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SOUVENIR DE LA TOUR DE CONSTANCE

Ce qui m'attire au pied de tes murs séculaires,
Aiguesmortes, vieux bourg perdu dans les étangs,
Ce ne sont pas tes tours aux mille meurtrières
Qui dressent vers le ciel leurs créneaux menaçants;
Ce n'est pas de Louis l'ombre héroïque et sainte,
Planant sur les marais, qui durent tressaillir
Aux cris des chevaliers, sans reproche et sans crainte,
Partant pour conquérir un sépulcre ou mourir;
Ce n'est pas l'édifice, où deux puissants monarques,
Tous deux ambitieux des terres du voisin,
Un jour réconciliés, se donnèrent les marques
D'un accord qu'ils devaient trahir le lendemain.

Non, non; ce qui m'attire au pied de tes murailles,
Ce que mon œil, de loin, cherche vers l'horizon,
Ce qui me fait frémir jusque dans les entrailles,
C'est une masse informe, une antique prison;
C'est cette vieille tour où gémirent captives,
Sous les verrous de rois qui s'appelaient chrétiens
Des femmes au grand cœur, créatures chétives,
Mais d'une âme de fer qui bravait les liens;
C'est ce sombre cachot, où vivaient entassées,
Ces servantes du Christ, martyres de leur foi;
D'où montait nuit et jour, de leurs âmes brisées,
Un déchirant sanglot vers le souverain Roi;
Ce sont ces murs, percés d'étroites ouvertures,
Par où les vents fiévreux pénétraient librement,
Tandis que grelottaient, sous ces brises impures,
La femme délicate et le petit enfant;

Ce sont ces noms, gravés sur la pierre fidèle,
Qui les répète encor: Soleyrol où Durand,
Et ce mot: Résistez! de mémoire immortelle,
Des défis de la foi le plus beau, le plus grand!

Oh! lorsque je franchis le seuil de cette enceinte,
Lorsqu'en esprit je vois ces scènes de douleur,
Alors je crois entendre une lugubre plainte :
De toutes parts des voix criant vers le Seigneur!
Ce ne sont pas des cris de haine et de vengeance,
C'est la voix d'une femme appelant son époux,
C'est la voix d'une mère, hélas! dans la démence,
Appelant son enfant de ses noms les plus doux.
Et puis c'est un concert de prières ardentes
Pour l'Eglise qui souffre et qu'on traque en tous lieux,
Pour les persécutés, victimes innocentes,
Pour les persécuteurs, leurs bourreaux odieux.

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Alors je me découvre et cette ombre s'éclaire;

Les murs de ce cachot n'oppressent plus mon cœur,

Est-ce bien un cachot?

Non, c'est un sanctuaire

Où je vois rayonner la gloire du Seigneur.

Vis donc, vieux monument d'une haine cruelle,
Vis pour redire à tous qu'aux yeux du Tout-Puissant
Il n'est qu'une grandeur souveraine, éternelle,
Et que, s'il a la foi, le plus chétif est grand!

E. FARJAT.

SÉANCES DU COMITÉ

EXTRAITS DES PROCÈS-VERBAUX

SÉANCE DU 11 JANVIER 1876.

M. Schickler, président, rend hommage à la mémoire de M. le baron Portal, auteur de mémoires intéressants sur l'histoire de sa famille. Le secrétaire donne lecture d'une circulaire destinée à provoquer de nouvelles souscriptions au Bulletin. Le tirage en est fixé à 300 êx.

Correspondance. Legs Froment. (Voir le Bulletin de mai, p. 205.) M. Ch. Frossard espère que cet exemple sera suivi et y voit un heureux augure pour l'avenir de la Société.

M. Gabriel Monod transmet la première livraison de la Revue historique dont il demande l'échange avec le Bulletin.

On signale dans la préface de ce volume quelques oublis regrettables. Ailleurs M. E. de Bonnechose est désigné simplement comme auteur d'une histoire des révolutions d'Angleterre; on omet son plus beau titre : Les Réformateurs avant la Réforme.

M. Gustave Masson transmet un nouveau chapitre des correspondants de Desmaiseaux, et M. Loutschisky un quatrième procès-verbal des assemblées politiques des réformés.

Le secrétaire exprime des doutes sur la parfaite exactitude de quelques noms mentionnés dans ce document.

France protestante. M. Bordier espère pouvoir publier, cette année, le premier volume de la nouvelle édition. Le secrétaire demande qu'un prospectus soit répandu pour encourager les souscripteurs.

Bibliothèque.

SÉANCE DU 8 FÉVRIER 1876.

M. le président expose que les papiers Rabaut légués à la Société par M. A. Coquerel fils, sont déjà très-souvent demandés; mais il est difficile de les communiquer dans leur état actuel.

Ainsi que le fait remarquer M. W. Martin, il y a tout d'abord un travail de classification à faire de ces précieux documents, en tenant compte de l'ordre indiqué par M. Ch. Coquerel dans son Histoire des Eglises du Désert. Une reliure est aussi indispensable pour leur conservation. Ils ne formeront pas moins de 30 à 40 volumes.

M. Frossard demande, à cette occasion, que toute pièce manuscrite soit marquée du timbre de la Société. Cette précaution est reconnue nécessaire.

Correspondance. Le président donne lecture d'une lettre de M. Ercole Ricotti, en réponse au mémoire de M. Bordier sur Jacqueline d'Entremont. Tout en se défendant d'avoir voulu diffamer la veuve de l'amiral Coligny, M. Ricotti maintient ses principales affirmations, et invoque à l'appui des arguments qui ne semblent pas de nature à figurer dans une controverse strictement historique.

M. le professeur Germain, doyen de la Faculté des lettres de Montpellier, fait hommage de plusieurs mémoires parmi lesquels une chronique de Béziers par le protestant Charbonneau.

M. le pasteur Falle envoie un extrait de l'ouvrage de François de Gaultier qui confirme un document récemment publié dans le Bulletin sur la démolition du temple de Montpellier.

M. le pasteur Guitton transmet une collecte avec le vœu de la réimpression de la Chronique ecclésiastique de Th. de Bèze.

SÉANCE DU 14 MARS 1876.

Le secrétaire rappelle que l'assemblée générale de la Société aura lieu le 2 mai prochain. Des lectures doivent être préparées pour faire suite au rapport ordinaire du président. Il offre un fragment sur la jeunesse de Charlotte-Amélie de la Trémoille, et M. Douen espère pouvoir lire quelques pages sur Clément Marot et le Psautier.

Bibliothèque. Les dons de thèses et de rapports continuent et viennent heureusement combler les lacunes signalées.

M. Frossard attire l'attention de ses collègues sur l'état de quelques volumes de la Réserve qui semblent exposés à l'action de l'humidité. Des mesures doivent être prises pour préserver cette précieuse partie de nos collections.

MM. le comte Jules Delaborde, William Martin et Schickler, pré-sentent sur ce sujet des observations utiles.

Correspondance. M. Lichtenberger adresse un appel à la libéralité des protestants français pour la reconstruction du Temple-Neuf à Strasbourg. Le Comité vote 50 francs pour cet objet.

M. Rod. Dareste, auteur d'une biographie d'Hotman qui doit paraître dans la Revue historique, annonce son intention d'offrir à la Bibliothèque les nombreux documents dont il s'est servi pour la confection de cet ouvrage.

M. Alex. de Lessert, du Havre, témoigne ses sympathies pour notre œuvre historique, et transmet des notes pour la nouvelle édition de la France protestante.

M. Reboul offre des renseignements sur divers pasteurs de sa famille, originaire du Dauphiné.

M. Pons, pasteur à Venise, propose de transcrire des pièces importantes conservées aux archives secrètes de cette ville.

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SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE

DU

PROTESTANTISME FRANÇAIS

ÉTUDES HISTORIQUES

LA GUERRE CAMISARDE ET SES HISTORIENS

La guerre... Est-ce bien le mot qu'il faudrait employer pour désigner ces luttes inégales, que le plus puissant des rois de France eut à soutenir contre une poignée de sujets révoltés? De coutume on réserve cette dénomination à ces duels des peuples, à ces luttes sanglantes qu'une nation soutient contre une autre nation. Et quand le mot de guerre civile est prononcé, il désigne des combats, à forces à peu près égales, entre les partis qui divisent un pays. S'il y a trop de disproportion et qu'il soit visible que le combat ne peut être de longue durée, la levée de boucliers du petit nombre contre le grand prend le nom de révolte. On les appelle des mécontents, des séditieux, des révoltés. Il semble donc que c'est de ce nom qu'il faudrait baptiser cette lutte acharnée qui, au commencement du siècle dernier, ensanglanta les Cévennes, ainsi qu'une partie du Languedoc et du Vivarais. De quoi s'agit-il, en effet? D'une étendue de pays à la vérité considérable, mais dont les habitants ne XXV. 19

prirent pas tous, tant s'en faut, part à la révolte. Les catholiques hostiles à ce mouvement s'en tinrent naturellement éloignés, jusqu'au moment où un certain nombre d'entre eux s'unirent aux troupes royales pour les réprimer. Quant aux protestants, le grand nombre se tint à l'écart et toute la noblesse, ou peu s'en faut, prêta son concours au gouvernement (1) pour rétablir l'ordre. Le témoignage des historiens les plus hostiles à la cause des Camisards ne laisse aucun doute à cet égard. On se tromperait néanmoins si l'on pensait que la liberté de conscience, pour laquelle on combattait, était indifférente aux protestants qui ne pouvaient vivre que par elle; cela signifiait tout simplement que ce moyen de la revendiquer ne plaisait pas à tous, et que l'ordre, la paix et la tranquillité du pays étaient d'un grand prix à leurs yeux.

Il semble donc que cette lutte, où un petit nombre de gens obscurs, sans armes et sans chefs, au moins sans généraux capables (2), allaient se heurter contre des troupes régulières, nombreuses, bien armées et bien commandées, ne pouvait pas durer longtemps. Tout annonçait que l'émotion s'apaiserait bientôt et que la révolte s'éteindrait dans le sang.

Et néanmoins, quand on considère que ces prévisions ont été trompées, que la lutte s'est prolongée des années, que pour réduire les révoltés il a fallu recourir aux moyens extrêmes, mettre en ligne des troupes aguerries, les faire commander par les officiers généraux les plus en réputation, recourir à la conciliation après avoir épuisé les moyens de rigueur; et que, malgré cela, les rebelles souvent battus et quelquefois victorieux, n'ont jamais été complétement détruits; que le principe pour lequel ils avaient pris les armes a survécu à leurs défaites, et qu'il est maintenant passé dans

(1) Brueys, t. III, p. 111. «Ils ne contribuèrent pas peu (les nobles protestants du pays) à pacifier les troubles. »

(2) Les chefs des Camisards ont tous été des enfants du peuple, Esprit Séguier et Ravanel étaient des cardeurs de laine; Laporte et Joanỹ, des sous-officiers de l'armée française; Roland était neveu de Laporte ; Castanet avait été garde champêtre et Clary était un tailleur de pierre. Quant à Cavalier, personne n'ignore qu'avant d'être boulanger il avait été berger.

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