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tenir les portes de la ville fermées, et se tenaient sur le pont de la Porte-de-Paris, « gardant que le peuple ne sortît par ladite Porte et escripvant ceux qui allaient au Presche (1). » Ils étaient certes mieux inspirés lorsqu'ils conféraient avec messieurs du Chapitre « afin d'avoir en ceste ville prédicateurs doctes et sçavants, pour adnoncer au peuple la Parole de Dieu et sainte doctrine évangélique, selon les traditions des Sts Docteurs et de la Ste Eglise, pour toujours maintenir les fidèles catholiques en bonnes opinions, et qu'ils n'en soyent divertis par la telle quelle doctrine des prédicants de la N. R. (2). » Cette délibération est à la fois un aveu et un hommage rendus à l'influence de la Réforme.

A cette époque, Catherine de Médicis réalisait un vœu longtemps contrarié, celui de faire le tour de la France, avec son fils Charles IX, afin de raffermir dans les provinces l'autorité centrale, ébranlée par la guerre civile. Au fond, elle avait renoncé à sa politique de tolérance et d'équilibre entre les deux partis conseillée par l'Hôpital; et dès la mort du duc de Guise, elle avait résolu, pour placer ses fils à la tête du parti catholique, de ruiner peu à peu le parti calviniste. Ceci explique l'édit de Roussillon qui restreignait sensiblement les libertés du culte accordées aux réformés par Amboise. En particulier cet édit rompait tous les mariages des ecclésiastiques liés par des vœux de continence, conclus pendant la guerre. Cette volte-face secrète de Catherine donne la clef de la sévère lettre qu'elle écrivit le 26 juillet à Odet de Chastillon, pour lui recommander l'entretenement de cet édit, et où elle dit « que tous ceux qui agiront autrement feront voir qu'ils aiment le garbouïl et sont marris du repos que nous cherchons à établir en ce Royaume, et n'en rapporteront que la malgrâce de leur Prince (3). »

Malgré ces menaces, Odet de Chastillon donna suite à un projet. de mariage qu'il avait conçu depuis la paix d'Amboise. Il avait rencontré à la cour de Marguerite de France (fille de François Ier), duchesse de Savoie, une demoiselle d'honneur nommée Isabelle de Hauteville, née dame de Loré, d'une des premières familles nobles de Normandie; et cette demoiselle lui avait plu par son esprit et par ses opinions franchement évangéliques. Aussi, lorsqu'il la de

et hospitalier la chapelle en sous-sol qui servait au prêche particulier du Sgr de Merlemont; les fonts baptismaux qui servaient aux réformés du bailliage; au pied du château s'étend le vallon que les gens du pays appellent encore « la Prêche. » Séances du 21 mai, du 15 sep

pied

(1) Délibérations de la Commune de Beauvais. tembre 1564.

(2) Délibérations, etc. Séance du 31 mai 1564. (3) G. Hermant, t. III, 1. xu, c. 32.

+

manda en mariage, la duchesse de Savoie, amie personnelle du cardinal, agréa sa demande, « parce que cette nouvelle situation permettait à la jeune fille de vivre en liberté de conscience. » D'autre part, cette alliance fut approuvée par les deux frères du cardinal : Coligny et d'Andelot, et nous voyons par l'extrait du Traité de mariage, passé par-devant notaire, que ces deux seigneurs signèrent le contrat et le scellèrent de leurs armes (1er décembre 1564). Le contrat portait en substance: 1° que « vu la difficulté des temps, le mariage ne pourrait être célébré en public, mais toutefois, lorsque par la mort de l'un des époux adviendrait dissolution du mariage, il serait tenu avoir été fait légitimement. 2o Que le survivant des deux prendrait tous les meubles et acquets, moitié en propriété, moitié en usufruit. 3o Que tous les biens propres du cardinal étaient donnés à ses deux frères. » La bénédiction nuptiale fut donnée dans la chapelle du château de Merlemont par Pierre Mallet, ministre du saint Evangile, en présence de nombreux gentilshommes; Odet de Chastillon n'était pas en habit de cardinal, mais vestu d'une saye de velours noir et d'un long manteau de cour, sans épée (1). G. BONET-MAURY.

(Suite.)

BIBLIOGRAPHIE

JEAN DE MORVILLIER, évêque d'Orléans. Etude sur la politique française au XVIe siècle, par GUSTAVE BAGUENAULT DE PUCHESSE.

On a dit souvent, et non sans vérité, que le XVIe siècle est l'époque des grands caractères. Cet aphorisme ne saurait s'appliquer à Jean de Morvillier, malgré les grands emplois qu'il a remplis. Successivement maître des requêtes, ambassadeur, évêque, conseiller privé, garde des sceaux, il n'a montré ni les hautes facultés qui commandent l'admiration, ni les rares vertus qui rachètent les fautes presque inséparables des temps si troublés où il vécut.

En retraçant avec beaucoup de savoir, et un effort d'impartialité

(1) Le contrat de mariage authentique, signé par les trois frères Colligny et scellé de leurs armes, se trouvait dans les Archives du château de Merlemont, d'où il a disparu en 1793. Il s'en trouve un extrait succinct dans les Archives du château de Bachivilliers.

qui n'est pas sans quelques défaillances, cette biographie d'un personnage contemporain des guerres de religion, M. Baguenault a été amené à tracer une intéressante esquisse de la politique française au XVIe siècle. Il a suivi son héros à Venise, à Trente et dans les conseils de la monarchie sous les derniers Valois. Les Mémoires de Morvillier, conservés à la Bibliothèque nationale, et encore inédits, attestent un esprit judicieux et pénétrant, quoique l'on n'y rencontre aucune de ces vues où se révèle un homme d'Etat supérieur. Une extrême circonspection semble avoir été son mérite et son écueil. Elevé dans la faveur de la maison de Lorraine, il n'eut pas comme L'Hôpital, qu'il devait remplacer en qualité de chancelier, le courage de se séparer de ses anciens patrons pour faire prévaloir des idées plus généreuses dans le gouvernement de son pays. Il aima par caractère les tempéraments, les compromis, les demimesures, heureux s'il n'eût poussé cette tendance, louable parfois, jusqu'à des actes de faiblesse que la conscience réprouve et que l'histoire condamne.

Malgré sa partialité naturelle pour le personnage dont il a retracé l'histoire, M. Baguenault n'a pu se dissimuler les côtés faibles de son héros. « Nous n'essayerons pas, dit-il, de le disculper d'une molle complaisance pour le pouvoir qui fut trop souvent le caractère de sa conduite. Nous verrons aussi plus d'une fois ses intentions meilleures que les actes auxquels il s'est prêté. » Deux chapitres du livre de M. Baguenault appellent sous ce rapport une attention spéciale: celui qui touche au projet d'intervention dans les Pays-Bas, et celui qui se rapporte au lendemain de la Saint-Barthélemy.

On sait quelle fut la politique de l'amiral Coligny après la paix de Saint-Germain. Effacer les traces de nos discordes civiles en réunissant tous les Français dans une guerre contre l'Espagne, notre ennemie invétérée, dont les Pays-Bas insurgés offraient l'occasion aussi opportune qu'utile. M. Baguenault ne peut s'empêcher d'approuver un dessein si conforme aux vrais intérêts du pays. Il se félicite de voir une direction plus haute imprimée aux conseils des Valois. « Charles IX, dit-il, dont les instincts n'étaient pas dépourvus de grandeur, se montrait disposé à suivre les conseils de l'amiral. Il se laissait inspirer par les premiers et illustres représentants de cette belle école de diplomatie française qui commençait à se faire jour, et s'honorait par ses patriotiques et prévoyantes entreprises. >> Ainsi s'exprime notre auteur, page 244, et l'on ne saurait mieux dire; mais tout change à la page 280. Il est vrai que le projet de Coligny n'est pas du goût de Morvillier, auquel est échu le triste

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rôle de le combattre dans le conseil, pour la plus grande satisfaction de Catherine de Médicis menacée de perdre son ascendant sur le jeune roi, et dès lors l'historien ne voit plus dans les idées de l'amiral «< qu'un projet dangereux soutenu dans l'intérêt d'un parti, et qui doit échouer devant l'universelle répugnance. >>

Il semble difficile d'expliquer une aussi grave contradiction, car enfin, si le projet d'attaquer l'Espagne dans les Pays-Bas était salutaire, suffisait-il que Coligny s'en mêlât pour le rendre funeste? Les faibles arguments invoqués par Morvillier ne sauraient prévaloir contre l'évidence. Ainsi que l'a dit un généreux écrivain, trop tôt enlevé à notre pays : « On ne peut s'empêcher de penser que les quelques mois qui ont précédé la Saint-Barthélemy doivent être comptés parmi ces moments trop fréquents, hélas! dans notre histoire où la France a passé à côté du bon chemin, pour en prendre un autre qui l'écartait davantage de la paix intérieure et de la liberté. C'était une noble et sage pensée que de détourner contre la puissance arrogante, qui était alors notre rivale, cette force irrésistible que la France, bien conduite, est toujours prête à montrer après quelques années de guerre civile. Les ressources militaires du royaume, développées par la lutte intérieure, étaient considérables, les esprits exaltés, habitués à la guerre, avides d'action; l'occasion était propice, le succès presque assuré. Est-ce donc une question à débattre que celle de savoir ce qu'il valait mieux inscrire dans notre histoire, à la date de 1572, la Saint-Barthélemy, ou une revanche de la bataille de Saint Quentin? Il fallait pourtant choisir, et c'est avec le sentiment vrai de la situation du royaume que Coligny annonçait au roi, s'il renonçait à la guerre étrangère, une autre guerre à laquelle il serait moins facile de renoncer. Catherine de Médicis a fait son choix, et l'a imposé à son fils. L'histoire et le bon sens répondent qu'elle a mal choisi, aussi bien dans l'intérêt de sa maison que dans l'intérêt de la France (1). »

L'honnête, mais faible Morvillier, méritait mieux que d'être l'instrument de l'intrigue qui devait renverser un si noble dessein, et ramener Charles IX sous le joug de sa mère. La tentative d'assassinat dirigée contre l'amiral et toutes les horreurs de la SaintBarthélemy étaient au bout de la fatale délibération où la guerre de Flandre fut écartée. L'ancien évêque d'Orléans n'a rien de commun assurément avec les sinistres héros du massacre. Mais quelle fut son attitude au lendemain? La cour rejette tout d'abord l'odieux de

(1) Journal des Débats du 24 septembre 1862. Article de M. Prévost-Paradol.

l'acte accompli sur les Guises. Ce premier expédient ne peut tenir; on en cherche un second dans la fable d'un complot protestant, et c'est Morvillier qui en est l'instigateur. Y croyait-il? Evidemment non; mais il fallait couvrir l'honneur de la royauté, et tous les moyens semblaient bons pour cela. Laissons ici parler M. Baguenault, dont tous les termes sont à peser : « Sauver l'honneur du trône en essayant de faire comprendre la nécessité d'un tel acte, et en lui ôtant l'odieux d'une inutile préméditation, tel pouvait être le seul souci des hommes qui dirigeaient alors les affaires. Il fallait se garder à la fois de l'énergique réprobation des uns et de l'enthousiasme compromettant des autres. C'est la tactique qu'on adopta à l'égard des gouvernements étrangers, et on avouera qu'il n'y en avait guère d'autre à suivre. »

C'est à regret que nous transcrivons ces lignes si éloignées de la stricte équité qui convient à l'histoire. Morvillier ne croit pas à la conspiration protestante, et il ose l'invoquer pour justifier le massacre aux yeux des nations étrangères. Il a été honoré de l'amitié de l'amiral, et il tente de flétrir cette pure victime par de mensongères accusations dont il est lui-même l'artisan. Les hommes se jugent eux-mêmes par leurs actes, et le jugement de la postérité n'est que la ratification de ce verdict antérieur. L'historien de Morvillier ne s'étonnera pas si nous répudions, avec toute l'énergie dont nous sommes capable, la triste maxime: La fin justifie les moyens.

JULES BONNET.

LES RÉFUGIÉS FRANÇAIS DANS LE PAYS DE VAUD ET PARTICULIÈREMENT A VEVEY, par JULES CHAVANNES.

La Société de l'Histoire du Protestantisme français couronnait, il y a quelques années, un mémoire sur les réfugiés français dans le pays de Vaud, qui reconstituait une page de l'histoire générale du Refuge (Bull. t. XVII, p. 227). C'est ce mémoire, revu, complété avec le soin le plus scrupuleux, que M. Jules Chavannes nous offre aujourd'hui en un charmant volume, sorti des presses de Georges Bridel, et qui a sa place marquée dans les bibliothèques de famille. Rien n'est moins connu, rien n'est plus digne de l'être que cette émigration française qui ne dota pas seulement le pays de Vaud d'utiles industries, mais l'enrichit de citoyens distingués, appelés à exercer la plus pure influence autour d'eux. Les noms de Ronjat,

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