Page images
PDF
EPUB

arrive à des chiffres de 371 marks de frais par accident indemnisé pour la corporation des fabricants d'instruments de musique et de 285 marks pour la corporation des meuniers. Ces frais tombent à 67 marks par accident indemnisé dans la corporation des mines.

Après avoir très largement accordé des pensions pour incapacités totales permanentes, les conseils des corporations, préoccupés de la croissance rapide des charges, deviennent d'année en année plus sévères, en 1890, ils n'accordaient déjà plus que la moitié des pensions pour invalidités totales qu'ils n'accordaient en 1887. La proportion a encore baissé en 1891 et 1892. Par contre, les conseils continuent à accorder des pensions toujours plus nombreuses pour incapacités partielles. Plus la loi est connue et plus augmente le nombre des accidents. Ainsi que nous le disions plus haut, la progression des accidents non mortels s'est accrue dans la proportion de 50 0/0. Comme cette proportion augmente tous les ans, on peut prévoir le moment où les charges financières résultant de la législation nouvelle deviendront intolérables. On sera évidemment obligé de se montrer plus sévère dans la distribution des pensions et d'en réduire le taux. Oui, mais que diront les ouvriers, aux yeux desquels le gouvernement a fait si souvent miroiter les bienfaits de l'assurance obligatoire ? »

Voici maintenant la lettre que M. Magnin, alors ministre des Finances, adressait au président du Sénat, sur une pétition tendant à ce que l'assurance soit exploitée par l'Etat.

Elle est, malgré sa date, d'actualité, parce qu'elle est basée sur des raisons et des faits qui ne sauraient changer; de plus, elle est un résumé exact et précis de la question.

Paris, le 24 février 1881.

MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

Vous avez bien voulu renvoyer à mon examen, sur les conclusions conformes de la troisième Commission, une pétition par laquelle quatre-vingt-quatre habitants de Freneuse (Seine-et-Oise) demandent l'État prenne à sa charge les assurances contre l'incendie, contre

que

Lettre de M. Magnin sur les causes de l'incapacité de l'Etat comme assureur

la grêle et contre les pertes de bestiaux; que les assurances soient obligatoires pour les propriétaires agricoles et que les primes aujourd'hui touchées par les Compagnies soient recouvrées par les percepteurs, comme en matière de contributions directes, c'est-à-dire transformées en un impôt.

J'ai l'honneur, Monsieur le Président, de vous faire connaître les considérations pratiques qui me paraissent s'opposer à l'adoption des conclusions formulées par les pétitionnaires.

Ce n'est pas la première fois que les pouvoirs publics ont à statuer sur la question qui s'agite.

Dans d'autres temps et dans d'autres pays, on a recherché s'il n'y aurait pas avantage pour l'ensemble des propriétaires et bénéfice pour la chose publique elle-même à charger l'État du service des assurances; car, pensait-on, une taxe obligatoire, moins élevée, pourrait peut-être remplacer efficacement le montant de la prime, qui ne laisse pas d'être lourde pour ceux qui la supportent volontairement.

Les esprits ingénieux ont même proposé, à cette intention, d'augmenter, dans la mesure qui serait jugée nécessaire, le fond de secours mis chaque année, par la loi du budget, à la disposition du ministre de l'agriculture, pour venir en aide aux victimes de la grêle, de l'incendie et des inondations, ainsi que le fonds de non-valeurs dont peut disposer le ministre des finances, pour accorder des remises et modérations d'impôt aux contribuables malheureux. On aurait ainsi organisé, sous la garantie de l'État, en profitant du concours de ses services, une vaste Société d'assurance mutuelle et obligatoire, qui aurait pu soulager bien des infortunes et réparer bien des dommages.

Il n'y a pas lieu de se préoccuper ici de la question de savoir quelle doit être, en général, l'importance de la participation de l'État aux actes de bienfaisance publique, ni des différences nombreuses qui existent, dans l'application, entre la distribution d'un fonds de secours, quelque considérable qu'il soit, mais qui est cependant toujours limité dans sa spécialité, et le fonctionnement régulier d'une assurance qui assume tous les risques du capital déclaré, sans distinction de fonds ni de personnes. Je me bornerai à examiner la proposition au point de vue du rôle nouveau qu'elle

ferait jouer à l'État et des responsabilités qu'elle imposerait au

Trésor.

Dès l'année 1846, plusieurs conseils généraux, s'eccupant des modifications à introduire dans la législation des assurances, demandèrent que l'État fût substitué aux Compagnies ; leur initiative n'eut pas de suite.

Un peu plus tard, en 1848, le Gouvernement provisoire ayant annoncé le rachat prochain de toutes les assurances pour le compte de l'État, le ministre des finances présenta, dans la séance du 8 juin, un projet de décret tendant à ce que l'État prît possession des assurances contre l'incendie, puis déclarât l'assurance des valeurs immobilières, ainsi que celle du mobilier personnel, obligatoire, et l'assurance des marchandises, du mobilier industriel, des récoltes et du bétail, facultative. Les travaux de la Commission nommée pour l'examen n'aboutirent à aucune solution.

Cependant, malgré ce premier échec, la proposition fut reprise, mais modifiée en ce sens que l'assurance des bâtiments serait seule obligatoire, et qu'on ferait entrer dans le domaine de l'État, à partir du 1er janvier 1852, les assurances contre l'incendie, soit à primes fixes, soit mutuelles. Elle fut, cette fois, directement et définitivement repoussée par l'Assemblée nationale, dans sa séance du 10 mai 1851, sur un rapport très étudié, de M Béchard.

Je pense que les considérations d'ordre supérieur, les difficultés d'application, les dangers pour le Trésor, mis en avant par le savant rapporteur, et qu'on a fait valoir à deux reprises successives, en 1848 et en 1851, contre la prise de possession des assurances par l'État, ont conservé toute leur force et leur valeur. Je pourrais ajouter qu'elles ont été plus récemment encore appréciées et confirmées par le législateur qui, en assujettissant les Sociétés d'assurances et les contrats qu'elles passent à de nouveaux impôts, n'a jugé utile ni au bien général ni aux intérêts du Trésor de leur demander, par la suppression de leur industrie, un sacrifice supérieur à celui d'une taxation financière, montrant ainsi qu'il valait mieux, en cette matière, laisser se développer librement l'initiative particulière et l'esprit d'association, que de faire entrer dans le domaine de l'État une nouvelle branche de l'activité industrielle.

༢་

L'impôt de l'assurance, dit le rapporteur devant l'Assemblée nationale, blesserait à la fois le citoyen dans sa personne et dans sa propriété dans sa personne, en le privant du droit de choisir le mode et le prix de la garantie, et en lui ôtant même la faculté, dont il jouit aujourd'hui de s'abstenir de l'assurance; dans sa propriété, en lui imposant une tutelle qui le dépouillerait de la libre disposition de son propre bien. Le principe de cet impôt serait injuste et dangereux. Il pèserait indistinctement sur l'homme soigneux et sur l'homme négligent ou coupable Il ferait subir à l'un et à l'autre la même surveillance, les mêmes mesures de précaution; il enlèverait à l'homme de bonne foi les facilités et les garanties que peut lui offrir la liberté des conventions.

Les pétitionnaires font valoir, sans toutefois donner aucune preuve à l'appui,que la substitution qu'ils sollicitent de l'État aux Compagnies d'assurances procurerait de sérieux avantages aux propriétaires agricoles. Pour que cette affirmation demeurât incontestable, il faudrait qu'il fût démontré que l'État peut, à des conditions moins onéreuses pour l'assuré que celles faites par les Sociétés, garantir les risques résultant du feu, de la grêle, de la maladie des bestiaux, parce que la direction imprimée par lui à ce service sera plus inflexible et plus économique, la répression des délits plus active, le besoin de faire des bénéfices moins pressant. Mais tous ceux qui ont eu à étudier la question si complexe et si délicate des assurances ont prévu que les règles de notre régime administratif et financier se prêteraient mal aux facilités et aux nombreuses combinaisons que la variété des risques à courir impose aux Sociétés privées, dont le zèle se trouve encore stimulé par la concurrence; et dès lors, il y aurait à craindre, au contraire, que, confiées aux agents du Trésor, les expertises ne devinssent plus coûteuses, les frais d'adminitration plus considérables, les délais pour le paiement de l'indemnité plus prolongés; la prime à payer par l'assuré, ne pouvant, d'ailleurs, être inférieure à celle qu'il supportait précédemment, de volontaire serait devenue forcée.

Je ne vois rien, dans tous ces résultats, qui puisse justifier les espérances des signataires de la pétition et donner aux intérêts agricoles une sécurité plus grande que celle dont ils jouissent sous le régime actuellement en vigueur.

[ocr errors]

Au surplus, il est permis de se demander comment serait accueillie, par la masse générale des contribuables, la taxe nouvelle, imposant une mesure simple de précaution, qu'un propriétaire doit toujours être libre de prendre ou de négliger. Sans doute, bien des motifs peuvent faire désirer que les contrats d'assurance se multiplient; mais, pour atteindre ce but, ne vaut-il pas mieux laisser libre l'initiative de l'intérêt particulier que de recourir à l'impôt, précisément à une époque où les pouvoirs publics sont tous d'accord pour procéder à des dégrèvements considérables?

Au reste, les auteurs de la pétition ne tiennent pas compte des assurances mutuelles, qui, dans leur système, disparaîtraient probablement, puisqu'il ressort de leur exposé que les assurances à primes ⚫ devraient être généralisées. Cette uniformalisation lèserait indubitablement les intérêts et les convenances de beaucoup d'assurés, d'autant mieux que plusieurs assurances agricoles sont des assurances mutuelles.

Dans ces conditions, j'estime que les propriétaires agricoles, auxquels les pétitionnaires ont l'intention, du reste fort louable, de venir en aide, par une disposition de faveur, pourraient, avec quelque raison, se prononcer contre elle, trouvant que cette aggravation de charges contre le but proposé et ne leur assure, en compensation, ni des avantages plus réels ni des garanties plus précieuses.

D'un autre côté, si j'examine, au point de vue du budget, les conséquences financières qu'entraînerait l'adoption de la pétition dont il s'agit, je me trouve amené à étudier la situation que ferait à l'État cette prise de possession nouvelle vis-à-vis des Compagnies d'assurance exerçant leur industrie sous la sauvegarde de la loi, et à me demander si une bonne administration des deniers publics pourrait s'accommoder des différences et des incertitudes que ne manqueraient pas d'occasionner les variations, en nombre et en gravité, des sinistres à indemniser annuellement.

Dans le cas où, comme on le propose, l'État viendrait à prendre à sa charge toutes les assurances, en établissant une taxe qui représenterait le capital à rembourser, en cas de sinistre, les Compagnies d'assurances, privées de leur clientèle ordinaire, troublées dans leurs opérations, seraient-elles recevables à réclamer une indemnité

« PreviousContinue »