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LETTRES CHOISIES DE LA DUCHESSE DE BOUILLON.
ILLON.

églises protestantes de la contrée. Grande fatigue causée par ses affaires et ennui d'être éloignée de ses enfants.

Chère Madame, je vous ai écrit de Castillon (1) mais bien à la hâte, y voyant force compagnie, et d'ici ce ne sera guère moins, y ayant force affaires; mais si vous y entretiendrai-je un petit plus, et vous dirai comme j'ai fait ce petit voyage bien heureusement, Dieu merci, et par eau et par terre. En y allant ce fut en bateau, de Bergerac; mais vous aurez su cela de monsieur votre fils, qui me fit l'honneur de m'y mener. En revenant, j'ai passé à Sainte-Foy, où l'on m'a fait bonne chère. M. le comte de Gurson (2) a été si honnête que de m'avoir accompagné jusque là. Il m'a vue deux fois à Castillon, et moi j'ai été voir madame la comtesse sa femme, qui étoit en couche. La plus grande marque de grandeur que j'y ai trouvée, c'est que l'on nomme son fils Gaston Monsieur. Il est bien d'une bonne maison, mais je crois qu'à la cour il n'en tient pas rang pour cela; je vous prie de me le mander. Il n'a pas oublié à se mettre sur vos louanges et à me dire qu'il vous croit une fort habile femme. Je crois que si vous avez parlé à lui que vous n'êtes pas à savoir l'incommodité que l'on y a, comme aussi avec Mme de La Case (3), qui est une très honnête femme et que j'aime bien, mais M. le comte de Gurson est encore plus sourd qu'elle, qui vous honore fort.

Et moi je vous dirai, mon cœur, force bien de Castillon, car sont les meilleures gens du monde. Ils pleuroient tous quand je les ai laissés, et n'est pas croyable la joie qu'ils eurent de me voir. Je n'ai plus de regret à cette acquisition, car l'on y adore mon monsieur. J'ai reçu tant de témoignages de bonne volonté de tous ceux de la Religion qui sont nos voisins que j'en demeure fort contente, et voudrois que monsr votre fils eut pris le loisir de les voir; ils l'eussent fort desiré. Il eut vu de belles églises à Clérac, à Tonneins. J'ai vu M. de Primerose de la part de celle de Bordeaux (4), où il y en a une belle, mais toujours en appréhension d'être oppressée, car nous y sommes les plus foibles. Depuis peu l'on les y a mal traités. Les plaintes en sont à la cour; je ne sais si elles y seront bien ve

(1) En Périgord, sur la Dordogne.

(2) Frédéric de Foix, marié à Charlotte de Caumont.

(3) Judith de Montbéron, femme de Jacques de Pons, marquis de la Case. (4) Dont il était ministre.

nues, mais pour ces autres lieux que je vous nomme nous y sommes bien puissans. Je crois même qu'il n'y a pas de papistes, ni à Sainte Foy aussi, d'où je vins coucher ici hier et y arrivai de bonne heure; mais malheur en voulut à mon chariot, qui n'arriva qu'à minuit, de façon que je ne me couchai de belle heure.

Dieu me fait une grande grâce, ma chère Madame, de me donner de la santé, car il me faut bien faire une autre vie qu'à Sédan, où je n'ai pas une petite envie de me revoir. Certes, ma chère Madame, je commence à trouver mon éloignement insupportable, car je me vois dans le mois de mai sans que mon monsieur me limite le temps de mon retour. Lorsque je le laissai, il ne m'avoit prescrit ma demeure que jusque au mois de mars et m'avoit donné toute permission de m'en pouvoir aller sans attendre de commandement; cependant je n'y puis pas penser que cela ne soit. Je vous réclame donc à mon secours, mon cœur, afin que je le puisse recevoir et savoir combien durera encore le tourment d'être éloignée de lui et de mes chers enfans, de qui il me mande tant de bien. Cela augmente encore le désir de les voir; Dieu veuille que ce puisse être bientôt, et que j'embrasse aussi ma chère Madame, qui aura eu un grand contentement, auquel j'ai bien participé, que de voir monsTM son fils. Il me tarde de savoir de vos nouvelles qui m'apprennent son arrivée et que votre grande affaire soit du tout terminée. Quand ce sera selon mes souhaits, mon cœur, vous n'en appellerez point, je m'assure, car je vous aime plus que moi-même et suis votre très humble servante et obéissante.

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C'est plaisir de voir paraître de temps en temps quelqu'une de ces œuvres d'érudition et de critique, qui restituent avec fraîcheur

et nouveauté, par l'emploi de documents puisés aux sources, une page importante du passé. C'est le cas pour l'Histoire du Collège de Guyenne, qui touche par tant de côtés à l'histoire de la Renaissance dans une des plus illustres provinces de l'ancienne monarchie. Personne n'était mieux placé que M. Gaullieur, archiviste de la ville de Bordeaux, pour évoquer tout un monde de souvenirs qu'il n'est pas superflu de rappeler au temps présent.

Aussi loin qu'il est possible de remonter dans l'histoire de Bordeaux, on y trouve des écoles, qui éclipsent un moment celles si célèbres de Lyon, Marseille, Narbonne, Toulouse. L'école du poëte Ausone jeta le plus grand éclat au IVe siècle. Le torrent de l'invasion barbare vient tout submerger au siècle suivant. Charlemagne essaye en vain de restaurer l'antique édifice de la civilisation approprié aux temps nouveaux: effort aussi glorieux qu'impuissant! Les ténèbres du moyen âge se répandent partout, éclairées çà et là des faibles lueurs qui sortent des écoles monastiques. Le XVe siècle voit poindre l'aube d'un jour meilleur coïncidant avec le réveil des études de médecine et de droit. En 1441, pendant les derniers temps de la domination anglaise, est fondée l'université de Bordeaux, qui trouvera son complément dans le collége des Arts, lequel transformé au courant de la Renaissance, devient en 1533 le collége de Guyenne.

Le commentateur d'Ausone et de Sidoine Apollinaire, Elie Vinet, un des plus illustres directeurs de cet établissement dans la seconde moitié du XVIe siècle, en avait écrit l'histoire, malheureusement perdue pour nous. C'est assez dire ce qu'il a fallu de patience et de savoir à M. Gaullieur pour recomposer les annales de la docte maison, qui n'intéressent pas seulement l'histoire locale, mais celle de l'esprit humain dans une de ces époques fécondes et créatrices où les générations qui s'élèvent semblent animées d'un esprit nouveau. Ce que fut à Paris le collége de Sainte-Barbe, dont M. Jules Quicherat nous a si bien retracé les destinées, le collége de Guyenne le fut à Bordeaux. Ce n'est pas une de ses moindres gloires d'avoir eu pour élève Michel Montaigne, qui s'en est souvenu dans ses Essais: « Le bonhomme, dit-il, en parlant de son père, m'envoya, environ mes six ans au collége de Guyenne, très-florissant pour lors et le meilleur de France, et là il n'est possible de rien adjouter au soing qu'il eut, et à me choisir des précepteurs de chambre suffisants, et à toutes les autres circonstances de ma nourriture en laquelle il réserva plusieurs façons particulières contre l'usage des colléges. » Plus tard, en sa qualité de maire de Bordeaux, Montaigne aimait à visiter l'institution dans laquelle s'était écoulée une partie de son

enfance. Plus d'une fois on vit l'ami de la Boëtie se diriger gravement vers la grande porte qu'il avait si souvent franchie comme écolier au milieu des joyeux ébats de ses condisciples. Le philosophe, nourri de la plus pure substance de l'antiquité, allait rendre visite au vieux principal Elie Vinet, dont il admirait la sage direction.

Ce fut aussi un élève du collége de Guyenne que ce Joseph Scaliger, dont le savoir surpassa celui des hommes de son temps. Son père, Jules César de Lescale, dont la renommée scientifique et littéraire était alors à son apogée, suivait ses progrès avec la plus vive sollicitude. « Vos enfants, lui écrivait un de leurs précepteurs, profitent grandement, desquels Joseph est la fleur. » Joseph, écrivait un autre, sera homme scavant sur tout. Il n'oyt rien de moi qu'il ne le comprenne incontinent. »

Elie Vinet avait eu dans sa tâche de doctes précurseurs, Tartas, le fondateur du collége, et après lui Gouvéa, Gélida. Le nom de Claude Budin en rappelle un autre, celui du pieux Mathurin Cordier qui, après avoir guidé les premiers pas de Calvin dans les humanités, et déposé plus d'un germe fécond aux colléges de Lisieux, de La Marche et de Sainte-Barbe, sur la vieille montagne de Sainte-Geneviève, était venu chercher asile à Bordeaux contre les persécutions qui suivirent les fameux Placards contre la messe, et provoquèrent ainsi le beau livre de l'Institutio Christiana. M. Gaullieur retrace avec charme le séjour de cet homme excellent, qui ne fit que passer à Bordeaux, et surtout celui de Claude Budin qui devait y mourir. Le chapitre consacré à ce dernier est de la touche la plus heureuse.

C'est un beau moment dans le réveil des lettres classiques que celui qui réunit dans un même collége des hommes tels que les deux Gouvéa, Grouchy, Jacques de Teyve, Guillaume de Guérente, Junius Rabérius, Claude Budin, Jehan Binet, auxquels vont bientôt s'adjoindre le Saintongeois Elie Vinet, et l'Ecossais Georges Buchanan, un humaniste doublé d'un poëte. « Aujourd'hui, écrit Britannus, la gloire de l'Aquitaine resplendit parmi les autres nations; aujourd'hui cette ville s'illustre dans l'étude de la langue, de la littérature, et des chefs-d'œuvre oratoires de tous les peuples. Bordeaux a compris enfin que, grâce à l'influence exercée par la culture des lettres, les mœurs seront bientôt ici plus douces et plus policées. Que dis-je ? bientôt......... Déjà les intelligences se développent, et les études, dont le niveau s'élève, s'accroissent et se multiplient. Ces résultats sont dus au mérite tout particulier du principal André de Gouvéa, dont le savoir égale la modestie et la gravité. » Ancien principal du collége

de Sainte-Barbe, Gouvéa fut aussi le fondateur du collége de Coimbre en Portugal, et chacun des pas de ce savant homme semble marqué par une institution utile.

En ces beaux jours du collége de Bordeaux un souffle de renaissance chrétienne vient se mêler à la renaissance littéraire. Le nombre des élèves ne cesse d'augmenter; on n'en compte pas moins de deux mille cinq cents. « Quelques-uns d'entre eux entendaient chaque soir à la veillée, leurs parents lire la Bible ou les écrits des réformateurs, et rapportaient à leurs camarades ce qu'ils avaient appris. Ils n'ignoraient pas que certains de leurs professeurs, comme André Zébédée, Grouchy, Claude Budin, Mathurin Cordier et Buchanan, penchaient ouvertement pour la doctrine des novateurs. » Le spectacle des premières persécutions, la constance et la sérénité des martyrs, ajoutaient encore à la vivacité de ces impressions de l'adolescence qui préparent les convictions réfléchies de l'âge mûr.

Comme Toulouse, Bordeaux eut de bonne heure ses témoins: Aymon de la Voye fut un des premiers confesseurs de la Réforme. Tout brisé par la torture, au moyen de laquelle on espérait l'amener à dénoncer ses frères, il ne laissa échapper que ces mots : « l'ous ceux qui font la volonté de Dieu sont mes compagnons. » Il fut brûlé, le 26 août 1542, sur une place voisine du collége. Le lendemain, on trouvait sur le poteau, auquel avait été attaché le jeune évangéliste, une inscription qui exaltait ses vertus et flétrissait ses bourreaux. Plusieurs écoliers furent arrêtés à cette occasion. Un des serviteurs du collége fut passé par les verges, et l'affaire en resta là, par crainte sans doute du scandale; mais à Bordeaux comme à Paris, le sang des martyrs était une semence nouvelle. On le vit, hélas! à la SaintBarthélemy, qui ne compta que trop de víctimes sur les bords de la Gironde. Nous le saurons mieux encore, lorsque M. Gaullieur nous donnera le livre qu'il prépare sur la Réformation à Bordeaux et dans le pays de Guyenne.

Remercions-le cependant de nous avoir offert les prémices de ses savantes études dans ce beau volume imprimé avec luxe, qui fait grand honneur aux presses bordelaises de Gounouilhou. Quiconque voudra étudier l'instruction publique aux trois derniers siècles, dans un de ses plus illustres foyers, à travers toutes les vicissitudes qu'il a subies jusqu'à nos jours, lira cet ouvrage avec fruit. Il a sa place marquée à côté du livre de M. Quicherat, et de l'excellente biographie de Jean Sturm, ce grand éducateur de la Renaissance, due à la plume de M. Ch. Schmidt. Il nous montre ce que pouvait l'initiative d'une cité, d'un municipe, dans une de ces institutions

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