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Que cette dernière production ne peut détruire le vice de la pièce principale, du connaissement, qui est le document essentiel pour la justification du chargement; et qu'une fois la fausseté de ce document démontrée, il ne dépend pas des assurés de rapporter d'autres preuves prises en dehors, lors, surtout, qu'un concours de circonstances donne lieu d'en suspecter la sincérité;

Que vainement encore soutiendrait-on que les connaissemens ont pu être antidatés et n'en sont pas moins valables.

Si un pareil abus existe, il est honteux d'en faire l'aveu et encore plus de vouloir le faire consacrer par la justice: où en serait le commerce, si foi ne devait plus être accordée aux connaissemens?

Les assurés repoussent le soupçon de baratterie par l'allégation des diverses circonstances relatées dans le jugement ci-après, et par les nombreuses pièces qu'ils produisent pour établir la réalité du chargement des marchandises assurées sur le navire TAssomption, factures, attestations, passavans de douane, etc.

Et, en admettant que le connaissement, daté d'une époque antérieure à l'embarquement des marchandises assurées, ne puisse suffire par lui-même pour fournir cette justification, ils soutiennent qu'en droit, rien ne s'oppose à ce que la preuve du chargement ne puisse être opérée par toute autre pièce : C'est-là le point culminant de l'affaire.

Par des conclusions incidentes les assureurs de mandent le dépôt au greffe des originaux des connaissemens, factures et lettres produits par les assurés.

JUGEMENT,

Attendu que, par police du 20 août 1835, les sieurs Estiennefrères et comp. ont fait assurer, d'ordre et pour compte de qui il appartiendra, quelque énonciation que puisse porter le connaissement, de sortie de Livourne à Marseille, la somme de vingt-six mille francs sur faculté en huile et potasse, chargée ou à charger sur la tartane l'Assomption, capitaine Jean Laŭ– rent ou tout autre à sa place, reçu ou non reçu;

Que, par une autre police à la date du 3 septembre de la même année, le sieur Agostini a fait assurer, d'ordre et pour compte du sieur Natalini, sur le même navire, commandé, y est-il dit, par le capitaine Angeli, ou tout autre à sa place, et pour le même voyage, la somme de vingt-trois mille francs affectables sur quarante futailles huile d'olive et vingt barriques potasse, pour être consignées au sieur Lagarde fils ainé;

Enfin que, par une autre police à la date du 14 octobre même année, le sieur Théophile Dumas s'est fait assurer pour compte de qui il appartiendra, sur le même navire et pour le même voyage, la somme de sept mille six cents francs sur quatorze barriques huile d'olive évaluées de gré à gré à la susdite somme, chargées ou à charger;

Attendu qu'il est établi par le consulat fait par le capitaine Angeli le 23 octobre mil huit cent trente-cinq, pardevant l'autorité compétente de Camogli, ledit consulat dûment affirmé par deux des gens de l'équipage et deux passagers qui se trouvaient à bord, que, le 22 dudit mois d'octobre, à trois heures d'après midi, la tartane l'Assomption étant sur le point de s'engloutir par suite d'une forte voie d'eau que la tempête lui avait occasionée, fut abandonnée par le capitaine et l'équipage, qui s'embarquèrent dans la chaloupe et arrivèrent ainsi à Camogli;

Attendu que, sur la nouvelle que les assurés recurent de cet événement et qu'ils dénoncèrent à leurs assureurs, il fut fait à ceux-ci délaissement des facultés assurées;

Attendu que les assureurs contestent ce délaissement et

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soutiennent qu'il y a baratterie de la part des chargeurs de Livourne et du capitaine Angeli;

Que cette exception, ils la fondent:

1° Sur ce que les pièces signifiées par les assurés ne justifient pas le chargement des marchandises assurées, puisque d'une part, quant aux connaissemens produits par les sieurs Natalini et Estienne frères et comp., il est énoncé que, les 7 et 11 août, jours de leur date, aucune marchandise n'avait été chargée à bord de la tartane l'Assomption, et que, d'autre part, les autres pièces produites, loin de prouver le chargement, viennent corroborer, au contraire, par leur irrégularité et les contradictions qu'elles contiennent, la preuve résultant des connaissemens; 2o Sur les diverses circonstances de la cause;

3o Enfin, sur ce que les causes que le capitaine Angeli indique dans son consulat comme ayant donné lieu à la perte du navire ne peuvent raisonnablement être attribuées aux événemens rapportés dans ce document;

Attendu qu'en l'état de cette défense, il y a lieu d'examiner le mérite des documens produits par les assurés et celui des exceptions que les assureurs leur opposent;

Et sur ce, attendu, relativement aux connaissemens produits par les sieurs Natalini et Estienne frères, que, bien que d'après la loi et les auteurs, le connaissement soit la preuve spécifique du chargé, rien ne s'oppose cependant que cette preuve ne puisse être faite par toute autre pièce que par le connaissement; que telle est d'ailleurs l'une des conditions de la police;

Attendu que la production faite par les sieurs Natalini et Estienne frères de deux connaissemens portant les dates des 7 et 11 août, alors que rien n'aurait encore été chargé à cette époque, ne saurait priver les assurés, ainsi que l'ont prétendu les assureurs, de la faculté de suppléer le connaissement par toute autre pièce justifiant que les marchandises ont réellement été chargées postérieurement aux dates énoncées;

Qu'en matière de preuve, la loi n'en indiquant aucune de sacramentelle, et s'en rapportant, quant à ce, à l'arbitraire du

juge, il suffit que celles qui sont produitės rassurent sa religion sur le fait du chargement, lorsque le sinistre est arrivé, pour que l'obligation de l'assuré soit remplie;

Attendu que les sieurs Natalini et Estienne frères produisent à l'appui des connaissemens:

1 Les factures du sieur Torre constatant l'achat fait par le sieur Natalini des quatre-vingt-deux futailles huile et des cinquante barriques potasse formant l'aliment des polices des 20 août et 3 septembre 1835;

2° La facture de l'achat fait par ledit sieur Torre, du sieur Saccardi, desdites quatre-vingt-deux futailles huile;

3° La facture d'achat fait par ledit sieur Torre, du sieur Mamini, des cinquante barriques potasse ;

4° Le passavant délivré par la douane de Livourne, constatant que les 18 septembre, 6 et 9 octobre, nonante-deux futailles huile sont entrées, sur la demande du sieur Torre, par les portes Pisa et Capucini, et déchargées au poste de la douane de la bouche du port;

5° Enfin, la déclaration assermentée, faite devant notaire, des portefaix Antoine Mattei, Joseph Magini et Jean Questani, constatant que lesdites nonante-deux futailles huile d'olive, quatre autres futailles prises en ville, ainsi que les cinquante barriques potasse, ont été par cux prises les susdits jours 28 septembre, 6 et 9 octobre, sur le quai, embarquées sur des alléges, d'où elles ont été par eux placées à bord de la tartane l'Assomption qui se trouvait sous charge dans le port de Livourne; *** Attendu que ces diverses pièces, quelles que soient les légères irrégularités que leur reprochent les assureurs, établissent suffisamment aux yeux du tribunal la réalité de l'achat et du chargé des marchandises assurées;

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Que ces irrégularités mêmes, sur lesquelles les assurés ont donné des explications satisfaisantes, prouveraient encore la sincérité de l'opération, par la raison que celui qui veut commettre une fraude prend toutes les précautions possibles pour qu'elle ne puisse être découverte;

- Attendu que les diverses circonstances que la cause présente repoussent encore la prétendue baratterie alléguée par les

assureurs ;

Que parmi ces circonstances, les plus relevantes sont :

1o Le séjour du capitaine Angeli et du sieur Natalini a Livourne pendant que le choléra ravageait cette ville, et ce, sans aucune nécessité, pour commettre la prétendue baratterie • dont on les accuse ;

26 Les protestations faites par le capitaine Angeli, à raison du retard apporté par le sieur Natalini au chargement, protestations qui ont été suivies du paiement de la somme de too fr à titre de surestaries, ce qui éloigne tout soupçon de complicité de la part d'Angeli à la prétendue baratterie;

30 La visite provoquée par le capitaine Angeli le 21 septembre de la tartane l'Assomption, alors que cette visite créaît un document qui contredisait si ouvertement la date énoncée dans les connaissemens par lui signés, document dont les assureurs n'ont pas manqué de se prévaloir à l'appui de leur système;

40 Les huit jours que le navire est resté dans le port après avoir reçu son chargement complet et par conséquent sans nécessité aucune, alors que, pendant cet intervalle de temps, · quelque événement imprévu pouvait si facilement venir déjouer une spéculation coupable;

5o L'embarquement des sept futailles prises après le char*gement des huiles et potasses, alors qu'il était à craindre qu'en effectuant le placement à bord de ces marchandises la simulation du chargement des huiles et potasses, si elle avait existé ne vint à être découverte;:

6o L'embarquement de deux passagers qui étaient deux témoins que le capitaine Angeli ajoutait de plus aux gens de son équipage, de la baratterie qu'il allait commettre;

Enfin, le peu de profit que le sieur Natalini devait retirer de sa baratterie, soit parce que d'une part, ayant déjà reçu une partie de la valeur des marchandises par les acceptations d'Estienne frères, il était toujours obligé de les rembourser, et

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