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horribles menaces. Pour nous, qui avons jeté notre ancre au ciel, nous naviguons au milieu de la tempête comme dans un port tranquille (1). »

Les lettres de Macard sont un miroir où se reflète la vie de la congrégation parisienne, avec ses incidents variés en ces jours critiques. Le fidèle pasteur ne laisse rien ignorer à Calvin de ce qui se passe au sein du troupeau affligé, des marques de constance ou de faiblesse qui viennent attrister ou réjouir son cœur : « Je reviens aux prisons; nous y comptons encore trois athlètes dignes d'estime, Sarrazier, Favre et Guérin. Je les ai exhortés, il y a trois jours, dans le préau des Tournelles, et j'ai été grandement édifié par leurs réponses. Le carmélite qui nous avait donné quelque espoir est retourné honteusement à la messe. Il m'a même fermé quelque temps la porte des cachots en révélant ma qualité de ministre que plusieurs soupçonnaient déjà. Dieu m'assiste, et cela me suffit, car je marche dans ses voies et je ne fais rien à la légère. James Hamilton est retourné à Poitiers pour confirmer les siens. Il est certain qu'il n'a pas reçu l'absolution, comme on l'a dit, non sans scandale, d'après les termes de la sentence prononcée contre lui par les juges. Le remède est facile mais les forts ont aussi leurs faiblesses... Parmi les captifs, il en est quelques-uns desquels je n'ose rien affirmer. Celui qui avait été mené à Orléans est mort en prison, après avoir purement confessé sa foi à la confusion de son juge. Trois de nos frères qui s'étaient rendus chez les Chartreux dans l'espoir de convertir l'un d'entre eux, ont été trahis par ces démons et emprisonnés. J'ignore comment ils supportent cette épreuve. Il semble que les juges reculent devant l'application de la peine capitale. Mais, parmi nos frères, beaucoup sont intimidés, et l'on a de la peine à trouver des locaux pour les assemblées qui, du reste, sont peu nombreuses. Quoique l'on doive craindre

(1) «Nos tamen qui fixam in cœlo anchoram habemus, non secus inter istas turbulentas jactationes navigamnus ac si in tranquillo portu essemus, » (Ibid.)

de ces commissaires faméliques, qui vont partout cherchant leur proie, nous avons encore plus à redouter la fureur de la populace dont les prêtres excitent la rage dans leurs sermons, en déclamant contre les juges qu'ils accusent d'être luthériens (1). »

Une triste nouvelle vient de se répandre dans l'Eglise de Paris. Celle des captives sur laquelle on fondait le plus d'espoir, Madame de Rentigny, intimidée par les menaces des juges, vaincue par les prières de son mari, a consenti à entendre la messe, et vu s'ouvrir les portes du cachot pour prix d'une abjuration plus ou moins volontaire; le précepteur de ses enfants a fait amende honorable au parvis NotreDame. Grave sujet d'humiliation pour le pasteur qui ne veut pas désespérer d'une âme encore ouverte aux salutaires impressions du repentir. C'est à l'instigation de Macard que Calvin adresse à la fille du seigneur de Rambouillet, rendue à sa famille et veillant au chevet d'un époux malade, ces paroles si propres à la ramener dans la voie du renoncement et du devoir: « Vray est, Mademoiselle, qu'il ne vous faut chercher nulle excuse pour amoindrir vostre faulte... Vous n'avez pas résisté devant les juges comme vous le deviez; vous avez trop accordé à vostre mary pour luy complaire. Si vous continuez encores à plier et à fleschir, il y a danger que tout ce que Dieu avait mis en vous de zèle et bonne affection s'amortisse. Ce n'est pas petite offense quand vous déclarez à un incrédule que vous estes preste de le préférer à Dieu. De gaigner vostre mary par moiens licites, c'est une chose désirable... Mais de luy faire hommage qui emporte sacrilége, et pour vous réconcilier avec luy, faire divorce avec Dieu, et pour nourrir une paix mauldite avec luy, provoquer contre vous le juge céleste, et en faveur du mariage terrien et caduque, rompre le lien perpétuel et sacré par lequel nous sommes

(1) « Quanquam metuuntur commissarii famelici undique venantes prædam, magis tamen reformidatur populi furor, quia sacrifici in suis pronis clamitant et acuunt rabiem plebeculæ, invehent contra judices quasi stent a parte lutheranorum. » Rachamus Calvino, 27 martii 1558.

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joincts au Fils de Dieu, nostre Sauveur, jugez s'il ne seroit point meilleur de mourir cent fois!» (1)

Ces véhémentes exhortations, qui paraissent dures à notre âge sceptique, éveillaient alors dans les âmes un trouble salutaire et de viriles résolutions. La fille du seigneur de Rambouillet semble avoir traversé victorieusement les luttes qui l'attendaient sous le toit conjugal, comme une mélancolique réalisation des paroles du Christ annonçant les divisions qu'il venait apporter sur la terre (2). Une lettre de Macard à Calvin, du 12 avril 1558, montre qu'elle eut un moment le projet de se retirer à Genève où Charles de Jonvillers, son parent, l'avait depuis longtemps précédée, et ne laisse aucun doute sur ses vrais sentiments: « Nous avons permis à Mademoiselle de Rentigny de se rendre auprès de son mari trèsdangereusement malade et qui lui fait les plus belles promesses. Déjà les chevaux étaient achetés qui devaient la transporter auprès de vous. Certes, elle s'est courageusement conduite dans ces derniers temps (3). » Une autre lettre, écrite quelques mois plus tard, contient ces mots significatifs : « Nous avons envoyé Dampierre à Mademoiselle de Rentigny pour qu'il nous rapportât quelque chose de certain- à son sujet. Elle nous écrit qu'elle se sent plus forte qu'auparayant; elle a même quelque espoir de gagner son mari, et se recommande en attendant à vos prières (4). » Ces précieux fragments, tirés d'une correspondance peu connue, nous initient aux détails d'un apostolat qui ne se poursuivait pas sans douleurs, dans les prisons, au foyer domestique, sur la terre d'exil, et dans lequel Macard sut se montrer le digne collaborateur de Calvin.

(Suite.)

JULES BONNET.

(1) A Mademoiselle de Rentigny, 10 avril 1558. Lettres françaises, t. II, p. 189 191.

(2) Evangile selon saint Matthieu, ch. X, v. 35, 36, 37, 38.

(3) « Certe hactenus viriliter se gessit. » Rachamus Calvino, 12 avril 1558. (4) « Scribit illa sibis meliu esse quam antea, nonnihil spei se habere de viro. Interim vestris precibus se commendat. » Idem eidem, 14 julii 1558. Lettre contenue dans le portefeuille 1 de la bibliothèque de Genève (Lettres de divers), et non reproduite par M. Coquerel.

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Qui aurait jamais cru que le réformateur Farel pût être rangé au nombre des écrivains militaires? Mais de quoi ne s'avise pas l'ignorance, jugeant sans appel? Les lettres suivantes de Farel et de Toussain, qui faisaient partie d'une volumineuse collection de papiers de famille, étaient placées dans un fascicule portant l'étiquette : « Lettres tout entièrement militaires. » Heureuse bévue! Elle a servi de sauvegarde. Quand vint le moment de faire un choix dans les archives de la famille *** (c'était en 1836), tout ce qui n'était pas « militaire » fut jeté au feu. Nous ne faisons que citer ici la déclaration de la personne, d'ailleurs très-honorable, qui présidait à l'auto-da-fé. C'est ainsi qu'une très-riche collection de lettres, appartenant à une ancienne famille, alliée aux plus grands noms de la Lorraine et des pays voisins, a été décimée, de sang-froid, en plein dix-neuvième siècle!

Mais heureusement pour l'histoire du protestantisme, quelques-unes de ces lettres militaires sont devenues la propriété de M. le baron Schickler, à Paris. Tous ceux qui aiment à connaître les origines de nos Eglises lui sauront gré de ce qu'il a bien voulu permettre que ces précieux documents fussent publiés dans le Bulletin.

Ils sont tous très-intéressants, mais de valeur inégale. Les trois lettres écrites par Farel méritent, en particulier, la plus sérieuse attention; elles révèlent, sous de nouveaux aspects, cette âme ardente et si profondément religieuse. L'épître du 16 octobre 1526, à elle seule, est un véritable trésor. Le cœur de Farel s'y découvre à nu, et ce qui frappe tout d'abord, c'est la joie, la paix de ce néophyte, « qui était riche comme Job, » cette consécration absolue au devoir, ce zèle ardent qui lui faisait dire : « Pas ne faut que vous escrive mon desir, pour lequel volontiers me ferois une souris, pour entrer en lieu où je puisse servir à Celuy à qui je dois tout. >>

On a quelquefois reproché à la réforme du XVIe siècle d'avoir saisi la religion par l'intelligence plus que par le cœur, de s'être attachée

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à proclamer des vérités plutôt qu'à nourrir la vie spirituelle. Ce reproche ne saurait atteindre le réformateur Farel. Il vivait pour Celui à qui il devait tout, et quand il exhorte le chevalier d'Esch « à ne penser à autre chose qu'à Jésus, à ne rien faire que pour Jésus, tellement qu'ici et après il soit toujours en Jésus, » on croit entendre le pieux Le Fèvre d'Etaples s'écriant : « Allons à Jésus-Christ en toute fiance! Il soit notre pensée, notre parler, notre vie et notre salut, et notre tout! Lequel le Père nous a donné pour vivre en lui, et par lui et par sa parole. » Les mêmes fruits d'une piété intime et sincère venaient de se manifester chez plusieurs personnes, mortes de la peste. «Ils sont partis de ce monde, disait Farel, en une grande confiance en notre Seigneur, » tandis que « les adversaires, en grande horreur et merveilleuse impatience, et contre leur volonté, quittent cette misérable vie. » La lettre écrite par Farel le 17 octobre 1526 retrace également quelques circonstances touchantes de la mort de trois ou quatre réfugiés de Metz. Les détails de ce genre ont d'autant plus de prix qu'ils sont plus rares dans les correspondances de ce temps-là. On ne songeait pas alors à recueillir les récits des morts édifiantes. C'était assez de pouvoir dire: Ils sont allés joyeusement à notre Seigneur.

L'une des épîtres de Farel jette une vive lumière sur une période intéressante et jusqu'ici peu connue du développement de ce réformateur. Ses débuts dans le ministère pastoral, à Montbéliard (1524), annonçaient un prédicateur zélé, mais violent. OEcolampade dut blâmer ses sorties contre les prêtres, et il lui rappela qu'il avait été envoyé pour annoncer la bonne nouvelle du salut et non pour maudire. « Votre zèle excessif, lui disait-il, vous fait oublier la faiblesse de vos frères. Il ne suffit pas d'être affable pour les amis de la Parole, efforcez-vous aussi de gagner les adversaires par la persuasion. Faites pour les autres ce que JésusChrist ferait pour vous, et apprenez de lui à être doux et humble de cœur. » Cette leçon ne fut pas perdue. Strasbourg devint pour l'ami d'Ecolampade une école de modération et de sagesse. Aussi le Farel de 1526 est-il bien différent de celui de 1524. Son ancienne fougue a fait place à une ardeur contenue et réfléchie. Il a appris à compter avec les obstacles et à proportionner les moyens au but. On peut en juger par les conseils qu'il donne aux évangéliques de Metz. Il ne se contente pas de leur prescrire, comme règle générale, la vraie charité qui ne songe qu'au salut du prochain. Il leur recommande expressément de ne pas scandaliser « les infirmes, » et, à cet effet, d'observer extérieurement les jeûnes et les fêtes de l'Eglise, puisque ce sont choses permises à la liberté chrétienne, pourvu qu'elle ne renie pas Jésus-Christ. «Et surtout ajoute-t-il, il faut garder la douceur de Jésus et attendre ceux que notre Seigneur veut attirer, pensant que c'est une grande chose si, au commencement, on ne blasphème point Dieu en sa Parole, et plus grande, si on la peut ouïr; encore plus grande, si on vient aucunement à en dire du bien et penser qu'elle est véritable, - jusques à ce qu'on vienne à la magnifier et annoncer et à se gouverner selon icelle... L'usage de

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