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et que les sieurs Cauvin frères et les assureurs veulent opposer au capitaine Leclerc, comme ayant à son égard l'autorité de la chose jugée, a été rendue entre le capitaine du navire anglais 'Helvelyn et le capitaine Leclerc, représentant l'armement du navire l'Agenor, et que la contestation actuelle existe entre les sieurs Cauvin frères et leurs assureurs, d'une part, et ledit capitaine Leclerc en propre;

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Que la demande est pas la même, puisqu'il s'agissait devant le juge de Saint-Denis d'une responsabilité d'abordage, fondée sur l'art. 407 du code de commerce, tandis que devant le tribunal il s'agit de la responsabilité du capitaine Leclerc, fondée sur l'art. 221, pour une prétendue faute qu'on lui reproche;

Qu'en droit, la chose jugée établissant une présomption juris et de jure, qui ne peut être détruite même par la preuve contraire, il est indispensable que le jugement duquel on veut la tirer réunisse toutes les circonstances que la loi exige pour la constituer, ce qui ne se rencontre pas dans la cause, où les parties et les débats ne sont pas les mêmes.

Sur la deuxième question: Attendu que c'est comme mandataire et représentant les propriétaires de l'Agenor, que le capitaine Leclerc, après avoir plaidé contre la demande du capitaine de l'Helvelyn, a exécuté la sentence rendue par le juge de Saint-Denis; que cette exécution, si elle pouvait créer une fin de non-recevoir, ne serait pas opposable audit capitaine •Leclerc personnellement, mais seulement aux sieurs Cauvin frères, propriétaires de ce navire;

Que de ceux-ci au capitaine Leclerc, il ne peut s'agir que de la question de savoir şi, dans l'acquiescement qu'il a donné à cette sentence, en l'exécutant, ce capitaine a, ou non, commis une faute dans l'exercice du mandat dont il était investi;

Et sur ce, attendu qu'un jugement étant toujours présumé juste, l'obligation d'en appeler ne saurait être imposée au mandataire, à moins d'un ordre formel de la part de son mandant;

Que si un mandataire, qui est en position, de pouvoir consulter son mandant, doit, avant d'exécuter le jugement, pren

dre l'avis de celui-ci, cette obligation cesse lorsque, comme dans l'espèce, une distance de plus de deux mille lieues sépare le mandataire du mandant, et que, par conséquent, il est physiquement impossible qu'il puisse connaître son opinion avant l'expiration des délais de l'appel;

Que, dans ce cas, l'appel devant être laissé à l'arbitraire du mandataire, c'est à lui à juger s'il est, ou non, dans l'intérêt de son mandant, et à agir ainsi qu'il le ferait pour lui-même ;

Que, dans l'espèce, il est évident qu'en exécutant la sentence de Saint-Denis, le capitaine Leclerc a fait un acte de bonne administration;

Qu'au surplus, cette exécution ayant été à la connaissance du capitaine en second, chargé des pouvoirs spéciaux des propriétaires du navire, c'était à celui-ci à s'y opposer; que n'ayant fait aucune protestation, à raison de ce, son silence doit être considéré, au besoin, comme un consentement tacite de sa part à cette même exécution.

Sur la troisième question :Attendu qu'il est établi par la délibération des principaux de l'équipage du navire l'Agenor, dûment transcrite sur le livre de bord et déposée rière le greffe du tribunal de première instance de Saint-Denis, qu'après avoir déradé, le 30 avril 1834, le navire l'Agenor étant, le 6 mai suivant, assez au vent pour prendre le mouillage, le capitaine ayant reçu la veille une ancre de terre, la fit étalinguer au seul câble qui lui restait, fit en outre étalinguer un fort grelin sur l'ancre à jet, et, ainsi paré, ordonna de faire route pour le mouillage, le vent étant grand frais et par grains, ayant deux ris dans chaque hunier et la mer étant un peu grosse; qu'en arrivant près du mouillage, il fit carguer les huniers et la misaine, les vents mollissant alors un instant, et les courans, qui, au large, portaient avec force vers l'est, sur la rade portant vers l'ouest, surprirent le navire et le portèrent avec force en travers du navire anglais Helvelyn, auquel on eria de filer · sa chaîno; mais la lenteur que ce navire mit à faire ce mouvement fit que l'Agenor tomba en travers sur son beaupré ;

voyant que l'abordage avait eu lieu, le capitaine Leclerc ordonna de laisser tomber l'ancre; alors le navire anglais démailla sa chaîne et la fila par le bout,.et l'Agenor, de son côté, se roidit sur son câble, et les deux navires parvinrent à se désem parer;

Attendu qu'en l'état de ces faits, il est impossible de ne pas reconnaître que l'abordage de l'Agenor avec l'Helvelyn a été le résultat d'un événement fortuit que le capitaine Leclerc n'a pu empêcher et qui ne saurait, par conséquent, le constituer en faute;

Que si, en règle générale, le juge du lieu où l'abordage est arrivé est mieux à même que tout autre de qualifier l'événement, encore faut-il que les motifs qui ont dicté sa décision soient basés sur des faits qui puissent en faire apprécier la.justesse.;

Que, comme simple renseignement dans la cause, puisque le tribunal ne saurait être lié par elle, la sentence du juge de Saint-Denis ne contient dans ses motifs rien qui puisse enchaîner la religion du tribunal;

Que cette sentence ne se fonde, en effet, que sur la présomption qu'entre deux navires, dont l'un marche et l'autre est à l'ancre, l'abordage doit être attribué au premier de ces navires; mais cette présomption, outre qu'elle est insuffisante en droit pour établir la faute, doit nécessairement cesser devant la preuve du fait de force majeure, qui n'a pas permis au capitaine de ce navire de maîtriser sa marche, fait qui se trouve justifié dans la cause.

Sur la quatrième question: Attendu que, d'après les clauses du contrat, les assureurs sont tenus, à l'égard des sieurs Cauvin frères, de toutes pertes et dommages arrivés à l'objet assuré par cas fortuit;

Que ces pertes et dommages doivent s'entendre non seulement des dommages matériels éprouvés par l'objet assuré, mais encore de toutes dépenses et charges imposées à ce même objet, par suite des événemens survenus en cours de voyage; qu'il est justifié au procès que les six cent quatre-vingts piastres dont les sieurs Cauvin frères réclament le remboursement à leurs

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assureurs ont été par eux payées au capitaîné du navire l'Hel-* velyn, en réparation du dommage que le navire l'Agenor lui avait occasioné par suite d'un cas fortuit survenu dans le cours du voyage assuré ;

Que le tribunal ne saurait admettre la distinction que les assureurs veulent établir entre les dommages matériellement soufferts par l'objet assuré et ceux occasionés par ce même objet à un autre objet étranger au contrat d'assurance, bien qu'en définitive ces dommages retombent sur l'objet qui a fait la matière du contrat ;

Qu'il suffit, en effet, pour s'en convaincre, de supposer le cas où l'abordage de l'Agenor aurait eu lieu lorsque ce navire était sous la direction du pilote, et que le navire anglais eût sombré ou éprouvé des avaries tellement considérables que le navire l'Agenor eût été saisi et vendu au profit du capitaine anglais; dans le système des assureurs, les sieurs Cauvin frères auraient dû perdre leur navire, par suite d'un événement qu'ils n'auraient pu faire assurér, et se trouveraient ainsi sans recours ni contre leurs assureurs, ni contre le capitaine; un pareil résultat, qui rendrait à leur égard le bénéfice de l'assurance illusoire, bien qu'ils en payassent la prime aux assureurs, ne saurait être accueilli par la justice';

Que la décision que les assureurs ont invoquée à l'appui de leurs prétentions ne saurait, non plus, recevoir d'application dans l'espèce, puisque, dans l'affaire du navire le Tyrien, c'était le capitaine qui avait causé le dommage, et le navire y était entièrement étranger; tandis qu'au contraire, dans l'espèce actuelle, c'est précisément le navire assuré qui a été l'auteur du dommage;

Que, s'il en était autrement, le cas d'abordage ne serait jamais à la charge des assureurs et le contrat d'assurance manquerait son but;

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Que c'est-ce sans doute un malheur pour les assureurs que le juge de Saint-Denis ait mal qualifié l'événement et ait condamné l'Agenor à payer un dommage que le navire anglais devait sup

porter sans répétition; mais que cette erreur du juge, que les auteurs assimilent à un événement de navigation, à l'égard des assureurs, doit rester à leur charge.

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Sur la cinquième question: Attendu qu'en rangeant labordage dont il s'agit dans la première hypothèse prévue par l'art. 40% du code de commerce, la prétendue faute, attribuée par les sieurs Cauvia frères et les assureurs au capitaine Leclere, disparaît, et avec elle la garantie qu'ils avaient introduite, soit contre le capitaine Leclerc, soit contre le sieur Mazeran, comme responsable des faits dudit capitaine.

Sur la sixième question: Attendu que la réfraction du tiers, que les assureurs demandent pour différence du neuf au vieux, est fondée sur l'usage et les conditions de l'assurance; mais que cette réfraction ne doit porter que sur les objets de remplacement, autres que ceux en fer, et ne doit être prise que sur leur coût au lieu de l'armement, attendu qu'il est de principe que l'excédant de ce prix, que l'assuré est obligé de payer au lieu du remplacement, constitue une avarie à la charge des assureurs.

Sur la septième question: Attendu qu'il est justifié par les pièces produites, que le sieur Mazerana payé aux recommandataires du navire l'Agenor à Saint-Denis une commission de cinq pour cent pour avance des fonds employés aux dépensés et réparations du navire; que cette commission était due, d'après les usages du commerce, et qu'elle est un accessoire des avaries éprouvées par ce navire.

Sur la huitième et dernière question: Attendu que les dépens de la présente instance, soit qu'on les considère comme accessoires au réglement d'avarie demandé par les sieurs Cauvin frères à l'encontre de leurs assureurs, soit comme ayant été occasionés par les contestations élevées par lesdits assureurs et sur lesquelles ils succombent, doivent être à leur charge.

LE TRIBUNAL, ayant tel égard que de raison aux débats fournis par les assureurs envers l'état d'avarie signifié par les sieurs Cauvin frères, faisant droit aux fins prises par ceux-ci envers lesdits assureurs, ordonne que par l'expert répartiteur.

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