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pour le préjudice éprouvé et la défaveur qui, désormais, frapperait leur industrie? On peut soutenir que non; car, en ne s'arrogeant vis-à-vis des Compagnies existantes ni privilége ni monopole, en laissant la liberté de contracter, auprès d'elles, des assurances supplémentaires, l'État ne les dépossèderait pas, et, par suite, ne leur imposerait aucune expropriation. Il leur créerait, sans doute, une concurrence redoutable et des embarras sérieux, mais il ne les priverait pas de l'exercice de leurs droits, et une indemnité ne saurait leur être due. En exigeant de chaque contribuable une prime d'assurance, sous forme de taxe obligatoire, l'État ne ferait qu'user de son droit souverain, de percevoir ses revenus sous la forme qui lui paraît la meilleure.

Mais il faut toujours se demander s'il conviendrait que l'État se mît à la place de l'industrie privée, pour prendre la responsabilité des risques s'élevant à des milliards, pour payer annuellement des indemnités se soldant par des millions, pour constituer des réserves, les faire valoir, et s'exposer, par ce mouvement de fonds, à des pertes peut-être considérables.

Si on jette un coup d'œil sur la nomenclature des Compagnies d'assurance contre l'incendie et contre la grêle, on voit que malgré l'élévation des primes perçues par elles, malgré une direction intelligente et économe, toutes sont loin de jouir de tels avantages Si quelques-unes réalisent des bénéfices, certaines n'en font pas ; d'autres ne peuvent se soutenir, et on peut affirmer que les mieux dirigées ne doivent leur prospérité qu'au choix minutieux de leur clientèle, du théâtre de leur opérations, et au refus de couvrir les risques attachés à des récoltes ou à des constructions trop exposées. Et là où l'initiative privée ne réussit que grâce à son zèle, à la variété de ses ressources et de ses combinaisons, l'État ne rencontrerait que difficultés entravant la marche de ses services. Il serait exposé, en outre, à perdre son prestige, non-seulement dans les litiges relatifs au règlement des indemnités, mais encore dans les discussions que pourrait faire naître l'établissement des bases de l'impôt.

D'ailleurs, la prime d'assurance, perçue par l'État pourrait-elle

être recouvrée comme en matière des contributions directes?

Les contributions directes frappent le revenu, tel qu'il se manifeste

par certains signes extérieurs déterminés par la loi, tandis que les assurances portent, en grande partie, sur le capital. Il est, en outre, une foule d'objets dont il n'est pas tenu compte pour l'assiette de l'impôt direct, tel que les meubles meublants, le matériel agricole, les marchandises, les ustensiles servant à l'exercice des professions commerciales, les bestiaux, etc., etc. J'ajouterai que les bâtiments ruraux ne sont imposés que pour leur superficie. Les contributions directes ne fournissent donc, en ce qui touche une partie considérable de la fortune publique, aucune donnée susceptible de servir à l'assiette des assurances ou d'une taxe destinée à les remplacer.

De plus, l'impôt direct est établi le 1er janvier pour l'année entière, et, sauf quelques exceptions, il est dû en raison de la matière imposable existant à ladite époque. Cette disposition fondamentale ne pourrait se concilier avec la mobilité que présentent les valeurs susceptibles d'être assurées. Puis, tout le monde ne paie pas l'impôt direct. Dans les villes où, comme à Paris, une partie du contingent de la contribution personnelle mobilière est prélevée sur l'octroi, beaucoup d'habitants sont exonérés de l'impôt direct, même sans être indigents.

Dans les autres localités, les répartiteurs, usant avec bienveillance des pouvoirs que la loi leur confère, exemptent de l'impôt bien des individus qui en seraient rigoureusement passibles. Comment procèderait-on à l'égard des redevables jouissant de pareilles immunités? Enfin, pour l'évaluation des objets assurés, l'expérience a prouvé qu'il faut recourir à des tarifs nombreux, gradués en raison de la situation et de la construction des immeubles, de la nature des objets qu'ils renferment, de la profession des occupants, etc. Il serait fréquemment impossible, en raison de cette multiplicité des tarifs et des objets assurés, de déterminer sur laquelle des quatre contributions directes devrait porter le rehaussement représentant la taxe d'assurances.

Il serait fort difficile, d'ailleurs, de trouver un facteur commun convenable pour toutes ces valeurs, de façon à les convertir en un centime le franc, applicable au principal de chacune des quatre contributions directes, afin de faire payer à chaque redevable, par addition à sa cotisation, en fait de contributions de cette nature, le montant exact de l'impôt représentatif de la prime d'assurances.

On objecterait à tort, qu'au moins en ce qui concerne les récoltes, le service des assurances pourrait être effectué par les agents des contributions directes, puisque, dans les cas de pertes occasionnées par des grêles, des inondations, etc., ils constatent et évaluent les dommages, dans le but de faire accorder des dégrèvements et même des secours aux sinistrés.

En effet, les vérifications opérées dans ces circonstances portent sur des faits accomplis, et il est relativement facile d'arriver à constater l'importance de dommages récemment survenus; mais ces constatations ne constituent qu'une partie du service des assurances. Ce service en comporte une autre non moins importante: le calcul des taxes à exiger annuellement des assurés et représentant leur prime d'assurance; c'est l'établissement de ces taxes qui présenterait des difficultés insurmontables.

Pour toutes les natures de cultures, les risques ne sont pas les mêmes; dès lors, les redevances à exiger des cultivateurs ne sauraient être uniformes, même pour les propriétés qui portent au cadastre une dénomination identique. C'est ainsi que, sur les documents cadastraux, la dénomination de terre labourable est appliquée indistinctement aux sols cultivés en prairies artificielles, en blé, en pommes de terre, en betteraves, en plantes oléagineuses, etc.; en un mot, le cadastre ne tient pas compte des assolements. Au point de vue de l'impôt foncier, la distinction des assolements n'aurait pas sa raison d'être, cet impôt étant établi sur le revenu moyen ; cependant, elle est très importante pour le propriétaire assuré, qui ne considère en définitive que le produit actuel de ses biens et qui, en cas de sinistre, a le droit d'exiger le remboursement de ses pertes réelles. Ainsi, sans mentionner même les imperfections si nombreuses que le cadastre doit à son ancienneté, il ne fournirait aucun moyen de régler les taxes avec la précision qu'exige l'assiette d'un impôt.

Indépendamment, du reste, de toute autre considération, le nombre des cotes financières (14.236.000) est trop considérable pour qu'il soit possible aux contrôleurs de procéder annuellement aux constatations et aux calculs qu'exigeraient les taxes d'assurances, si elles s'ajoutaient à ses cotes; d'autant plus que, dans le cours d'une même année, certains fonds portent successivement deux récoltes différentes.

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Le nouvel impôt demandé par les pétitionnaires ne pourrait donc se superposer aux contributions directes et, si l'État se faisait assureur, il faudrait, de toute nécessité, asseoir la taxe conformément à des principes différents de ceux qui régissent les contributions directes.

En résumé, la substitution d'une prime obligatoire à une prime facultative viendrait créer une nouvelle charge pour les propriétaires agricoles; ce serait un supplément d'impôt au lieu des dégrèvements qu'ils réclament. Elle priverait le contribuable de sa liberté d'action, diminuerait le prestige de l'État, en le faisant sans cesse intervenir dans des expertises coûteuses et dans des discussions irritantes. Au lieu d'ouvrir au Trésor une source de revenus, le changement proposé multiplierait, sans profit pour personne, le nombre des fonctionnaires publics, accroîtrait les dépenses, occasionnerait des embarras administratifs et financiers et augmenterait peut-être certains sinistres. J'estime, en conséquence, que la pétition des habitants de Freneuse ne peut être accueillie.

Agréez...,

Avec les documents que nous venons de produire, nous croyons avoir suffisamment fait pour éclairer cette question de l'assurance par l'Etat.

Quelle conclusion en tirer?

C'est M. Viger qui nous la fournira lui-même, dans l'exposé des motifs de son projet, où le rôle de l'Etat en matière d'assurance est ainsi formulé:

« L'État ne doit pas intervenir dans les affaires concernant les intérêts particuliers des individus, ni s'exposer aux contestations, sans nombre résultant de l'évaluation et du règlement des sinistres.

>> Il est trop impersonnel pour entreprendre des opérations de ce genre. Ses agents n'ont pas les qualités voulues pour défendre ses intérêts, surtout lorsqu'ils risquent de se trouver en présence d'influences étrangères, dont ils peuvent redouter d'irriter les susceptibilités. Sa mission est plus haute, elle consiste à s'occuper des intérêts généraux du pays et, comme le développement des institutions de prévoyance revêt ce caractère d'une façon indiscutable, l'État doit évidemment intervenir pour les favoriser, mais non pour les faire fonctionner lui-même. »>

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Conclusion

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