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Le sieur Sicher, propriétaire du chargement, est nommé, par le tribunal de commerce de Bordeaux," consignataire du navire et de la cargaison.

Les pilotes sauveteurs réclament contre ce consignataire l'indemnité qu'ils prétendent leur être due, à raison du sauvetage par eux opéré en pleine mer, et qu'ils fixent au tiers brut de la valeur du navire sauvé et de la cargaison, conformément aux dispositions de l'art. 27 du tit. IX, livre iv de l'ordonnance

de 1681.

Ils demandent, en conséquence, que le tribunal ordonne le partage en nature des grains composant la cargaison et la vente du navire, pour, le tiers de ces objets être attribués aux pilotes, et les deux tiers restans être remis à qui de droit.

Le sieur Blaise, armateur et propriétaire du SansPareil, intervient dans l'instance; les assureurs sur corps et sur facultés y sont appelés.

Ils se réunissent tous pour soutenir que les pilotes sont non-recevables et mal fondés à demander la remise du tiers des effets sauvés.

Non-recevables: parce que la disposition par eux invoquée de l'ordonnance de 1681 ne leur est pas applicable, cette ordonnance ayant été abrogée par le code de commerce ou, tout au moins, à l'égard des pilotes, par le décret du 12 décembre 1806, contenant règlement pour le service du pilotage, et dont l'art. 24 impose aux pilotes l'obligation de courir au secours des navires en danger et détermine leurs droits dans ce cas (1).

(1) Cet article porte: Les pilotes-lamaneurs seront obligés

Mal fondés: parce qu'en admettant que les pilotes soient en droit d'invoquer l'art. 27 de l'ordonnance, ils ne se trouvent pas, dans l'espèce, dans les conditions prescrites par cet article pour que l'indemnité du tiers leur soit attribuée ; en effet, aux termes de l'ordonnance, les effets doivent avoir été trouvés fortuitement et en pleine mer pour que les sauveteurs aient droit au tiers; or, dans l'espèce, il est constant que les pilotes n'ont pas trouvé le SansPareil en pleine mer, mais, qu'instruits du sinistre ils sont allés à la rencontre du navire, et que le sauvetage a été opéré, non en pleine mer, mais près de Cordouan, en un lieu où le navire abandonné pouvait être aperçu de terre et recevoir des

secours:

Les adversaires des pilotes soutiennent, en conséquence, que ceux-ci n'ont, dès lors, droit qu'à un salaire à arbitrer par le tribunal, mais qui doit être moindre que le tiers des objets sauvés.

JUGEMENT.

Attendu que la loi du 15 septembre 1807, qui fixe l'époque à laquelle le code de commerce sera exécutoire, déclare, art. 2, que les matières sur lesquelles il est statué par ledit code sont seules abrogées;

de tenir toujours leurs chaloupes garnies d'avirons, voiles et ancres, et d'être en état d'aller au secours des bâtimens au premier ordre ou signal, ou lorsqu'ils les verront en danger, etc.... sauf à faire taxer particulièrement par le tribunal de commerce leurs salaires, en cas de tempête, eu égard au travail qu'ils auront fait et aux risques qu'ils auront courus.

Qu'il n'existe dans le code de commerce aucune disposition relative au sauvetage des effets abandonnés et trouvés en mer; que, dès lors, l'ordonnance de 1681, en ce qui touche ces matières, a conservé sa force;

que

Attendu l'art. 717 du code civil renvoyant, pour la propriété des effets trouvés en mer, aux lois particulières qui régissent cette matière, c'est forcément dans le tit. 1x, liv. 1y de l'ordonnance de 1681, qu'il faut chercher la base des règles à suivre dans l'espèce actuelle; qu'ainsi, il y a lieu de rechercher si les pilotes demandeurs se trouvent dans le cas prévu par l'art. 27 de l'ordonnance précitée;

Attendu que l'art. 27, tit. 1x, liv. iv de l'ordonnance de la marine, du mois d'août 1681, porte: « Si les effets naufragés « ont été trouvés en pleine mer ou tirés de son fond, la troi« sième partie en sera délivrée incessamment et sans frais, en espèces ou en deniers, à ceux qui les auront trouvés, et les « deux autres tiers seront déposés pour être rendus aux propriétaires, etc. »

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Attendu, en fait, qu'il résulte du rapport fait le 1er avril dernier par le capitaine Leborgne, ayant commandé le navire le Sans-Pareil, devant le juge de paix du canton de l'île Dieu, ledit rapport dûment affirmé et vérifié par l'équipage dudit navire, que le 24 mars précédent, le navire le Sans-Pareil, après sa sortie de Rochefort, fut atteint par une violente tempête; que le 28, la tempête n'ayant pas calmé et le navire ne pouvant se relever, l'équipage décida qu'il fallait couper le mât d'artimon, ce qui fut effectué; que dans la même journée le grand mât fut aussi coupé ; que le 29, le navire se remplissant d'eau de plus en plus, et les pompes ne pouvant être affranchies, l'équipage, après avoir délibéré, se réfugia à bord d'un bâtiment qui s'était approché pour lui porter secours, abandonnant ainsi le navire le Sans-Pareil, désemparé, ayant trois pieds d'eau dans la cale;

Que c'est dans cette situation que le navire a été rencontré le 1er avril, au matin, à quelques lieues en dehors de Cor

douan, par les pilotes Rousseau et Boinard, de SaintGeorges;

Attendu que lorsque le navire le Sans-Pareil a été rencontré par les pilotes, il avait été réellement abandonné par son équipage au moment où un naufrage lui paraissait inévitable; que ce navire voguait en pleine mer, ou du moins, à une distance telle de la terre la plus proche, qu'il était impossible de l'apercevoir dans son état d'abandon; que ces faits sont suffisamment attestés par le rapport précité du capitaine Leborgne, indiquant le lieu où le navire a été abandonné, et par la déclaration faite par les pilotes, à l'autorité de Pauillac, lors de leur arrivée à bord du navire le Sans-Pareil ;

Attendu que des débats de la cause il résulte que le navire a été trouvé par les pilotes par le seul effet du hasard; que l'allégation des défendeurs, portant que les pilotes connaissaient l'abandon du navire le Sans-Pareil lorsqu'ils l'ont abordé, n'a été appuyée par eux d'aucune preuve; que les pilotes justifient au contraire, par deux actes de notoriété en bonne forme, que dès le 29 mars, et même, avant cette époque, pour plusieurs d'entr'eux, ils étaient partis de Pauillac et de Saint-Georges pour la mer; qu'il est reconnu, d'autre part, que ce n'est que le 30 ou le 31 mars qu'on a su à Pauillac que le navire le Belzoni avait aperçu à l'embouchure de la rivière des navires abandonnés; qu'à cette époque les pilotes sauveurs étaient déjà partis; qu'il est même à remarquer que les pilotes Rousseau et Boinard, qui les premiers ont abordé le navire le Sans-Pareil, sont attachés au quartier de Saint-Georges, d'où ils étaient partis le 29, et que c'est à Pauillac que la nouvelle apportée par le Belzoni paraît s'être d'abord répandue;

Attendu qu'aucune loi ne prive les pilotes-lamaneurs des avantages que l'ordonnance de 1681 accorde indistinctement à tous ceux qui ont sauvé des effets trouvés en mer;

Que le décret du 12 décembre 1806, sur le pilotage, est étranger au cas du sauvement de ces objets, qu'il a pour but de régler les devoirs des pilotes relativement à leurs fonctions;

qu'on ne peut voir dans ce décret, spécialement dans son art. 24, aucune exclusion pour les pilotes à la récompense accordée par l'art. 27 de l'ordonnance de 1681;

Attendu que l'esprit de l'art. 27 de l'ordonnance est, principalement, de récompenser celui qui ramène à son propriétaire un objet que celui-ci a été forcé d'abandonner et qu'il devait considérer comme perdu sans retour; que placer les pilotes, à cause de leur qualité, dans une condition exceptionnelle, ce serait, sans motif, porter un préjudice aux propriétaires d'effets abandonnés et contrarier l'esprit de l'ordonnance, dont le but bien évident est d'encourager le sauvement des effets perdus par la certitude d'une récompense fixée au tiers de leur valeur; Attendu que si le décret du 12 décembre 1806 avait voulu placer les pilotes hors du droit commun sur ce point, il s'en serait expliqué comme il l'a fait dans les art. 37 et 39, à l'égard des ancres et câbles sauvés par les pilotes;

Attendu que l'art. 27 de l'ordonnance veut que le tiers revenant aux sauveurs leur soit délivré sans frais, en nature ou en deniers; que par les divers motifs qui précèdent, il y a lieu d'accueillir la demande des pilotes;

LE TRIBUNAL déclare les pilotes demandeurs recevables et fondés à réclamer le tiers brut de la valeur du navire le SansPareil et de sa cargaison par eux sauvés en mer le 1er avril dernier en conséquence, ordonne qu'il sera procédé immédiatement, entr'eux et le propriétaire desdits objets, à leur partage, pour, le tiers brut, en être attribué aux demandeurs, en toute propriété.

Du 17 juin 1836.— Tribunal de commerce de Bordeaux. Prés. M. DAVID BROWN.-Plaid. MM. BROCHON, Oncle, pour les pilotes; GUILLORIT, de CHANCEL et LAGARDE pour l'armateur et les assureurs.

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