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de courage, qu'on ne poursuit pas sans une indomptable persévérance, qu'on ne termine pas sans des appuis sérieux. Nous aimons à croire que les protestants français tiendront à prouver leurs sympathies pour de pareilles recherches, et qu'ils ne laisseront pas aux pays étrangers, très-occupés depuis quelque temps de musique religieuse en général et de notre Psautier en particulier, le privilége de rendre hommage à une de nos gloires huguenotes, et de remettre pieusement en lumière et en honneur ces chants héroïques et sacrés qui fortifiaient nos combattants et consolaient nos martyrs!

F. SCHICKLER.

ŒUVRES COMPLÈTES DE THÉODORE-AGRIPPA D'AUBIGNE, publiées pour la première fois d'après les manuscrits originaux, par MM. Eug. RÉAUME et DE CAUSSADE.

TOME PREMIER.

L'énoncé de cette publication en révèle toute l'importance, et l'on éprouve une satisfaction, qui n'est pas sans légitime fierté, à voir poser, au milieu des tristesses et des incertitudes du temps présent, la première pierre du monument élevé à Agrippa d'Aubigné par l'édition de ses œuvres complètes, qu'ont entreprise deux écrivains tout à fait dignes de cette illustre tâche. Qui pourrait mieux leur rendre ce témoignage que le rédacteur du Bulletin, initié dès longtemps à leur généreuse ambition, et témoin des retards qu'elle a subis, non par une défaillance, hélas! trop excusable, mais par ces contrariétés des temps avec lesquelles il faut bien compter, même alors qu'on porte en soi la magnanime ardeur qui sait les vaincre !

Il y a bien des années que le plus populaire dés éditeurs parisiens, M. Hachette, songeait à inaugurer la publication des Grands Ecrivaïns de la France au XVIIe siècle par une édition plus correcte des écrivains du siècle précédent, que l'on peut considérer comme des précurseurs. L'auteur des Tragiques et de l'Histoire universelle était jugé digne de cet honneur, et un écrivain distingué, M. Eug. Despois, se préparait à l'accomplissement de cette belle mission qui devait trouver le plus favorable accueil à Genève. Il nous en eût moins coûté de voir ce projet abandonné, si nous eussions préssenti qu'il serait repris avec éclat par deux écrivains

non moins familiers avec la littérature française, dans les jours voisins de la Renaissance et de la Réforme. Ce n'était pas tout, cependant, pour mener à bien un tel projet, que l'association de deux vaillants esprits, comme MM. Eug. Réaume et de Caussade. Il fallait le concours d'un de ces éditeurs aussi généreux que hardis, que tentent les grandes entreprises où le profit est moins certain que l'honneur. M. Alphonse Lemerre, déjà connu par sa belle édition des Classiques français, n'a pas hésité à patronner une œuvre qui lui devra en grande partie sa réalisation et son succès.

Il est superflu de rappeler dans le Bulletin du Protestantisme français les titres d'un écrivain tel que d'Aubigné. Le XVIe siècle n'en a pas de plus vigoureux, et son talent est de la trempe de son caractère, aussi original qu'incisif. Homme de plume et d'action, historien à la façon de Tacite, moraliste et poëte, il a su faire vibrer toutes les cordes de l'éloquence et de la passion en des pages vengeresses où la langue française acquiert un relief étonnant. D'Aubigné est un ancêtre de Corneille, qui ne renierait point une telle descendance. L'autobiographie d'un tel homme devait tout d'abord attirer l'attention, et les Mémoires de sa vie, complétés par ses Lettres, forment le premier volume de la savante édition, qui ne laissera rien à désirer pour la pureté du texte et la sûreté des informations bibliographiques.

On peut en juger par le texte même des Mémoires, collationné avec le plus grand soin sur le manuscrit conservé à Bessinges, et corrigé par d'Aubigné lui-même. Un critique diligent, M. Ludovic Lalanne, nous avait déjà donné, en 1855, une édition épurée, revue sur un manuscrit de Madame de Maintenon déposé au Louvre, et détruit depuis dans l'incendie de la royale bibliothèque par le vandalisme de la Commune. Mais le texte de M. Lalanne, déjà si supérieur à celui des éditions antérieures, qui ne semble qu'une, paraphrase, est loin de reproduire la version primitive de l'auteur. Elle nous a été rendue dans son intégrité, grâce à une bienveillante communication de Madame la douairière Henri Tronchin, qui n'a fait qu'acquitter, à cet égard, une des meilleures promesses de celui dont elle porte si dignement le nom. Il suffit de comparer, comme le fit M. Heyer, dans son excellente notice sur le séjour d'Agrippa d'Aubigné à Genève, quelques pages des Mémoires, d'après le texte du Louvre et celui de Bessinges, pour reconnaître qu'une nouvelle édition était nécessaire. On peut considérer, à tous égards, celle-ci comme définitive.

Les Lettres de d'Aubigné forment le complément indispensable

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de sa biographie, et c'est ici la partie la plus neuve, sinon la plus attachante, du volume que nous offrent MM. Réaume et de Caussade. Ils n'ont rien épargné pour compléter la précieuse collection conservée à Bessinges, et les archives de M. le duc de la Trémoille, la bibliothèque de l'université de Leyde, et divers dépôts leur ont fourni plus d'une pièce intéressante, qui est venue s'ajouter fort à propos au trésor primitif.

Nous sommes ici en plein inédit, puisque sur deux cent trentequatre pièces une soixantaine seulement figurent dans l'appendice de la notice de M. Heyer, d'un intérêt tout local. Cette correspondance a été divisée en plusieurs séries, qui en facilitent la lecture, et cette précaution ne semble pas superflue quand il s'agit d'un écrivain plus enclin à rédiger des mémoires sur tous sujets, théologiques, politiques, militaires, qu'à laisser errer sa plume en familières effusions qui reposent le lecteur. Les savants éditeurs se sont bornés, du reste, à cet égard, à suivre l'ordre indiqué dans le manuscrit préparé par d'Aubigné lui-même pour l'impression. Ce que l'on ne saurait trop regretter avec eux, « c'est la disparition de presque toutes les lettres familières, pleines de railleries non communes. Hélas! c'est sans doute leur esprit même qui les a fait condamner! La plume satirique qui écrivait la Confession de Sancy ne se gênait guère, dans le commerce familier, pour appeler «un chat, un chat. Des scrupules rigoristes, les susceptibilités de quelque famille, une indélicate curiosité ont pu faire déchirer ces feuillets qui manquent au manuscrit, et dérober un cahier dont l'absence était déjà signalée dans l'inventaire remis à Théodore Tronchin. Quoi qu'il en soit, il faut bien avouer que nous avons perdu, sinon les lettres les plus intéressantes, au moins les plus piquantes. »

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On n'en remarquera pas moins dans ce volume bien des pages d'un haut intérêt au point de vue historique. Telle est la lettre au prince de Condé, écrite probablement vers 1612, où d'Aubigné proteste, à l'exemple du Synode de Privas, contre les lettres de pardon accordées aux réformés pour avoir soutenu les droits qu'ils tenaient d'un édit solennellement juré, et déjà remis en question : «Quand la demande de pardon serait tolérable en de légères prétentions d'Estat, cela ne peut estre supporté en la défense de la religion, si elle est bonne; si fausse, comme le pardon l'advoueroit, certes il la faudroit quitter en demandant pardon, et sur les allégations de la contrainte et de la nécessité, nos pères nous ont appris par les harangues qu'ils ont faites sur les buchers qu'il n'y a point de contrainte à qui sait mourir. Nous nous sentons en nos consciences,

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non la plus splendide noblesse du Royaume, mais la plus pure en nos actions, et envers nostre Dieu, et envers nostre Roy; et hormis le petit nombre de Catholiques qui n'a point trempé à la Ligue, nous tenons justement le reste pour rémissionnaires, si rémission peut estre faite à ceux qui ont conjuré contre leur Roy au profit des estrangers, sans pouvoir mettre en prétexte la persécution de leur foy, n'y ayant plus justes armes contre les Roys que la querelle du Roy des Roys. Combien sont loin de là ceux qui se peuvent dire en vérité avoir sauvé la couronne, ou au moins la teste qui la devoit porter. »

C'est le même accent, mais bien autrement poignant, que l'on retrouve dans une lettre de d'Aubigné à son indigne fils Constant, qui venait de couronner une vie de désordres par l'abjuration: « Cette mémoire vous dira non vostre élévation, ni vostre nourriture plus digne du seigneur que du pauvre gentilhomme; non vostre éducation par les plus doctes et plus excellents personnages que j'ay pu arracher des plus grandes maisons hamis auctis, non l'élévation de vostre courage, en quoy j'ay péché vous donnant compagnie entretenue sur l'estat du Roy, avant que porter haut de chausse....... Je suis content que vous oubliez ces choses, mais non pas ma fermeté au service de Dieu, mon amour envers ses enfants affligés, ma haine envers les meschants prospérants, et l'une et l'autre de ces passions redoublantes à mesure de l'affliction et de la prospérité. Ayez donc ceste souvenance, afin que vous n'espériez pas que je puisse touscher à la main qui sert les idoles et fait la guerre à Dieu, que la langue puante de blasphesmes me puisse accoiser de paroles, et que les genoux qui ont ployé devant les profanes autels me puissent fleschir en fleschissant devant moy... Vous demandez que je vous ouvre pour vous jetter à mes pieds, et je vous dis que ma porte ne vous peut recevoir que vous n'ayez brisé ou franchi les portes d'enfer. »

On retrouve ici en ses âpres colères l'auteur des Tragiques, dont la correspondance, éloquemment tendue, ignore trop ces contrastes aimables et familiers où se complaît le génie de la Renaissance. La lettre à Madame sœur unique du Roy, sur la douceur des afflictions, garde un charme unique entre toutes « comme liant d'or et de soie les fleurs de printemps. » Ces fleurs sont trop rares dans l'œuvre de d'Aubigné, quoiqu'elles aient une, part dans sa vie. Nous les retrouverons dans ses Petites œuvres mêlées, et dans les poëmes inédits qui seront l'ornement des prochains volumes. Une note austère domine ces chants d'inspirations si diverses, et se dégage de l'œuvre entière. Ainsi que le dit éloquemment M. Eug. Réaume dans

les dernières lignes de son introduction: «En relisant les beaux vers et les pages éloquentes de notre inflexible huguenot, on se rappelle les paroles que Tacite prête à Thraséas condamné à s'ouvrir les veines. L'intrépide stoïcien, offrant à Jupiter libérateur une libation de son sang, fait approcher le questeur pâle d'effroi : « Tu es né, lui « dit-il, dans des temps où il convient de fortifier son âme par des «< exemples de fermeté. » Et nous aussi, nous vivons à une époque où il convient de retremper les âmes et de les relever par l'exemple de courages indomptables, de consciences qui ne savent pas capituler.»

La belle édition d'Agrippa d'Aubigné, entreprise par MM. Réaume et de Caussade, avec le concours de M. Alphonse Lemerre, est donc une œuvre patriotique au premier chef. Elle se recommande d'ellemême à tous les amis des lettres françaises, qui tiendront à honneur de ne pas laisser ces trésors sans emploi, et de montrer qu'aux heures tristes ou brillantes de notre histoire, dans la bonne ou la mauvaise fortune, une noble pensée ne demeure jamais sans écho dans notre pays. J. B.

GÉOGRAPHIE DU PROTESTANTISME FRANÇAIS

En remerciant nos correspondants et amis pour les renseignements qu'ils ont bien voulu nous fournir jusqu'à ce jour, nous leur soumettrons, dans la prochaine livraison du Bulletin, quelques-uns de nos doutes, et nous appelons leur attention sur l'importance qu'ont pour nos recherches les Actes des Synodes provinciaux, voire même des Colloques.

Nous leur serons reconnaissants de toute communication de ce genre qu'ils voudront bien nous faire, soit en nous confiant les actes originaux, soit en nous en transmettant les copies, soit, au besoin, en nous indiquant le lieu où ces documents se trouvent, en originaux ou en copies.

L. AUZIÈRE, F. SCHICKLER.

Place Vendôme, 16. Ce 14 juillet 1874.

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