr Lesage, agée de 35 ans. Madeleine aux Nouvelles Catholiques.

Marie Pesé, veuve de Charles le Conte, avec deux enfans, le premier nommé René Touchard du per lict, le second nommé Guillaume le Conte, agé de 12 ans, tous pour lors hors de la ville,

1 On a cru devoir la rectifier. (Réd.)

2 Un des quartiers de la ville. Les premières pages du document manquent.

Anne Ardesoif, veuve de Jean Boullay, avec quatre enfans, scavoir Pierre agé de 9 ans, Margte de 12 ans, Elizabeth de cinq ans et Anne de 4 ans. Tous à prendre.

Marie Taunay, veuve Ivan Boullay.

Pierre Taunay, avec trois enfans, scavoir Nicolas, agé de 10 ans, Louise de 16 ans, et Magne de 15 ans, l'aisné nommé Abraham estant au service du Roy.

Jean Taunay, marchand, avec cinq enfans, scavoir Auguste agé de 23 ans estant au service du Roy, Jacques agé de 20 ans, Noemy agée de 25 ans, Magne agée de 21 ans, et Elizabeth agée de 18 ans estant aux Nouvelles Catholiques.

Abraham le Roy, et Susanne Brancherie son épouse, avec trois filles, la première agée de 17 ans, Susanne de 15 ans et Judic, agée de 14 ans.

Jacques de la Ville, et Renée Allix son épouse, avec trois filles et deux garçons, scavoir la première agée de 10 ans, Marthe de 9 ans, Marie de 6 ans, et les deux autres de 5 et de 4, toutes bonnes à prendre.

Magdelaine Boullay, veuve Salomon Legendre avec deux garçons, le pr Titus (?) agé de 12 ans, estant aux Nouveaux Catholiques, et Salomon, agé de 4 ans et demy. Salomon à prendre.

Marie Boullay, veuve de Salomon Legendre, agée de 75 ans. Jean Marie et Magdelaine Boullay sa femme et Pierre Boullay leur frère agé de 40 ans.

Pierre Ardesoif et Jeanne Mariette, avec une fille nommée Margte agée de trente ans.

Magdelaine Provost, veuve Ivan Dibon, avec une fille agée de vingt trois ans, passées en Angleterre.

Louise Provost, veuve d'Abraham Dibon, avec deux garçons, l'aisné Jacques agé de 23 ans, pour lors à Paris; l'autre Ivan, agé de 21 ans, Anne Ardesoif, veuve Nicolas Maucesson.

Grande Rue.

Abraham Lesage, avec trois enfans, scavoir Marie Lesage, veuve Ivan Houssemaine, agée de 21 ans, Elice agée de 19 ans, et Magne agée de 12 ans.

Marie Lesage, veuve Ivan Leconte, avec trois neveus, scavoir Sa

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