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Languedoc, et les pages qui suivent, écrites par un témoin oculaire, peignent au vif le culte du Désert en 1743:

« Une des plus éclatantes de ces assemblées fut faitte le dimanche, 8e du mois de septembre, dans un vaste vallon placé entre le lieu de Calvisson et de Langlade (La Vaunage). Elle fut composée d'environ dix mille personnes, qui s'étant placées sur le penchant d'une des montagnes qui formoit le vallon, offroit aux yeux des spectateurs un amphithéâtre qui frappoit par la diversité de ses objets et des couleurs. Une chaire destinée pour le sieur Clary, ministre, fut placée dans l'endroit le plus convenable et le plus commode pour les nombreux auditeurs. Il y parut en habit décent, c'est-à-dire en robe et en colet. On ne sera pas fâché d'être instruit de ce qui se passa dans cette assemblée. En attendant que le peuple se ramassât, on lisoit tantôt un chapitre du Nouveau Testament. A la suite, on chantoit un psaume, ce qu'on renouvella jusques à ce que l'assemblée fut plus nombreuse. Alors on lut le Décalogue et en un endroit de l'Evangile; le ministre fit une prière, et prit son texte dans un des versets. II prêcha fort longtemps, et le sermon fini, on célébra la sainte Cène; sur quoy il sera observé que quelques-uns en furent exclus, sur le témoignage des anciens qui déclarèrent qu'ils n'en étoient pas dignes par rapport à leurs mœurs.

« Ces actes de religion furent suivis du chant de quelque cantique en action de grâces. Alors on baptisa quelques enfants; on bénit quelques mariages, et on imposa les mains à un nouveau ministre appelé Dufer, originaire du lieu du Grand-Gallargues, qui depuis cet événement a changé de nom, et qui se trouve néantmoins un très-bon sujet.

« Le zèle des protestants ne diminua pas le dimanche d'après. Il fut convoqué, du côté de Ners et de Boucoiran, une assemblée aussi nombreuse que celle qui avoit précédé. Mais ce fut le sieur PAUL, MINISTRE, qui y prêcha, et qui fit toutes les fonctions de pasteur. Le dimanche d'après, on en vit une autre, dans les hautes Garrigues de Nismes, moins nombreuse. Aussy ne fut-ce qu'un proposant qui fut chargé du ministère de la Parole. On prétend qu'il s'en acquittà assez bien, de même que des autres exercices, suivant le rapport d'anciens catholiques qui s'y trouvèrent par hasard. Il avoit commencé environ les cinq heures du matin. La prière qui fut faite avec beaucoup de ferveur les occupa pendant une heure, et le chant des Psaumes, avec la lecture de l'Evangile, ne les détint pas moins ; de sorte que le ministre Paul étant survenu pour baptiser quelques enfants et pour bénir plusieurs mariages qui étoient prêts, ayant ensuite publié plusieurs annonces, toutes les fonctions allèrent au [delà] de l'heure de midi; après quoy le sieur Paul bénit et congédia le peuple.

« Le dimanche, jour de la Saint-Michel, il y eut encore une assemblée près le pont de Saint-Nicolas, et pareillement dans le premier et second dimanche du mois d'octobre. Tout auprès de Nismes, et vers le chemin d'Uzès, on y fit les mesmes exercices; mais ce fut le sieur Pradel, autrement dit le sieur de Vézenobre, qui prêcha dans l'une et dans l'autre. C'est un__ministre de quelque distinction parmy les protestants. Ils prièrent Dieu pour le retour de la paix et pour le succès des armes de Sa Majesté (1). Au surplus, les habitants de Nismes faisoient le plus grand nombre dans l'une et dans l'autre, bien que la saison ait commencé à redevenir incommode. »

L'ode au ministre Paul Rabaut, à celui que les protestants nîmois nommaient Monsieur Paul, vient tout naturellement à la suite du

(1) On était alors en pleine guerre de la succession d'Autriche, et c'est à un chef protestant, le maréchal de Saxe, que la France dut ses seules victoires.

*

récit de ces assemblées du Désert qu'il présida durant tant d'années. Ce morceau, écrit de la même main que le mémoire dont on a fait les extraits qui précèdent, en occupe les dernières pages. L'enthousiasme religieux qu'il respire prouve que l'auteur était lui-même un des sectateurs du culte proscrit, un de ceux que le grand ministre du Désert avait plus d'une fois édifiés au péril de sa vie.

Il ne nous reste qu'à payer un juste tribut de remercîments à l'ami qui a bien voulu nous communiquer le texte de cet intéressant mémoire. M. Auguste Jonquet, son possesseur, peut se dire qu'il comptait parmi ses ancêtres plusieurs auditeurs de Paul Rabaut, comme le témoigne, non sans éloquence, la lettre suivante, dont nous lui devons également la communication. C'est une page d'honneur pour sa famille :

A Monsieur Jonquet, notaire à Brignon, diocèse d'Uzès.

A Montpellier, 17 juin 1751.

Je suis informé, Monsieur, que non-seulement vous ne remplissez aucun des devoirs de la religion catholique, quoique vous n'ayez été reçu à vôtre office que sous un certificat de catholicité, mais encore que vous faites les fonctions de ce qu'on appelle parmi les protestants, ancien du consistoire, et que vous donnez retraite aux ministres avec lesquels vous estes en grande relation.

Je veux bien pour cette fois ne pas demander les ordres du Roy pour vous interdire vos fonctions; mais je vous préviens que si vous ne réformez pas entièrement vôtre mauvaise conduite, et que je reçoive la moindre plainte contre vous, je demanderai votre interdiction, et j'expédierai des ordres pour vous faire arrêter.

Je suis, Monsieur, entièrement à vous.

Dë (nom illisible).

Ode à M. Paul, pasteur de l'Eglise de Nismes dans le Désert.

1

Damon, quel nouveau phénomène

Attire nos cœurs agités?

Quel est l'objet qui nous entraîne

Dans ces déserts inhabités ?

Après une si longue attente,
La grâce toujours triomphante
Vient enfin nous secourir.
Jésus, que sa divine flamme

De son feu réchauffe mon âme

Toute prête à se refroidir!

2

Hâtons-nous, marchons sans contrainte.
Dieu se montre à nos faibles yeux.
Ne craignons plus la vive atteinte
De nos ennemis orgueilleux.
Courons où sa voix nous appelle;
Montrons par une ardeur nouvelle

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Il est plein d'infidélité.
Aussi méprisant la vengeance,
Cher Paul, dans un profond silence,
Laisse parler la vérité.

12.

Cher pasteur, veux-tu me connoître ?
Prends garde à mes soins assidus;
De ton bercail je suis peut-être
La brebis qui t'aime le plus.
Dieu seul, qui connoît mes pensées,
Même avant qu'elles soient tracées,
Sçait quels sont pour toy mes souhaits,
Et sans que mon cœur en murmure,
Je consens, si je suis parjure,
Qu'il m'accable de tous ses traits.

NÉCROLOGIE

M. CHARLES EYNARD

Le Journal de Genève, du 25 septembre dernier, contenait les lignes suivantes, qui rendent trop bien nos propres sentiments pour ne pas trouver place dans le Bulletin:

« Nous avons appris avec un vif regret la mort d'un homme éminemment distingué, M. Ch. Eynard, neveu du célèbre philhellène, et qui réunissant les deux nationalités, genevoise et vaudoise, partageait son temps entre Genève où il habitait l'hôtel construit par son oncle, et le canton de Vaud où se trouvait située sa campagne de Beaulieu.

« M. Ch. Eynard, malgré ses aptitudes diverses et sa remarquable intelligence, avait toujours refusé de s'occuper de politique. Son activité s'était tournée du côté de l'histoire et surtout de l'histoire littéraire; nous lui devons en effet quelques-unes des meilleures biographies publiées sur certains personnages marquants des trois derniers siècles. Son étude sur Lucques et les Burlamaqui, ses biographies du chevalier Guisan, gouverneur de la Guyane, et du Dr Tissot, enfin sa grande étude sur Madame de Krüdner, qui contient tant de révélations sur certains mouvements religieux du commencement de ce siècle, assurent à M. Ch. Eynard une place extrêmement distinguée parmi nos auteurs contemporains.

« Nous espérons qu'une main amie voudra bien retracer cette vie si pleine d'intérêt, quoiqu'elle puisse paraître peu variée au premier abord, pour nous faire descendre dans l'intérieur d'un homme pieux, charitable et bon comme il en existe trop peu parmi nous. »

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