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tion le recueil de ces proscriptions inouïes du plus omnipotent des monarques. La plupart des temples de la Guyenne avaient été renversés par ses ordres, et il n'était que trop évident que ceux qui restaient encore allaient avoir le même sort.

Un arrêt du conseil d'Etat, du 7 décembre 1682, vint en effet ordonner la démolition des temples fermés depuis longtemps, de Monbazillac, de Gardonne et de Cours-de-Piles.

Dans la première de ces localités les calvinistes n'en continuèrent pas moins à se réunir dans l'intérieur du château. Le vicomte Pierre de Barraud n'était plus de ce monde; mais sa veuve, la pieuse Marie de Barraud, animée de cette sublime énergie que donne la foi, assistait à toutes les réunions de prière, visitait les malades et ranimait les courages, bien décidée à lutter jusqu'au bout et à défendre contre les tyrannies du pouvoir central les droits de sa conscience et de celle de ses vassaux (1).

En 1683, l'Eglise démoralisée se trouvant sans pasteur, la vicomtesse résolut de s'adresser au synode de Tonneins pour en obtenir un. C'est ce que nous apprend la procuration suivante, datée du › 6 décembre 1683:

Dans le château de la Terre et vicomté de Monbazillac en Périgord, le septiesme décembre mil six cens huictante trois, après midy, par devant moy notaire royal soubzsigné et tesmoings bas nommés a esté présente dame Marie de Barraud, dame du Fournil, Monyeu et de la présente viscomté, laquelle de son bon gré a donné et donne procuration à Noble Philippe Dauroux, écuyer, Sr de la Palisse et aux sieurs Elie et Jacques Valeton, tous habitans de la dite juridiction pour et au nom de la dite dame s'acheminer au synode convoqué présentement en la ville de Thounens-dessus par permission de Sa Majesté, et demander à ceux qui composeront le dit signode un ministre pour faire l'exercisse de la Religion prettandue réformée au dit Monbasilhiac, conformément à la permission qui est faite à tous seigneurs haut justiciers par l'article sept de l'Edict de Nantes; attendu que la dite terre de Monbasilhiac est en toute justice, haute moyenne et basse, que la dite Dame y a faict son eslection de domicille suivant le dit Edict, donne aussi pouvoir de traiter avec le Ministre qui lui sera donné, pour le reglement de ses guages à telle somme qu'il advizera.

Témoins Me Mizaël Sargenton, praticien et Elie de Sargenton. (Signé :) FOURNIL, vicomtesse de Monbazillac, SARGENTON, DE Sar

GENTON.

VERGNIAUD, notaire royal.

(1) Il existe au château de Monbazillac trois portraits fort remarquables, qui datent de cette époque. Deux d'entre eux représentent, si je ne me trompe, Pierre

Le ministre accordé par le synode fut M. Azimont, ancien pasteur à Bergerac. Un traité signé à Tonneins, le 14 décembre 1683, entre lui et MM. de La Palisse et Valleton, anciens de l'Eglise de Monbazillac ces derniers, agissant au nom de la vicomtesse,

fixa les devoirs des parties contractantes.

Marie de Barraud s'engageait à donner à Samuel Azimont «<le logement qui est au coin de la grande cour du chasteau » et 400 livres tournois d'appointements.

De son côté, celui-ci promettait « un presche tous les dimanches matins, et une prière l'après dinée, » de plus, « à toutes les cènes un presche de préparation » dans le courant de la semaine « et une prière l'après dinée; » il prenait en outre l'engagement de visiter les malades dans toute l'étendue de la juridiction de Monbazillac, avec cette seule condition, que ceux dont la demeure serait éloignée de plus d'une lieue, seraient tenus « de lui envoyer des chevaux pour aller et pour revenir. »

Enfin, comme on ne pouvait se faire illusion sur les intentions du roi et sur le peu de temps que les Eglises avaient encore à vivre, même dans l'intérieur des maisons seigneuriales, on ajouta prudemment la clause suivante destinée à sauvegarder les intérêts de M. Azimont:

Pacte accordé que cas arrivant que son ministère fust troublé par interdiction du Conseil ou autrement, au dict cas la dictte dame sera tenue de lui paier ses gages, aux pactes ci dessus énoncés; lesquelz gages elle lui paiera de même, tout autant de temps que le dict sieur Azimond pourra sans trouble viziter et consoller les mallades; et au cas d'une totale interdiction la dicte dame sera sullement tenue de lui paier ces gages pendant un an, à compter du jour de la cessation de ces exercices.

Sera tenue la dicte dame de fournir au sieur Azimond la despence qu'il conviendra faire pour le sinnode à l'avenir, et de plus les fraix qu'il conviendra faire despuis la rivière de Garonne et port de Caumont à Monbazillac, pour le transport de sa famille et meubles.

Deux ans après, en effet, au mois d'octobre 1685, Louis XIV, au mépris des engagements solennellement contractés, en 1598, par son aïeul Henri IV, révoqua l'édit accordé par ce dernier aux pro

de Barraud et sa courageuse femme, Marie, dame du Fournil; le troisième doit être celui de leur fils. Les deux gentilshommes portent par-dessus leur pourpoint une cuirasse damasquinée. L'air de noblesse empreint sur ces trois physionomies est vraiment remarquable.

testants de France, défendit à tous ses sujets l'exercice de la religion réformée et enjoignit à tous les ministres qui refuseraient d'abjurer de sortir du royaume dans la quinzaine, sous peine des galères. Ce qui se passa à la suite de cet ordre exécrable et impolitique, qui violentait dans leur conscience des milliers de protestants, tout le monde le sait.

Une nouvelle ordonnance punissait de mort dans toute l'étendue du royaume, quiconque serait surpris faisant profession d'une autre religion que celle de Rome : les âmes faibles cédèrent à l'intimidation; les âmes viles abjurèrent avec empressement pour conserver leur position, ou quelquefois pour s'en créer une; tandis que des milliers de protestants, soutenus par leur attachement à l'Evangile et en dépit des peines terribles dont on les menaçait s'ils étaient pris, franchirent la frontière au péril de leur vie et se réfugièrent à l'étranger.

Au milieu de ces jours d'angoisse, que devint Marie de Barraud, la châtelaine de Monbazillac? On aime à supposer que comme tant d'autres femmes énergiques, dont l'attachement aux vérités évangéliques résista dans ces moments cruels à toutes les menaces et à toutes les sollicitations; elle demeura ferme dans sa foi. Malheureusement l'histoire, l'inexorable histoire est là pour nous apprendre que la plus grande partie de la noblesse ne sut pas résister aux séductions de la cour qui mit tout en œuvre pour obtenir d'elle une abjuration.

Quant à l'Eglise même de Monbazillac, elle partagea le sort de toutes les Eglises réformées, elle cessa d'exister. Mais ce n'était pas suffisant pour les exécuteurs des prescriptions et des sentences royales; ils résolurent de rechercher pour les détruire, les traces écrites de leur existence antérieure, espérant de cette manière effacer jusqu'au souvenir du passé.

Plus d'un an après la révocation de l'édit de Nantes, un huissier du sénéchal de Périgord se présenta dans le village de Monbazillac; il fit rassembler dans la cour du château ceux des anciens membres de l'Eglise qui vivaient encore, qui ne ramaient pas sur les galères du roi, ou qui n'avaient pas pris la fuite; parmi eux se trouvait un des anciens du dernier consistoire et le seul qui existât encore dans la contrée; il se nommait Pierre Couzy.

Jean Goubil, c'était le nom de l'huissier, tira gravement un papier de sa poche et lut à son auditoire l'ordonnance qui suit :

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François de La Brousse, escuyer, conseiller du Roy, maitre des re

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questes de l'hostel de la feue Reyne, premier président en la sénéchaussée et siége prézidial de la ville de Sarlat, commissaire subdélégué de Monseigneur l'Intendant,

Sur ce qui nous a esté représenté par les srs procureurs du Roy des senéchaussées de Périgord, que pour parvenir à l'exécution des ordres de mon dit seigneur l'Intendant des 1er avril et 13 may dernier, renduş au subject de ceux de la R. P. R. qui ont dezerté le royaume et des ministres qui en sont sortis, ensemble des biens et effeits des Consistoires et mattériaux des temples qui ont esté démolis despuis l'année 1660, leurs anciens membres soient appelés par devant vous pour remettre un estat, certiffié d'eux, des biens et effaitz de leurs concistoires;

Pareillement qu'il est nécessaire que tous notaires, leurs collationneurs et debtenteurs des papiers d'iceulx, greffiers, secrétaires et autres ayant dépôt public des papiers et titres des dits Concistoires en remettent incessamment des extraits en bonne forme;

Ordonnons, etc., sous peine de 20,000 livres d'amende et autres peines arbitraires, etc.

Bergerac, le 21 aoust 1686.

(Signé :) DE LA BROUSSE, Commissaire subdélégué.

BADEN, greffier commis.

Quelques lignes ajoutées après coup, au bas de l'ordonnance, nous apprennent, comme nous l'avons dit, que signification de l'acte fut faite 7 mars 1687, à Pierre Couzy, dit Sainprié, dernier ancien du consistoire de Monbazillac, par Jean Goubil, premier huissier audiencier au sénéchal de Périgord. Il va sans dire que cette supercherie n'avait pas d'autre but que de découvrir le lieu dans lequel avaient été placées secrètement les archives des Eglises réformées de la Guyenne.

Mais grâce à Dieu, les ordres de l'intendant furent mal exécutés, comme le prouve l'existence, au château de Monbazillac, des registres et documents manuscrits dont nous venons de citer quelques extraits. Pierre Couzy refusa sans doute de faire connaître l'endroit dans lequel ils avaient été cachés, et les papiers du consistoire furent sauvés.

Aujourd'hui le village de Monbazillac est entièrement catholique; mais, en dépit des cruelles persécutions des siècles passés, les protestants sont en majorité dans la contrée. Quant au château luimême et aux magnifiques domaines qui en dépendent, ils sont, depuis le XVIIIe siècle, la propriété de la famille de Bacalan, dont les

membres n'ont jamais cessé d'appartenir à l'Eglise de Calvin, depuis les premiers temps de la réformation française.

ERNEST GAULLIEUR.

BIBLIOGRAPHIE

HISTOIRE DES TROUBLES RELIGIEUX DE VALENCIENNNES, 1560-1567, par CHARLES PAILLARD. Paris, 1874.

L'histoire générale du protestantisme ne peut que gagner à la publication de solides travaux ayant pour objet direct les faits religieux et politiques qui se sont accomplis sur une portion déterminée du territoire de notre patrie. A ne parler que de deux anciennes pròvinces, la Flandre et le Hainaut, qui ont trop longtemps gémi sous la domination espagnole, deux villes importantes de ces provinces, Lille et Valenciennes ont été, au XVIe siècle, le théâtre d'événements considérables, dont l'exposé ne peut qu'accroître le légitime intérêt que commanderont toujours les annales de notre réformation française.

Dans le cours de ces dernières années, l'Eglise réformée de Lille a trouvé, en la personne de son honorable pasteur, M. Frossard, un historien consciencieux et érudit, dont les récits, constamment appuyés sur des documents authentiques, ont mis en relief la foi, les souffrances et la fidélité d'une foule de chrétiens persécutés par les sbires de Charles-Quint et de Philippe II (1). Aujourd'hui, un écrivain doublement recommandable par l'étendue de ses recherches et par la précision avec laquelle il en coordonne les fructueux résultats, poursuit dans le Hainaut une tâche analogue. En étudiant à fond l'histoire de Valenciennes, sa ville natale, M. Charles Paillard a été frappé du rôle qu'y jouèrent, au XVIe siècle, les réformés; détachant alors de l'histoire du protestantisme local une période de sept années, féconde en péripéties et en enseignements, il s'est proposé d'en reproduire le tableau fidèle. De là, la substantielle et intéressante monographie, dont le premier volume vient de pa

(1) L'Eglise sous la croix pendant la domination espagnole. Chronique de l'Eglise réformée de Lille, par Charles-Louis Frossard, pasteur. Un vol. in-8. Paris, Grassart,

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