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La transcription n'a pas lieu. Après son décès, le donataire, pour cause d'absence, ou autre quelconque, ne se présente point. L'héritier prend connaissance des forces de la succession. Il vérifie que l'actif est égal à vingt, en y comprenant la maison, et le passif à dix. Il ne voit en conséquence aucun danger, et il accepte purement et simplement. Le donataire vient ensuite réclamer la maison. Il me semble que l'équité exige qu'il indemnise l'héritier du préjudice que lui a causé l'ignorance de la donation, et que celui-ci peut lui dire avec fondement : Si vous eussiez fait transcrire votre donation je ne l'eusse pas ignorée; et alors bien certainement je n'eusse pas accepté la succession, et je ne serais pas exposé maintenant à payer les créanciers sur mes biens personnels. C'est un préjudice que j'éprouve par votre fait, et dont vous devez m'indemniser.

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L'on voit, au surplus, par là, qu'il y aurait une trèsgrande différence entre cette action en indemnité, et le droit d'opposer le défaut de transcription. En effet, celui qui use de ce dernier droit, anéantit entièrement la donation dans son intérêt, et quand même elle ne lui aurait causé aucun préjudice personnel. Ainsi, le défaut de transcription peut, comme nous l'avons dit, être opposé par celui à qui le donateur aurait transmis l'objet, même à titre gratuit, postérieurement à la donation, quoiqu'à son égard, il s'agisse seulement de lucro captando. Par l'action en indemnité, . l'héritier ne peut demander que la restitution du préjudice qu'il éprouve sur ses biens personnels. En effet, il ne peut dire autre chose, sinon que, s'il eût connu la donation, il n'aurait pas accepté la succession: or, s'il n'eût pas accepté, il n'eût rien perdu, à la vérité, mais aussi il n'eût rien gagné. Il ne peut donc demander qu'à être mis dans le même état.

En deuxième lieu, il importe peu que ceux qui ont droit d'opposer le défaut de transcription, aient connu d'ailleurs la donation. La transcription est le seul moyen légal de lui donner de la publicité : dès qu'elle n'a pas été transcrite, i!s sont censés l'avoir ignorée. L'action en indemnité ne peut avoir lieu, qu'autant qu'il est probable que l'héritier a ignoré

la donation. Si donc le donataire avait été mis en possession de l'objet donné, du vivant du donateur, s'il en avait usé notoirement comme propriétaire, l'héritier n'aurait pas d'action.

Telle est l'opinion que la raison d'équité me porterait volontiers à embrasser. L'on pourrait peut-être l'appuyer sur l'article 783 du Code, qui permet à l'héritier de se faire restituer contre son acceptation, lorsque la succession se trouve diminuée de plus de moitié, par la découverte d'un testament inconnu lors de l'acceptation. Or, que l'acte qui diminue la succession, soit un testament ou une donation, cela me paraît une circonstance totalement indifférente; il résulte toujours de cet article la preuve, que la loi elle-même a cru devoir venir, dans ce cas, au secours de l'héritier. Dans l'article 785, comme il n'y a personne à qui l'erreur puisse être imputée, il a bien fallu lui accorder le remède extraordinaire de la restitution; et comme cette restitution peut nuire à des tiers de bonne foi, on a dû ne l'accorder que dans un cas déterminé, à la diminution de plus de moitié de la succession; mais, dans notre espèce, où l'erreur peut être imputée au donataire, qui ne s'est pas conformé au prescrit de la loi, il paraît juste que ce soit lui qui en subisse la peine, et qui indemnise l'héritier du préjudice que sa négligence lui a causé. ]

Il en est de même de tous ceux auxquels la loi impose l'obligation de faire transcrire, ainsi que de leurs successeurs ou ayant-cause.

[Si donc le tuteur a acquis les immeubles donnés à son mineur, ou le mari ceux qui ont été donnés à sa femme, ils ne pourront argumenter du défaut de transcription, pour soutenir la validité de leur acquisition. Il en est de même de leurs ayant-cause. Et il a été jugé en Cassation le 3 juin 1823, que, par ayant-cause, il fallait entendre ici même ceux qui avaient acquis à titre onéreux des personnes chargées de faire transcrire. (SIREY, 1823, 1re partie, page 270).]

Mais, ces personnes exceptées, le défaut de transcription 941. peut être opposé par tous ceux qui ont intérêt. [ Et quand

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même ils auraient eu connaissance de la donation par tout autre moyen. (Argument tiré de l'article 1071). Voir RICARD, des Donations, partie 1re, nos 1249 et suivans. Mais que doit-on entendre par ceux qui ont intérêt? Je pense qu'on ne peut entendre que ceux avec lesquels le donateur a passé des actes qui seraient valables, si la donation n'existait pas, et nuls dans le cas contraire; par conséquent tous ceux qui ont acquis quelque droit sur l'immeuble depuis la donation, tels que les acquéreurs, à quelque titre qu'ils le soient, soit de la propriété, soit de quelque démembrement de cette même propriété, les créanciers ayant acquis une hypothèque générale sur tous les biens du donateur, ou spéciale sur les biens donnés. Quant aux créanciers chirographaires, il faut rappeler le principe posé ci-dessus, que la donation non transcrite est, à l'égard des tiers, comme si elle n'existait pas, et qu'elle n'est censée exister à leur égard que du jour de la transcription. Or, si elle eût été réellement faite à cette époque, les créanciers même chirographaires n'auraient-ils pas pu l'attaquer par l'action révocatoire, aux termes de l'article 1167, et d'après les distinctions que nous établirons sur ledit article. Je pense donc qu'ils le pourront également, par cela seul qu'ils sont antérieurs à la transcription, quoiqu'ils soient postérieurs à la donation. Voir un arrêt d'Amiens, en date du 11 juin 1814, rapporté dans SIREY, 1815, 2° partie, page 69; un arrêt de Cassation du 10 avril 1815, rapporté ibid., 1re partie, page 161.]

SECTION III.

Il faut que le Donateur se dépouille gratuitement.

Il ne faut pas conclure de ce principe, que le donateur ne puisse imposer aucune charge au donataire. Nous verrons même, dans la suite, que l'inexécution des conditions imposées par le donateur peut entraîner la révocation de la donation. Mais il faut entendre par là :

1o Que la donation étant une libéralité, doit être, au

moins dans le principe, avantageuse pour le donataire, et qu'elle cesserait d'être donation, si les charges imposées étaient égales au bénéfice présumé que le donataire peut en retirer.

[Dans ce cas donc, l'acte, quoique qualifié de donation par les parties, serait valable, quoiqu'on n'y eût pas observé les formalités prescrites pour les donations. Plus valet quod actum, quàm quod scriptum intelligitur.

Y aurait-il à distinguer si les charges stipulées profitent au donateur ou à des tiers? Je ne le pense pas. Je crois que, dans tous les cas, la nature de l'acte doit être déterminée la valeur des biens comparée au montant des charges.]

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2o. Que celui qui ne donne que ce qu'il doit, ou ce qu'il est obligé de donner, ne fait pas une donation, mais un paiement. Ainsi celui qui donne pour accomplir la condition d'une donation qui lui est faite, ou d'une obligation qu'il a contractée, ne fait pas lui-même une donation, quand même ce qu'il a été chargé de donner, serait pris sur ses propres biens. De même, les donations appelées rémunératoires ne sont vraiment donations aux yeux de la loi, que quand la récompense des services ne peut donner lieu à aucune obligation parfaite.

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[Il suffit donc qu'il existe une obligation parfaite, quand même elle serait purement naturelle, pour que l'acte ne doive pas être regardé comme une donation. Car puisque la chose payée en vertu d'une obligation de cette nature, ne peut être répétée, la loi regarde donc cette obligation comme réellement existante, et comme pouvant servir de base à paiement. (Art. 1235, et L. 19, § 4, ff. de Donat.) Et il faut donc décider par la même raison, que la donation faite en acquittement d'une semblable obligation, ne serait pas assujétie aux formes prescrites pour les donations proprement dites, ni aux dispositions relatives à la révocation pour survenance d'enfans, pour ingratitude, à la réduction pour la légitime, etc. (Voyez RICARD, partie 3, nos 613 et suivans).

Nota. L'on a jugé à Bruxelles, le 16 janvier 1812, qu'une constitution de rente viagère, au profit d'une domestique, pour la récompenser de trente ans de bons services, devait

être regardée comme l'acquittement d'une dette naturelle, et comme telle, non révocable par la survenance d'enfans. (SIREY, 1813, 2o partie, page 56.)]

SECTION IV.

Il faut que le Donateur se dépouille irrévocablement.

L'irrévocabilité est un des principaux caractères de la donation entre vifs proprement dite, dans le sens que le donateur ne peut, par son fait seul, en détruire ni en altérer l'effet. De là il suit, que toute donation qui peut dépendre de la seule volonté du donateur, est absolument nulle.

Cette disposition s'applique, 1o aux donations faites sous une condition qui dépend de cette volonté.

[Par conséquent elles peuvent être faites sous des conditions purement casuelles. Cependant quelques personnes ont voulu établir une distinction entre celles de ces conditions qui, suivant elles, donnent à l'acte le caractère de donation pour cause de mort, et celles qui lui conservent le caractère de donation entre vifs. Le caractère de la donation pour cause de mort, a-t-on dit, est que le donateur se préfère au donataire, mais qu'il préfère le donataire à ses héritiers: Mortis causá donatio est, dit le § 1, Instit., de Donat., cùm magis se quis velit habere, quàm eum cui donat; magisque eum cui donat, quàm heredem suum. Au contraire, le caractère de la donation entre vifs, est que le donateur préfère le donataire à lui-même. Donc, toutes les fois que la condition casuelle est telle, qu'il en résulte que le donateur s'est préféré au donataire, le caractère de la donation entre vifs est détruit; et, dans ce cas, l'acte ne pouvant valoir ni comme donation, ni comme testament, puisque l'on suppose que les formalités requises pour le testament n'y ont pas été observées, est entièrement nul, et n'a aucun effet. On cite pour exemple de pareilles donations, celle-ci : Je donne, si je ne reviens pas de la maladie dont je suis atteint.

Il me semble qu'il y a dans cette doctrine une confusion

944.

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