Page images
PDF
EPUB

Le sieur de Soubise estoit nommé Jean Larchevesque, combien que son nom fust de Parthenay. Mais ses prédécesseurs l'avoient délaissé depuis cinq ou six ans pour la condampnation du pape, pour ce que défaillant le nom de la dite maison en un qui pour lors estoit archevesque de Bourdeaux, qui venoit à la succession par la mort de deux de ses frères, il luy fut permis (ayant esgard à l'antiquité de la maison) de se marier, à la charge que les fils qui descendroient de luy porteroient le nom de l'archevesque, et que le nom de Parthenay demeureroit aux filles. Le père dudit Sr de Soubise avoit nom Jean Larchevesque comme lui, lequel espousa dame Michelle de Saubonne qui estoit à la Royne Anne de laquelle elle estoit autant favorizée que jamais servante fit de maistresse, ce que la Royne luy continua toute sa vie, de sorte qu'elle se gouvernoit par son conseil en ses plus importantes affaires, la congnoissant de bon entendement non seullement en ce qui apartient au fait ordinaire des femmes, mais mesmes ès affaires d'estat, en quoy elle ne cédoit à nulle femme ni à guères d'hommes de son temps.

Elle eut de son mary trois filles. L'aisnée fut mariée au Sr de Pons de Xaintonge qui est encores vivant. La seconde bien que recherchée de plusieurs grands et avantageux partis, ne se voulut jamais marier. La troisième espousa le sieur de Surgères. Après avoir eu les trois susdites filles, ladite dame de Soubise devint grosse de son quatrième enfant, et peu après son mary mourut, dont elle sceut la nouvelle le propre jour quelle avoyt senti bouger son enfant, et comme elle estoit en ceste affliction, elle dit qu'elle estoit grosse d'un fils, ce que la Royne et le Roy mesmes, ensemble tous ses anys de la court taschoient à luy oster de fantaisie, craignant qu'elle ne se faschast si elle se trouvoit déceue. Mais elle dist tousjours qu'on ne craignist point cela pour ce quelle estoit asseurée, puisque Dieu luy avait envoyé si grande affliction, qu'il lui donneroit ceste consolation, et quelle avoit ceste foy que quand bien eust esté une fille, que Dieu l'eust transmuée en un fils, et au bout de son terme qui fut l'an inil cinq cens treize, elle accoucha suivant sa persuasion d'un fils qu'elle fit nommer Jean du nom de son père, et qui fut le sieur de Soubise duquel nous délibérons parler.

Quelque temps après la Royne vint à mourir, laquelle à sa mort luy commanda Madame Renée sa fille, qui depuis a esté duchesse de Ferrare, luy usant de ses mots : « Madame de Soubise, je vous

donne ma fille Renée, et n'entend point tellement que luy serviez de gouvernante, mais je la vous donne et veux que luy soiez comme mère remectant en elle l'amytié que vous m'avez portée. » Après la mort de la Royne la dite dame mémoratifve des commandemens de la maistresse qu'elle aymoit encores morte comme elle avoit faict vivante, demeura auprès de Madame Renée qui n'avoit lors que quatre ou cinq ans, se formalisant de tout ce qui despendoit de son service autant que peut faire une personne bien affectionnée à l'endroit de ce qu'elle affectionne. Cela fit qu'elle ne demeura guères qu'elle ne fust mal voulue car (comme c'est chose ordinaire aux changements de règnes), Madame la régente qui avoit lors la principale authorité (1), commença à entreprendre contre Madame Renée et contre tous ceulx qui avoyent esté aymés de la feue Royne, tellement qu'elle voulust [luy] faire perdre son rang, et faire aller devant elle sa fille qui espousa en premières nopces le duc d'Alençon et depuis le roy Henry de Navarre, à quoy et plusieurs autres choses qu'on faisait contre elle la dame de Soubise s'opposoit fort et ferme, de sorte que Madame la régente et ceulx de sa faction ne cessèrent jamais qu'ils ne l'eussent chassée de la court. Elle done s'en vint en sa maison du Parc prenant peine à bien faire instruire ses enfants, et fit estudier son fils aux lettres (chose fort rare de ce temps là) de sorte qu'il estoit tenu pour un des plus savans hommes de sa robe qui fust en Francc. Ses trois filles qu'elle ne pensoit point faire estudier, y advancèrent tellement, tant pour l'amour de leur frère avec lequel elles se mirent à aprendre que pour une certaine inclination qu'ils avoient tous, qu'elles se rendirent les plus doctes femmes de leur temps, principallement l'aisnée, laquelle estoit tenue non seullement pour la plus docte des femmes, mais mesmes de la chrestienté aux langues grecques et latines et aux sciences humaines, et qui plus est à estimer, dès ce temps la dite dame de Soubise avoit congnoissance de la vraye religion et y instruisit ses enfants dès leur petitesse.

Ainsi la dite dame demeura en sa maison jusques à ce que le mariage de Madame Renée fut accordé avec le duc de Ferrare, car lors il se trouva de certaines affaires qu'elle seule entendoit et à quoy on ne pouvoit donner ordre sans scavoir quelques particula

(1) Louise de Savoie, mère de François Ier.

XXIII.

- 2

rités dont la Royne sa maistresse ne s'estoit fiée qu'en elle. Partant on fut contrainct de la mander, joinct que Madame Renée qui assez mal volontiers consentoit a ce mariage, dit qu'elle ne partiroit point de France qu'on ne lui rendist madame de Soubise, ce que pour luy contenter on luy accorda. Ainsi elle revint à la court au grand contentement d'une infinité d'amys qu'elle y avoit, et s'en alla avec Madame Renée à Ferrare, menant avec elle sa fille aisnée que le Sr de Pons désiroit espouser, et pour cest effect l'alla trouver à Ferrare où les nopces furent célébrées. Elle y mena aussy sa plus jeune fille qui depuis estre revenue en France s'est mariée au Sr de Surgères; laissant sa seconde fille à la court, elle demeura à Ferrare neuf ou dix ans, et fut autant aymée et honorée que jamais dame françoise qui y fust, mesme du duc Alphonse qu'on tenoit pour le plus grand personnage d'Itallye, lequel disoit n'avoir jamais parlé à une si sage et habile femme et ne venoyt foys à la chambre de Madame de Ferrare, qui estoit tous les jours, que ne l'entretint deux ou trois heures, disant qu'il ne parloit jamais à elle qu'il n'apprist quelque chose.

Pour revenir au Sr de Soubise, il fréquentoit en sa jeunesse le pays d'Italye tant à l'occasion de sa mère et des sœurs, qui, comme jay dit, y demeurèrent longtemps, que pour une infinité de vertus et honnestetés qui s'y peuvent apprendre, qui a fait que depuis il y a fait plusieurs voyages, et toute sa vie a aymé ce pays là sur tous autres. Toutesfois il fut contrainct de s'en absenter pour une telle occasion. Il n'avoit pas plus de dix-sept ou dix-huit ans que devint amoureux d'une dame de laquelle un marquis dudit pays l'estoit aussy tellement qu'à toutes triomphes, mascarades, tournois ou autres combats, ils faisoient toujours à l'envy l'un de l'autre, de quoy le marquis se faschant, soit qu'il vist qu'il fust plus favorisé de la dame que luy ou autrement, un jour d'un tournois qu'on rompoit des lances, luy vint demander s'il vouloit faire à bon escient, à quoy ledit Sr de Soubise ne fit refuz, et estans tous deux sortis des lices, rompants leur bois l'un contre l'autre, tous arméz qu'ils estoient, celuy du Sr de Soubise perça le marquis de part en part qui soudain tomba mort, qui fit que le dit sieur tout à cheval qu'il estoit, partit incontinent et retourna en France, car le marquis estoit de grande maison et ses parents en firent de grandes poursuittes.

Au retour de là il demeura à la court où il fut fort bien voulu et favorisé des plus grands, et surtout de Monsieur d'Orléans de qui il estoit des plus favoris (1). Monsieur le Dauphin et son frère, qui fut depuis le roy Henry, l'aimoient et recherchoient aussy fort, désirants chacun de l'attirer à soy. Mais il ne se voulut jamais départir de Monsieur d'Orléans à qui il s'estoit du tout donné; toutesfois comme celuy qui n'estoit pas né pour vivre en repos et sans traverses, il fut contraint s'absenter de la court à l'occasion d'un nommé d'Aulay de la cause de la deffaveur duquel on se pourroit enquérir s'il y avoit quelques-uns de ce temps là vivants. Seulement je scay que ledit d'Aulay estoit aussy fort favori de Monsieur d'Orléans et grand amy du Sr de Soubise, et que le roy Francoys eut une telle cholère contre luy au regret de Monsieur d'Orléans, que le dit sieur de Soubise qui pour estre de ses amys fut contraint de se retirer de la court, demeura caché ès maisons de ses amys, et quelquefois venoit voir la dame de Soubise sa mère de nuict seullement en sa maison du Parc où elle estoit retournée d'Italye. A la fin néantmoings, il fut rappelé à la court, et mesmes après fut employé pour le mariage de Monsieur d'Orléans auquel l'empereur vouloit donner sa niepce, et le roy désiroit qu'il pust avoir sa fille avecques le duché de Milan, et pour cest effet envoie le Sr de Soubise en Italye pour ceste négociation laquelle il avoit heureusement achevée au grand contentement du Roy. Mais Monsieur d'Orléans sur ces entrefaites vint à mourir.

[ocr errors]

Entre autres choses louables qui estoient en luy, il avoit le naturel merveilleusement bon et ayma tousjours et honnora fort la dame de Soubise, laquelle, comme elle estoit au lit de la mort, l'envoya quérir, car combien qu'elle n'eust qu'une fièvre lente dont ceulx qui estoient auprès d'elle ne faisoient cas, elle leur dit que la fièvre qu'elle avoit n'estoit estimée dangereuse, mais telle qu'elle estoit, la meneroit au tombeau, partant fit faire sur l'heure trois despesches, l'une pour mon dit sieur son fils, l'autre pour envoyer quérir ung médecin, seullement, disoit-elle, pour la soulager pendant qu'il plairoit à Dieu qu'elle fust en ce monde, auquel elle voyoit bien toutesfois qu'elle ne pouvoit faire longue demeure. La troisiesme despesche qu'elle fit, fut pour avoir un médecin de l'âme,

(1) Charles, troisième fils de François Ier, mort en 1545.

[ocr errors]

et pourtant manda Jéhan de l'Espine, qui est aujourd'huy un des plus excellents ministres que nous ayons et qui deslors (combien qu'il fust encores de l'ordre des Augustins), preschoit la vérité comme ont fait depuis plusieurs grands personnages qui n'eussent osé enseigner, sinon au travers de la fenêtre de Dieu; et combien que du temps personnages d'un tel genre fussent bien rares, si est-ce qu'elle en a tousjours eu et les a fait prescher en ses terres; tellement que depuis ce temps la parolle de Dieu a tousjours continué d'y estre enseignée purement par des moynes qui (comme dit est), avoient congnoissance de la religion, et jusques à ce que, par les édits du roy, les ministres ont pu y prescher à descouvert. Quand donc le dit de l'Espine fut venu, elle voulut faire la cène avec ceulx de sa maison, et comme il luy fit demander avant que faire le presche si elle vouloit qu'il chantast la messe, elle n'y fit point de response, et comme une des femmes qui pensait qu'elle ne l'eust pas ouy le luy redemanda encore, elle luy dit en cholere: « Non, non, c'est trop longtemps dissimuler ce que nous avons dans le cœur. » Ainsy le presche fait elle communiqua à la cène soubz les deux espèces comme nous faisons aujourd'huy, laquelle cognoissance peu de gens avoient lors, car elle mourut de l'an s.... 1549.

Quand le Sr de Soubise qui soudain avoit pris la poste, fut venu, elle luy voulut commencer à déclarer les dernières choses qu'elle s'estoit jusques alors réservée à luy dire. Mais cognoissant qu'il pleuroit, elle se courrouça contre luy luy disant : « Ostez-vous d'icy, vous estes indigne de vous trouver en tels actes. » Le lendemain il la revint trouver s'estant le plus qu'il avoit pu résolu de se commander, ce qu'il fit avec telle peine que depuis il a advoué qu'il avoit cuydé crever. Elle alors luy dict sa dernière volonté et luy fit plusieurs remontrances, parlant à luy de sa mort aussi paisiblement et résolument que si elle lui eust dict à dieu pour faire un petit voyage pour s'aller recréer. Pour la fin elle luy dict: « Je vous ai dit beaucoup de choses que peut-estre vous ne goustez pas à présent comme vous ferez quelque jour. Mais quand je seray esvanouye de devant vos yeux, il vous souviendra mieux de tout ce que je vous ay dit, et l'expérience le vous fera trouver véritable. » Et de fait, toute sa vie il a tellement estimé ce qu'il avait ouy d'elle qu'il l'a observé autant et plus soigneusement depuis sa mort que durant qu'elle estoit vivante. Il porta un merveilleux regret de son déces et d'abondant eut

« PreviousContinue »