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fils lui fasse prendre la connoissance des affaires et que vous l'instruirez bien mieux que lui, à cause qu'elle vous donnera plus de patience; je crois bien cela, mais je crains bien que vous la trouviez fort neuve et que vous n'ayez grand'peine à l'y rendre savante, mais elle vous aura une obligation inestimable d'être si bonne que de la vouloir prendre, et je l'estimerai bien heureuse de faire son apprentissage en si digne et célèbre école. Nous n'avons point eu de ces bonheurs là; Dieu lui fasse la grâce d'en savoir bien user, et de vous rendre une très prompte et agréable obéissance et un perpétuel et fidèle service. Je ne la puis aimer si elle y manque; je vous le jure, ma chère Madame, car c'est la vérité.

M. le vicomte de Sardiny (1) est parti deux jours devant monsr votre fils, mais je crois qu'il n'arrivera pas sitôt à Paris que lui, qui vous dira comme nous avons écrit à la Reine-mère des lettres de complimens. Il y eut eu faute à ne le faire pas; cela seroit bien étrange si on se rendoit suspect pour cela. Puisque l'on dit que M. de Luynes recherche de tout son pouvoir ses bonnes grâces, il ne doit pas trouver étrange si on désire de se les conserver; comme mère de notre Roi, me semble que l'on ne lui peut rendre trop de devoirs.

Je prends à fort mauvais augure pour nous ces ombrages que l'on feint de prendre. C'est retomber dans notre malheur passé, car mon monsieur n'en a point donné de sujet; et c'est une pure calomnie ce que l'on dit que M. Le Comte, gouverneur d'ici, a convié M. du Maine (2) de se joindre aux demandes que M. de Montmorency fait pour la liberté de monsieur le Prince, car l'avis de mon monsieur est que l'on ne doit rien faire qui ne soit agréable au Roi et qu'il faut que monsieur le Prince lui en ait l'obligation et tienne sa liberté de sa bonté. Je crois vous avoir déjà mandé les mêmes choses. J'aurai de l'impatience de savoir que fera le sr Justel (3), et encore plus de savoir mons votre fils heureusement arrivé auprès de vous. Il m'a dit un adieu me témoignant force amitié. Je me plains qu'il y a été trop honnête seulement, et ôté cela je serois fort contente. Je crois qu'il verra Mme de Jouarre (4); si m'en

(1) Gentilhomme de Marie de Médicis.

(2) Henri de Lorraine, duc de Mayenne.

(3) Secrétaire du duc de Bouillon, de la famille duquel il a fait l'histoire. (4) Jeanne de Bourbon-Montpensier, abbesse de Jouarre.

XXIII. 21

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a il laissée incertaine, il ne résout pas assez les choses, à mon gré. Il faut que je vous die cela avec ma liberté accoutumée, puisque je suis, mon cœur, votre très fidèle servante et très obéissante sœur à la vie et à la mort,

A Sedan, ce 3 de juin 1619.

BIBLIOGRAPHIE

(Suite).

CLEMENT MAROT ET LE PSAUTIER HUGUENOT.

Etude historique,

littéraire, musicale et bibliographique, contenant les mélodies primitives des psaumes et des spécimens d'harmonie de Bourgeois, J. Louis, Champion dit Mithou, Jambe de Fer, Goudimel, Crassot, Sureau, Servin, Rol. de Lattre, Cl. le jeune, Mareschall, Sweelinck, Stobée, etc., par O. DOUEN, ancien pasteur.

Au moment où M. le pasteur Douen achève de préparer pour l'impression l'ouvrage auquel il a consacré tant d'années et de si savantes recherches, il ne sera pas sans intérêt pour les lecteurs du Bulletin d'avoir un premier aperçu de ce que l'auteur peut appeler, dans l'épigraphe heureusement empruntée à l'harmoniste Goudimel :

Le plus doux travail de ma vie,

Guidant mon espérance aux cieux.

Ce livre est attendu depuis longtemps. M. Félix Bovet, dans son excellente Histoire du Psautier, en saluait d'avance la prochaine apparition. M. Douen se plaît à constater les services que lui a rendus son prédécesseur dans toutes les parties où les deux plans se rapprochaient sans pourtant se confondre, et les renseignements fournis depuis dans cet esprit de savante fraternité qu'on aime à signaler toutes les fois qu'il nous est donné de le rencontrer. Hâtons-nous d'ajouter que les deux livres ne font pas double emploi et que nos bibliothèques ne seront vraiment complètes qu'en les plaçant l'un auprès de l'autre.

Le titre choisi par M. Douen indique que le sujet est double; il y avait là un écueil dont l'auteur a fort habilement su faire un point

d'appui. Une biographie de Marot, quelque attachante que soit la vie du poëte, quelque charme qu'on éprouve à relire ses vers les plus harmonieux, aurait offert une grave lacune si son action dans la grande rénovation religieuse du XVIe siècle n'y eût été mise en plein relief. Cette lacune est le défaut capital de tous ceux qui ont étudié le poëte à la lumière de la Renaissance en oubliant, ou en affectant d'oublier, celle de la Réforme. Marot n'a été ni théologien ni apôtre; il a eu néanmoins un rôle militant qu'il nous est défendu d'ignorer. Il n'a pas attendu l'organisation du protestantisme pour s'attaquer aux abus de l'Eglise de Rome et faire retentir la voix de l'Evangile ; à plusieurs reprises il a dû se soustraire aux vengeances de la Sorbonne; il a préféré l'exil à l'apostasie; et c'est lui dont la lyre, habituée à d'autres accords, a su pour la première fois rendre accessibles au peuple chrétien les sublimes accents des chantres inspirés d'Israël.

Nous ne suivrons pas M. Douen à travers cette histoire de Marot, si vivante dans sa diversité. Nous ne le blâmerons même pas, en présence des violentes et injustes attaques des adversaires, d'avoir beaucoup insisté, et quelquefois un peu vivement, sur le côté myṣtique et religieux du poëte, d'avoir, en un mot, presque vu un réformateur dans son héros. Nous le remercierons plutôt de réfuter des calomnies et de dissiper des nuages, et de nous faire assister à cette diffusion, par la traduction des psaumes, des principes évangéliques et protestants.

Mais quand Marot succombe à quarante-sept ans à un mal sou dain et mystérieux, il n'a pu accomplir qu'un tiers de la tâche. Cinquante psaumes seulement ont été donnés au peuple protestant qui réclame les cent autres. Aussi est-il naturel qu'après avoir décrit les commencements du Psautier réformé, l'auteur ne s'arrête pas à la mort du poëte. Il entre au contraire dans le cœur même de sou sujet et c'est sous toutes ses faces qu'il l'expose et l'étudie.

Il faudrait emprunter, au moins aux Sommaires, de longues citations pour faire apprécier tout ce que ces deux volumes renferment de recherches profondes, de renseignements curieux, de véritables découvertes sur notre chant religieux. Le chapitre Marot traducteur, celui sur les Psaumes de Bèze et sur Bèze traducteur ne pouvaient être écrits que par un hébraïsant distingué, familier avec les difficultés de la langue de David et d'Asaph, traducteur lui-même et nous faisant toucher du doigt, dirais-je volontiers, les mérites et les défauts des versions anciennes et modernes, les inexactitudes, les inversions, les étranges paraphrases des interprètes successifs.

Ce côté littéraire ne pourra manquer de frapper tous les lecteurs; mais les connaisseurs trouveront des jouissances d'un ordre plus élevé encore dans la partie qui traite de la musique. Quel que soit le mérite de l'ensemble du travail, il est certain que les recherches musicales l'emportent encore sur le reste; elles donnent au livre une valeur tout à fait exceptionnelle. Comme le remarque M. Douen, <«< la plupart des erreurs des historiens relatives aux auteurs de notre Psautier, proviennent de ce qu'ils ont souvent confondu les auteurs des harmonies avec ceux des mélodies. » L'origine de ces mélodies, qu'il recherche avec le soin le plus scrupuleux, est triple : les chants d'outre-Rhin, l'imagination des artistes, les chansons populaires, et aucune peine ne lui a semblé trop grande pour relever des exemples de ces diverses provenances et des procédés d'adaptations employés par les mélodistes. Après les mélodies il passe en revue les harmonistes eux-mêmes, nous indique ce que le Psautier doit à ces artistes trop oubliés aujourd'hui, et fait suivre ces notices de ce qu'il a pu trouver de musique arrangée par chacun d'eux et d'exemples choisis parmi les œuvres d'une vingtaine de leurs successeurs. Il y a là pour les amateurs de chant sacré et d'archéologie musicale des trésors qu'ils sauront apprécier.

Entrant alors dans des considérations d'une portée plus générale, M. Douen s'occupe ensuite de l'Influence de la Réforme sur la musique. Il remonte aux premiers temps du christianisme, étudie ce que la mélodie est devenue entre les mains de l'Eglise, comment les Barbares ont introduit l'harmonie, ce que le catholicisme a fait pour la science des accords, et, par une déduction accompagnée toujours de preuves à l'appui, il parvient à constater combien le protestantisme a d'une part purifié et relevé la musique religieuse, et de l'autre vulgarisé l'art du chant. Il y a telle affirmation de M. Douen qui de prime abord semblera presque un paradoxe : Calvin un des pères de l'opéra, «les messes en musique fruit du protestantisme.» Nous renvoyons nos lecteurs à ce chapitre aussi curieux que substantiel.

Mais le moyen âge n'est pas seul pris à partie. Le XVIIIe et le XIXe siècle ont assumé par leurs innovations souvent peu réussies une lourde responsabilité. M. Douen étudie successivement, et chez les catholiques et au sein de notre Eglise, les mélodies nouvelles, le changement de rhythme, la modification des intonations, les harmonies nouvelles, et sa conclusion, il faut bien l'avouer, n'est pas à l'avantage de notre époque. Pour lui notre Psautier, que les retouches de Conrart avaient amélioré sous le rapport de nos besoins littéraires modernes, a beaucoup perdu au contraire sous le point

de vue musical. L'application de nos rhythmes n'a pas toujours été heureuse, la tonalité moderne a nécessité des changements déplorables et les mélodies du XIXe siècle sont loin de posséder l'énergique saveur qui distinguait celles du XVIe. Aussi n'hésite-t-il pas à proposer aux protestants de ramener la mélodie et l'harmonie du Psautier à leur forme primitive, et pour répondre d'avance aux objections, il donne le moyen de faire immédiatement cet essai : «Ce vœu qu'ont formé tant d'amateurs de la musique sacrée, retrouver et rendre à l'Eglise les psaumes sous leur forme originale, nous avons enfin tenté de le réaliser. On trouvera plus loin, avec l'harmonie de Goudimel, tous les psaumes qui nous ont paru susceptibles d'être chantés aujourd'hui sans autre addition que celle d'un à la note sensible, et sans autre modification que le passage de la mélodie du ténor au soprano et la transposition souvent rendue nécessaire par la gravité excessive, pour les voix actuelles, des parties inférieures. » Ces psaumes sont au nombre de trente-quatre, plus le cantique de Siméon.

On le voit, la conclusion de M. Douen diffère de celle de M. Bọvet. Ce dernier étudie le Psautier comme un vénérable monument de la piété de nos pères, une pièce rouillée de leur armure, qu'on ne réimprimera sans doute plus et qui bientôt disparaîtra du culte. Notre collègue, au contraire, voudrait le rajeunir en remontant aux sources et lui rendre, dans notre Eglise, la place que les cantiques modernes tendent de plus en plus à occuper.

La partie purement bibliographique a été une des plus grandes préoccupations des deux auteurs. Ici encore l'Histoire du Psautier et le Clément Marot se complètent mutuellement. M. Bovet avait dressé le catalogue d'environ sept cents éditions du Psautier. M. Douen a pu doubler ce chiffre, mais pour les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles il ne donne que les additions à la bibliographie de son prédécesseur, refondant pour le XVIe siècle les deux travaux en un seul. Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'importance de ces listes qui forment un appendice très-considérable.

L'ouvrage de M. Douen, on a pu s'en convaincre même par ce rapide aperçu, sera un livre de luxe en même temps que de science historique et musicale. Les airs notés intercalés dans le texte et à sa suite lui donneront un cachet, et pour beaucoup de lecteurs même en dehors des rangs du protestantisme, un attrait tout particulier. Est-il nécessaire d'ajouter que nous devons trouver dans ces richesses mêmes une raison de plus de soutenir cette publication? C'est là une de ces oeuvres qu'on n'entreprend pas sans beaucoup

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