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LES QUATORZE MILLE PLACES DU TEMPLE

DE CHARENTON

Un passage de l'Histoire des réfugiés protestants de France, relatif au second temple de Charenton, qui, selon Ch. Weiss (t. I, p. 91), et tous les historiens imaginables, «pouvait contenir quatorze mille personnes, » nous rappelait, hier, que, depuis bien longtemps, nous avions un mot à dire à ce sujet. Aujourd'hui, nous retrouvons la même allégation dans les Huguenots, de Smiles, et, cette fois, la date de l'ouvrage, paru à New-York en 1868 (1), et le très-grand succès qu'il a obtenu, font naître en nous comme une espèce de remords; car voilà dix ans que nous gardons in petto la preuve que cette allégation est exacte..... à dix mille près.

Il est vrai, et c'est notre seule excuse, que nous avons donné connaissance du fait au Comité de la Société d'histoire du protestantisme, et tout particulièrement à M. Ch. Read et au bien cher ami dont nous déplorons chaque jour la perte, Ath. Coquerel fils, qui devait l'utiliser pour son Histoire de l'Eglise réformée de Paris. Mais cette histoire a été interrompue précisément après le récit de l'incendie du premier temple. Depuis, l'erreur a continué à se répandre elle est allée de France en Amérique et en Angleterre, d'où elle nous est revenue par la traduction du livre de M. Smiles (1873), comme pour témoigner qu'il ne faut jamais remettre au lendemain la proclamation d'une vérité ou la rectification d'une inexactitude.

Il est facile de voir que celle-ci n'est nullement dénuée d'importance. A quoi bon, en effet, un édifice pouvant contenir quatorze mille personnes, s'il ne devait jamais les contenir? Il faudrait donc nécessairement admettre que le temple de Charenton était fréquenté, au moins à certaines époques, par quatorze mille personnes. Mais ce n'est pas tout; il se trouvait trop petit, les jours de fête, et il fallait alors célébrer, pour les derniers arrivés, un second culte, dans une cour abritée par des toiles. Mettez seulement dans cette cour un nombre de fidèles égal au septième de ceux qui avaient pénétré dans l'édifice, soit deux mille, vous arrivez à un total de seize mille personnes, c'est-à-dire toute une armée, qui aurait singulièrement encombré le chemin (2) et la rivière qui conduisaient à

(1) La préface de la première édition est datée de Londres, juillet 1867, et l'ouvrage en était déjà à sa quatrième édition en 1870.

(2) Nous disons le chemin et non les chemins, parce que l'on ne passait guère par celui de la rive gauche de la Seine,

Charenton. En outre, comme on a remarqué que, même lors des grandes fêtes, il n'y a jamais plus d'un tiers des fidèles qui se rendent au temple, surtout quand il est aussi éloigné que l'était celui de Charenton, il en résulte qu'il y aurait eu à Paris, qui ne comptait que 300,000 habitants au commencement du XVIIe siècle (1), 48,000 protestants, c'est-à-dire un sixième et quart de la population. Autre conséquence, ces huguenots si nombreux auraient été médiocrement courageux, puisqu'ils ne savaient se faire respecter, et qu'une poignée de factieux et de fanatiques pouvait impunément brûler leur temple en 1621. Tout cela est faux.

Bien que M. Ch. Read eût essayé, dans une de ses remarquables études (Bulletin, t. V, p. 171), de montrer par des calculs que le chiffre énorme de quatorze mille s'accordait à peu près avec les proportions d'une salle de 33 mètres; 33 mètres de longueur sur 18 mètres 66 de largeur, proportions plus que doublées par des galeries supérieures, il nous restait un doute invétéré, dont nous voulûmes, un jour, avoir le cœur net. Nous mesurâmes, dans un jardin où les pasteurs du désert, Givry, Brousson, etc., ont prêché autrefois, une surface de la dimension indiquée, et nous acquîmes, en quelques instants, la conviction qu'il était absolument impossible de loger quatorze mille personnes dans un si petit espace, même en le doublant et au delà par deux étages de galeries. Rencontrant alors un architecte, M. A. Pudepièce, ancien élève de l'école des Beaux-Arts, nous le priâmes de refaire les calculs sur les bases fournies par le Bulletin. Voici ce qu'il nous répondit :

Guise, 11 septembre 1866.

Monsieur,

Vous avez eu parfaitement raison de ne pas ajouter foi à l'encombrement et à l'entassement des quatorze mille personnes dans l'église de Charenton : rien n'est plus exagéré; vous allez vous en rendre compte aussi facilement que je l'ai fait.

La superficie de l'église est de .

Celle des tribunes superposées au pourtour est de

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621 m. 94 702 84

Superficie totale 1,324 m. 78 Chaque personne commodément assise occupe (allées et espaces vides compris), une surface de 0.60×0.80, c'est-à-dire 0.48, soit . 0.50

(1) Alfred Franklin, Estat, noms et nombre de toutes les rues de Paris, 1873, in-12, p. 35. Selon Dulaure, Histoire de Paris, 1829, in-8, t. V, p. 227, cé nombre n'était que de 200,000, en 1590.

Un peu moins commodément assise, elle n'occupe qu'une sur

face de .

Debout et serrée, elle n'occupe qu'une surface de

0.40

0.25

Il résulte de ces chiffres donnés par l'expérience et acceptés par tous ceux qui veulent calculer les dimensions des églises à construire, que l'église de Charenton pouvait contenir :

2,650 personnes commodément assises,

3,312 assises un peu serrées,

5,300 debout et serrées.

Ce n'est qu'après avoir fait ces calculs que j'ai vérifiés ceux (en pieds) que vous m'avez adressés.

Si j'avais commencé par la fin, j'aurais remarqué bien vite l'erreur commise.

En effet, je lis: C'est donc une superficie d'ensemble de 11,754 pieds, soit 3,918 mètres carrés.

L'erreur est qu'il y a neuf pieds carrés et non trois dans un mètre, et que, par conséquent, 11,754 pieds donnent 1,306 mètres et non 3,918. Veuillez agréer, etc.

Comme le temple était garni de bancs, il ne pouvait être question de s'y tenir debout, excepté dans les allées. En admettant la donnée du Bulletin, savoir trois personnes par mètre carré, on n'obtient que trois mille neuf cent soixante-quatorze places, mettons quatre mille, chiffre qui concorde bien mieux que l'autre avec tous les faits connus. En effet, les Mémoires de la Force évaluent à quatre mille le nombre des personnes qui se rendirent au culte à Ablon, le jour de Noël 1604. Le 27 août 1606, on vit accourir à Charenton, aussitôt que le culte y fut autorisé et avant la construction du temple, non dix, douze ou quatorze mille protestants, qui auraient eu facilement raison des mutins qui ne voulaient point d'exercice si près de Paris, mais seulement environ trois mille, qu'il fallut protéger contre les attaques de la populace. On lit aussi dans la France protestante, art. Curtaud, que le temple de Dieppe, qui s'écroula, en ensevelissant quatre-vingts personnes sous ses ruines, et qui passait pour en pouvoir contenir de cinq à six mille, avait 96 pieds de long sur 74 de large, soit une superficie de 789 mètres au rez-de-chaussée. Si l'on donne à ses galeries les mêmes proportions qu'à celles de Charenton, on obtient pour les étages supérieurs 892 mètres carrés, qui, ajoutés aux 789 d'en bas, donnent un total de 1,681 mètres, c'est-à-dire cinq mille quarante-trois places.

L'édifice élevé par Salomon de Brosse sur le bord de la Marne, n'était donc pas un temple géant qui éclipsât tous les autres et

semblât vouloir égaler Notre-Dame de Paris (1); c'était un édifice modeste, de proportions très-ordinaires, admirablement aménagé et imposant à l'intérieur, mais fort laid extérieurement, et dépassé, sous le rapport des dimensions, par celui du faubourg de la Barre à Dieppe, et probablement par beaucoup d'autres.

Est-ce à dire que désormais l'on cessera de parler des quatorze mille auditeurs qui se pressaient au pied de la chaire des Mestrezat, des Drelincourt, des Daillé, des Lefaucheur, des Morus et des Claude? Nous n'en croyons absolument rien; mais il nous suffit de penser que nous avons fait, à cet égard, bien que tardivement, ce qui nous semblait un devoir.

Paris, 2 juin 1876.

O. DOUEN.

QUESTIONS ET RÉPONSES

UN PASTEUR DU DÉSERT ET UN ÉVÊQUE ANGLICAN

Pictet félicitant de son élargissement le pasteur du désert Maturin (ou Mathurin), condamné à une prison perpétuelle et relâché en 1713, à la paix d'Utrecht, après une captivité de vingt-cinq ans, et l'invitant à donner une relation de sa vie et de ses souffrances, ajoute: «Ne refusez pas, Monsieur, aux instances de mylord évêque dy Lahar (ou de Lahar) la relation qu'on vous demande. » (Ms. d'Ant. Court.)

Pourrait-on nous dire :

1o Quel était cet évêque anglican, qui prenait un si vif intérêt aux confesseurs de la foi réformée;

2o Si cette relation a été écrite et ce qu'elle est devenue?

Cette pièce serait l'une des plus curieuses de l'histoire des pasteurs du désert; car Maturin, sur l'apostolat et l'incarcération duquel on ne sait presque rien, est le seul pasteur emprisonné pour crime d'assemblée au désert que le gouvernement de Louis XIV ait relâché.

20 juillet 1876.

O. DOUEN.

(1) La superficie de Notre-Dame, sans les tribunes, est de 6,240 mètres carrés (130 de long sur 48 de large), qui, à raison de trois personnes par inètre, donnent dix-huit mille sept cent vingt places; mais il en faut défalquer l'espace considérable occupé par les piliers et les chapelles.

Paris. Typ. de Ch. Meyrueis, 13, rue Cujas. - 1876.

SOCIÉTE DE L'HISTOIRE

DU

PROTESTANTISME FRANÇAIS

ÉTUDES HISTORIQUES

PHILIPPE II ET LES COLONS PROTESTANTS

DE LA FLORIDE EN 1565

On a souvent retracé les essais de colonisation dont Coligny prit l'initiative au XVIe siècle, et les noms de Villegagnon, Jean Ribaut, René de Laudonnière sont présents à toutes les mémoires. Un récent ouvrage, aussi complet qu'habilement composé, de M. Paul Gaffarel, professeur à la faculté des lettres de Dijon, évoque ces souvenirs à la fois glorieux et tristes de la réforme française. L'auteur s'est particulièrement attaché à l'histoire des établissements qui eurent pour théâtre la Floride, et qui trouvèrent un double écueil dans leurs propres discordes et dans l'antagonisme de l'Espagne. Pedro Menendez, le farouche destructeur de la Caroline, ne fut que l'instrument des vues secrètes de Philippe II. Ce côté diplomatique de la question, jusqu'ici peu connu, a été mis en pleine lumière par M. Gaffarel, grâce à l'heureux emploi de documents inédits français et espagnols. Les pages suivantes de cet intéressant exposé ne seront donc pas déplacées dans le Bulletin. C'est au moment où Jean Ribaut aborde pour la seconde fois la Floride avec les lettres de rappel de Laudonnière (3 septembre 1565), qu'apparaît la flottille espagnole qui vient accomplir l'œuvre d'extermination. Les ennemis étaient en vue. XXV. 25

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