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Quelqu'imposante que soit à nos yeux l'autorité qui s'attache à un arrêt émané de la cour devant laquelle nous avons l'honneur de porter la parole, notre conviction particulière nous force d'adopter une opinion opposée à la doctrine que l'arrêt du 20 juillet 1829 a consacrée; toutefois, avant d'exposer les raisons sur lesquelles notre opinion est basée, nous croyons devoir tracer un historique rapide de la législation qui régit la matière.

Depuis 1792, régnait la liberté la plus illimitée de vendre les marchandises à l'encan. Pour mettre un terme aux abus scandaleux qui résultaient d'un parcil état de choses, le gouvernement promulgua la loi du 22 pluviose an vii, qui institua dés commissaires-priseurs chargés d'opérer la vente aux enchères publiques des effets mobiliers et des marchandises: cette loi ne faisait aucune distinction entre les diverses espèces de marchandises à vendre.

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Les choses restèrent dans cet état jusqu'à l'époque de la promulgation du code de commerce, en 1807. L'art. 492 de ce code autorisa les courtiers de commerce à vendre, concurremment avec les commissaires – priseurs, les chandises provenant des faillites. Plus tard, fut promulgué le decret du 22 novembre 1811, qui confère aux courtiers de commerce des attributious plus étendues, en leur permettant de vendre aux enchères toutes sortes de marchandises, mais avec l'autorisation préalable du tribunal de commerce.

Il importe de remarquer que le décret de 1811 conservait le silence le plus complet à l'égard des commissaires-priseurs. Ces derniers s'empressèrent d'élever des réclamations contre ce décret; alors fut promulgué celui du 17 août 1812, qui traça une ligue de démarcation entre les deux professions, et promit un réglement ultérieur sur ce point. Aux termes de ce décret, les courtiers ne peuvent vendre que certaines marchandises énumérées dans un tableau y annexé, et seulement, avec l'autorisation préalable du tribunal de commerce; d'ailleurs, ce même décret në déroge en aucune façon aux droits des commissaires-priseurs : c'est ce que prouvent les art. 1 et 2.

Aujourd'hui on se demande pourquoi les obligations impo

sées aux courtiers de commerce par le décret de 1812, dans l'intérêt du commerce de détail, ne s'appliqueraient pas, par identité de raison, aux commissaires-priseurs? En posant cette question, on ne fait pas attention que le décret de 1812 se rattache au décret de 1811, qui ne s'occupait nullement du commerce de détail; d'où il suit que ce décret n'a pas eut en vue le commerce de détail. Il est facile de concevoir pourquoi · le législateur n'a point parlé des commissaires-priseurs dans le décret de 1812, si l'on réfléchit que son but unique, en promul gant ce décret, était de réparer une erreur commise par le décret de 1811, lequel avait fait une part trop large aux courtiers de commerce: en d'autres termes, il s'agissait seulement de soumettre les courtiers de commerce à des restrictions.

Nous ajouterons que le gouvernement ne pouvait faire des réglemens sur les commissaires-priseurs, il n'en pouvait faire qu'à l'égard des bourses de commerce et des courtiers. Or, bien qu'il soit certain que les décrets de 1811 et 1812 ne pourraient être attaqués pour cause d'inconstitutionnalité, puisque sous le gouvernement impérial ils n'avaient été l'objet d'aucune criti· que, il est plus naturel de penser que le gouvernement impérial s'est renfermé, lors de ces décrets, dans les limites de ses attributions, et qu'il n'a pas entendu parler des commissaires-priseurs. En conséquence, M. l'avocat-général conclut au rejet du pourvoi.

ARRÊT.

Vu les art. 2, 3, 4, 6 du décret du 17 avril 1812, l'art. 5 de l'ordonnance du 9 avril 1819:

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Attendu, sur la fin de non-recevoir, que les décrets et ordonnances qui ont prescrit des formalités et donné des limites aux ventes publiques des marchandises neuves ont été rendus, ainsi qu'il résulte de leurs dispositions, dans l'intérêt du commerce de détail;

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Attendu, au surplus, que l'arrêt attaqué ayant refusé de statuer sur la fin de non-recevoir, et le défendeur ne s'étant pas pourvu contre l'arrêt, il ne peut opposer à la cour de cassation un moyen qui serait une censure de l'arrêt qu'il respecte;

Sur le fond:

'Attendu qu'en principe général, la liberté du commerce proclamée par la législation de 1791 est nécessairement modifiée par les dispositions législatives ou réglementaires intervenues pour l'exécution des lois qui déterminent l'usage et les limites dc cette liberté dans l'intérêt du public, celui du commerce et de ceux qui s'y livrent;

Attendu que les décrets de 1811, de 1812 et l'ordonnance de 1819 ont pour objet principal le mode en général des ventes publiques de marchandises à l'encan, les mesures et les formalités qui doivent les accompagner, l'étendue et les limites des lots qui doivent faire l'objet des adjudications; que toutes les prescriptions qui y sont contenues se rapportent à l'intérêt public, au bon ordre, à l'intérêt des marchands en détail, et sont indépendantes de toute considération de l'officier public qui préside à ces adjudications;

Que si ces décrets et ordonnance mentionnent seulement les • courtiers de commerce, c'est parce qu'en effet c'est par leur ministère (dans tous les lieux où il en existe) que toutes ces ventes doivent être faites; mais qu'il serait déraisonnable de⚫ prétendre que, lorsqu'à défaut de courtiers, les ventes sont faites par d'autres officiers, commissaires - priseurs, buissiers ou d'autres, ceux-ci ne sont pas soumis aux mêmes prescriptions; qu'ils sont exempts de tout recours aux tribunaux de commercè, non sujets à leur surveillance, autorisations et décisions;

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Attendu qu'il faut donc tenir pour constant que les formes imposées aux courtiers, pour les ventes de ces marchandises, le sont nécessairement à ceux qui les suppléent, puisque ces formalités et conditions ayant été prescrites dans l'intérêt public et dans celui du commerce et des marchandises, elles ne peuvent avoir été jugées nécessaires à l'égard des courtiers, sans Favoir été pareillement pour les ventes faites par les commissaires-priseurs ou les huissiers; V

Qu'il est évident que ce que le législateur exige des cour

tiers de commerce, qui ont des notions spéciales sur la nature et la valeur des marchandises, il l'exige, à plus forte raison, d'autres officiers, qui ne sont pas obligés par état d'avoir le même genre d'instruction;

Attendu que, dans l'espèce, l'arrêt a violé les dispositions précitées, en décidant qu'un commissaire-priseur a pu procéder à la vente de marchandises neuves, faisant l'objet du commerce du sieur Levy, sans l'accomplissement d'aucune des formalités prescrites par les décrets et ordonnance, et d'y procéder en détail, par pièces et non par lots, comme les décrets le pres crivent dans l'intérêt des marchands en détail;

"LA COUR casse.

**Du 12 juillet 1836.-Cour de cassatión, ch. civ. Prés. M. PORTALIS PP.; Rapp. M. BONNET.-Plaid. MM. MORIN et CRÉMIEUX.

NOTE.

La question décidée par cet arrêt, relativement aux commissaires-priseurs, a été résolue plusieurs fois en sens divers, par les cours royales.

Les cours d'Aix, de Nancy, Metz, Angers et Bordeaux ont adopté la doctrine enseignée par le ministre de la justice et consacrée par la cour de cassation (1),

Mais d'autres cours ont adopté l'opinion contraire, notamment celles de Toulouse, Rouen, Bourges, Caen et Poitiers (2).

En l'état de cette controverse et de la dernière décision de la cour suprême, nous croyons intéressant de rapporter ici le texte de l'arrêt, amplement motivé, rendu par la cour de Poitiers. ༄།།

(1) Voy. la circulaire du ministre du 8 mai 1829, dans le Journal du Palais, tom: 11 de 1831, pag. 76. Voy. aussi la mention de deux autres circulaires, 5 août 1829 et 15 juin 1836, dans le Mémorial de Toulouse, tom. xx, pag. 80 et 139, note. Voy. aussi ce Recueil, tom. v, 1re partie, pag. 1, (1) Voy. Journal du Palais, tom. 11 de 1831, pag. 82 et suivantes; Mémorial de Toulouse, tom. XIX, pag. 287, et tom. xx, pag. 139; Sirey, tom. de 1833, 11me partie, pag. 94.

(Lyons contre le ministère publi.)

Sur les conclusions de M. MEVILHON, avocat-général.

Attendu qu'aux termes de l'édit de 1771, les jurés-priseurs avaient seuls, à l'exclusion de tous autres, le droit de faire des prisées, expositions et ventes de tous biens meubles, soit qu'elles fussent faites volontairement ou par autorité de justice, en quelque sorte ou manière que ce pût être ;

Attendu que des décrets des 26 juillet 1790 et de l'an v, il résulte que les jurés-priseurs, créés par l'édit de 1771 et supprimés en l'an 1x, ont été remplacés par les notaires, greffiers, huissiers et sergens, lesquels ont été subrogés en tous les droits desdits jurés-priseurs, et que défense a été faite à tous autres, sous peine d'amende, de s'immiscer dans les prisées, estimations et ventes publiques à faire volontairement ou par autorité de justice, de tous effets mobiliers non formellement exceptés;

Attendu que, jusqu'à la loi du 22 pluviose an y11, cet état de la législation n'ayant reçu aucune atteinte, jusque-là du moins, il n'a pas été fait de distinction entre les ventes à l'enchère faites volontairement ou en justice, entre les ventes de marchandises neuves et celles de marchandises qui ne l'étaient pas, entre les ventes civiles et les ventes commerciales; jusquelà aussi les notaires et greffiers ont eu, comme les anciens juréspriseurs, le droit exclusif de procéder à toutes ces ventes sans distinction, et d'y procéder de gré à gré, article par article, par lot on autrement, à volonté, sans aucune autorisation préalable des tribunaux;

Attendu que la loi du 22 pluviose an vII porte (art 1er) qu'à compter du jour de sa publication, les meubles, effets, marchandises, bois, ne seront mis publiquement à l'enchère qu'en présence et par le ministère d'officiers publics ayant qualité pour y procéder, c'est-à-dire, nécessairement les notaires, greffiers et huissiers, seuls préposés alors à ces sortes de ventes;

Attendu que le texte si formel et si large de cet art, zer, surtout sous une législation qui avait proclamé la liberté du commerce et du colportage, non seulement n'a pu avoir pour

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