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reurs ne soient tenues pour capitales, si le magistrat n'est animé d'un esprit chrétien, et pourvu de ce discernement qui sait distinguer entre les emportements d'un zèle sans science, et les attaques de ceux qui, de propos délibéré, troublent l'Eglise par l'impie nouveauté de leurs opinions? J'aime mieux voir le magistrat pécher par un excès d'indulgence que par un excès de sévérité, et tel paraît être aussi votre sentiment, lorsque vous multipliez les exceptions à ce droit du glaive auquel, dans votre livre, vous n'abandonnez que les êtres plus criminels (1).

« Il est une autre raison pour laquelle je me répugne à l'effusion du sang : c'est que je vois le glaive, efficace contre quelques-uns, rester impuissant contre le grand nombre, et la rigueur des lois s'émousser sur les multitudes, après avoir frappé quelques têtes choisies. Se représente-t-on en effet un prince, un gouvernement essayant de ramener un peuple tout entier à l'observation de la pure religion par des sentences légales, à moins de recourir à l'extermination par les armes?... Personne ne sait d'ailleurs le jour et l'heure où peut naître le repentir. On s'expose à retrancher, par un excès de précipitation, une âme qui serait devenue l'ornement de l'Eglise après en avoir été le fléau (2). L'homme est ainsi fait qu'il cède plus volontiers à la persuasion qu'à la force, et tel s'est roidi devant le bourreau qui n'aurait pas résisté au langage de la douceur. Le sage sénat de Bâle l'a bien compris, lui qui n'a jamais permis que les errants fussent punis de peine capitale, et qui se borne à les retenir dans un lieu ouvert à tous, ministres ou simples citoyens, afin que ceux-ci puissent les ramener doucement à la vérité. Le sénat de Berne, éclairé par de cruelles expériences, semble vouloir entrer dans des voies plus humaines (3).

(1) « Quod tibi placere quoque video dum multa excipis a jure illo summo gladii cui scelestissimos tantum addicis. » Ibid.

(2) « Tollique potest non expectata poenitentia qui propediem non oneri sed ornamento ecclesiæ erat futurus. » Ibid.

(3) « Nos etiam crudelitate exemplorum perculsi, incipimus mitescere. » Ibid.

« Un dernier argument que je dois invoquer, c'est que nous ne pouvons rien faire de plus agréable aux papistes, dont nous avons si justement flétri les cruautés, que d'imiter leurs exemples, et de réinstaller dans notre propre Eglise l'officine du bourreau avec ses instruments de torture (1). Rien ne serait plus odieux, et j'ose à peine vous en parler privément, moi qui ne sais vous cacher aucune de mes pensées. Je n'ignore pas tout ce que l'on peut dire pour ou contre sur un tel sujet, selon la fécondité des esprits; mais je suis bien résolu à ne descendre dans l'arène que si ma conscience m'en fait un devoir. Mieux vaut en effet se taire, avec son approbation, que de laisser échapper des paroles offensantes pour qui que ce soit. Adieu, saluez tous nos frères qui me sont plus chers que la vie (2). »

On éprouve un véritable soulagement à écouter ce langage qui contraste si fort avec les maximes d'un siècle où les âmes les plus clémentes et les plus miséricordieuses se montraient impitoyables à l'égard de l'erreur. Luther prononça, dès le début de son ministère, une grande parole, qui est un hommage rendu au droit de la conscience, même égarée (3). Il mourut sans se démentir; c'est sa gloire. Le doux Mélanchthon, qui semble répugner aux mesures extrêmes, trouve un mot pour approuver la condamnation de Servet, proscrit avec une sinistre émulation par les deux Eglises rivales, unies, hélas! pour persécuter. Le cri de Castalion va se faire entendre; mais l'éloquente protestation du De Hæreticis sera sans échos dans ce siècle d'airain où la vie n'est que l'enjeu sans cesse exposé dans la lutte dès croyances, et où chacun souffre et meurt sans se plaindre.

Rien de plus rare qu'une exception à cette inexorable loi, qui pèse sur les esprits et refoule l'inspiration des cœurs. Il

(1) « Quam si illorum sævitiam detestati, novam ipsi patiamur et domesticam repullulare carnificinam. » Ibid.

(2) « Fratres omnes vita mihi chariores saluta. » Ibid.

(3) « Brûler les hérétiques est contraire à la volonté du Saint-Esprit. » Thèse condamnée par la Sorbonne en 1521.

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en est une cependant que l'on est heureux de citer. Au sein de l'Eglise catholique, un prélat distingué par l'élégance de l'esprit et l'urbanité des mœurs, le pieux Sadolet, retiré dans son diocèse de Carpentras, après avoir vu de trop près les dissolutions de la cour romaine, avait pressenti les hautes vérités dont l'aube commençait à peine à blanchir l'horizon. Pressé d'agir contre les Vaudois de Provence, dont la foi, toute puisée aux sources bibliques, se rattachait sans efforts à la Réforme, il écrivait au cardinal Farnèse, neveu de Paul III, ces lignes remarquables : « J'ai reçu le diplôme pontifical qui me confère le pouvoir d'instruire et de sévir contre les luthériens de ce pays. Je l'ai reçu avec tous les sentiments de gratitude et de respect dont je vous prie d'être l'interprète auprès du Saint-Père. Quant à ce pouvoir, j'en userai, s'il le faut; mais je ferai tout, mon cher Farnèse, pour que cela ne soit pas nécessaire. Les armes dont je me sers le plus volontiers sont celles, inoffensives en apparence, qui peuvent seules porter la conviction dans les esprits les plus rebelles. Ce n'est en effet ni la terreur, ni l'appareil des supplices, mais la mansuétude chrétienne unie à la charité qui peut seule exprimer du cœur, en même temps que des lèvres, la confession de l'erreur... Je suis le pasteur de ces peuples, et non un mercenaire; armé, s'il le faut, de sévérité contre les méchants, mais toujours miséricordieux envers les pauvres et les petits. Tel est mon devoir je saurai le remplir (1). »

L'âme pure de Sadolet respire dans ces paroles, si conformes d'ailleurs aux actes de sa vie épiscopale. Il ne tint pas à lui que l'effroyable massacre qui déshonora la fin du règne de François Ier ne fût épargné à notre patrie. « Ils sont meilleurs que nous!» avait-il dit de ces paisibles sectaires poursuivis avec tant de fureur par le parlement d'Aix. Il survécut peu à l'affreuse boucherie de Cabrières et de Mérindol dont la nou

(1) « Pastor sum populorum horum, non mercenarius... fungor officio meo et fungar. » Sadoletus Farnesio, 4 cal. aug., 1539. Epist. familiares. Edition romaine, t. II, p. 779.

velle lui parvint à Rome. « Siècle de malheur, écrivait-il, où tout croule sous la main comme un mur en ruine! Ce n'est ni Carpentras, ni Saint-Félix avec ses riants jardins, qu'il me faut, c'est un désert où je puisse reposer ma tête fatiguée et mourir en paix! » La tolérance de Sadolet, si contraire aux pratiques de son temps, et aux principes de l'Eglise qui le compte comme une de ses gloires, semble avoir moins été une théorie qu'un sentiment, une aspiration supérieure aux luttes des partis et aux vicissitudes de l'opinion. Quiconque recherche la trace des bienfaisantes initiatives qui honorent les siècles passés, a le devoir de s'en souvenir. On oublie ici les formules qui ont pu séparer, pour un temps, des cœurs pieux et des hommes de bonne volonté suivant des drapeaux distincts, et peut-être opposés. Ils ne forment qu'une même famille : Zurkinden, Sadolet, Castalion, L'Hôpital, belles âmes d'origines bien diverses et de fortunes bien différentes, confondues aujourd'hui dans l'hommage de notre reconnaissante vénération!

(La fin à un prochain numéro.)

JULES BONNET.

DOCUMENTS INÉDITS ET ORIGINAUX

MÉMOIRES DE LA VIE DE JÉHAN L'ARCHEVESQUE

SIEUR DE SOUBISE

(Minute originale. Collection Dupuy, vol. 743, fo 186-219.)

Les Livres de raison! Sous ce titre un publiciste érudit, explorant le double champ des archives provinciales et domestiques, M. Ch. de Ribbe a mis au jour toute une série de documents originaux, de mémoires intimes qui ouvrent des perspectives fort intéressantes sur l'ancienne France. La docte famille des Godefroy, une des gloires du protestantisme français, a été, à ce point de vue, l'objet d'une publication récente sur laquelle nous aurons à revenir. Le Bulletin avait depuis longtemps inauguré cette voie d'investigation libre .et familière par les extraits des Ephémérides de Casaubon, un vrai chef-d'œuvre en ce genre, auquel on ne peut rien comparer. L'autobiographie du célèbre pasteur Pierre Dumoulin est aussi un morceau de rare valeur. L'âme de nos pères revit dans les documents de cette nature avec une incomparable pureté. Les mémoires de la vie de Jean Larchevêque, sieur de Soubise, écrits par un de ses serviteurs, et encore inédits, continueront la série de ces révélations domestiques qui sont l'honneur d'un recueil tel que celui-ci. Ils ont le double mérite de porter à notre connaissance bien des faits nouveaux, et de mettre vivement en lumière une des plus nobles figures du XVIe siècle.

Le Sr de Soubise estoit de la maison de Parthenay descendue de celle de Lusignan de l'ancienneté et illustration de laquelle je vous ay par cy devant donné des mémoires, principallement des Roys qui en sont sortis dont il y a eu quatorze qui suivamment ont esté Roys de l'isle de Chypre portans le nom de Lusignan, cinq ou six desquels ont esté roys de Jérusalem et de Chypre ensemble, plusieurs ont esté ducs de Luxembourg, et autres ont eu de grandes alliances que vous avez peu voir par les susdits mémoires.

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