Page images
PDF
EPUB

vent plus douter que l'incendie, qui couve depuis longtemps, ne soit enfin près d'éclater. »

Il éclate, en effet, à Valenciennes, en 1561, par la lutte qui s'engage dans l'affaire dite des maubruslez (mal brûlés), où deux calvinistes, condamnés à périr dans les flammes, sont arrachés par la foule indignée aux mains des exécuteurs et maintenus par elle en sûreté.

M. Ch. Paillard entre dans les plus grands détails sur cette affaire et sur les terribles conséquences qu'elle entraîna pour quelques-uns des libérateurs des maubruslez. L'autorité espagnole se vengea par d'atroces rigueurs, de l'échec qu'une notable partie de la population valenciennoise venait de lui faire subir. De nouveaux bûchers s'élevèrent les victimes qui y furent immolées, déployèrent, à l'heure suprême, une fermeté qui donna à penser à leur royal bourreau. Constatons, à ce sujet, avec M. Ch. Paillard (p. 108), que Philippe II était expert et ingénieux en matière de supplices: il se rappela ce qu'il avait vu pratiquer en Angleterre, alors qu'avec Marie Tudor, sa seconde femme (Marie la Sanglante), il assistait, en homme qui aimait à voir toutes choses conduites à bonne fin, aux supplices subis par des réformés. «Ung poinct y a au dict verbal, écrit-il à sa sœur, le 9 octobre 1562, que j'ai remarqué; assavoir la contenance qu'ont eu les obstinez exécutez, chantant en publicque, tant que l'alaine leur a duré, que m'a semblé chose de très-mauvais exemple, et dont plusieurs simples se pourroient scandaliser et laisser séduire. Et me souvenant que autresfois, en Angleterre, moy y estant, l'on usa en choses semblables de leur mectre un baillon ou aultre chose dedans la bouche pour leur empescher de parler, j'ay pensé s'il seroit mal de faire le mesme de ceulx qui d'icy en avant s'exècuteront obstinez. Et toutesfois, comme peult-être il y aura d'aultres respectz, je vous laisse considérer si ce mis en avant sera à propoz, ou quel autre expédient se pourroit trouver, remectant à vous d'en faire user comme vous verrez mieulx convenir. » On ne peut que s'associer au sentiment de M. Paillard déclarant que de telles paroles méritent d'être clouées au pilori.

Les efforts des bourreaux n'en sont pas moins vains : ils ne paralyseront pas l'expansion du protestantisme dans Valenciennes et ses alentours. En effet (p. 140), « la fin de l'année 1562 est marquée d'un caractère nouveau, qui sera celui des années suivantes. A peine les commissaires de la force armée ont-ils quitté Valenciennes, que les calvinistes recommencent à s'affirmer avec une résolution et une force particulière. Les supplices de leurs coreligionnaires ne

[ocr errors]

les ont nullement intimidés, et l'on pourrait dire que du sang de Berte, des cendres de Walin et de Brusman sont sorties des légions de prosélytes. Le spectacle qu'ils nous donneront ne sera plus celui des conventicules secrets et de chanteries nocturnes. Le temps des essais timides, des démonstrations prudentes est passé. Désormais ils pratiqueront leur foi en plein jour, et couvriront de leurs phalanges compactes les collines d'Anzin et d'Hoüy, les bois d'Aubry, de Bonne-Espérance, de Fontenelle et de Raismes. Cet état de choses persistera avec des alternatives d'apaisement et de recrudescence, déterminées par l'inaction apparente ou par les retours offensifs de la duchesse. »

Au récit concernant les maubruslez succèdent, dans le même volume, divers autres récits que nous regrettons de ne pouvoir analyser ici. Ils sont relatifs aux poursuites dirigées contre plusieurs personnes accusées d'hérésie et aux condamnations qu'elles subirent. Les détails les plus circonstanciés mettent le lecteur à même d'apprécier, d'après les procès-verbaux, les interrogatoires, les enquêtes et les décisions rendues, l'attitude des prétendus coupables et celle de leurs persécuteurs, ainsi que de leurs juges. On y voit, dans un chapitre spécial, l'emploi que le prévôt-le-comte, d'accord avec le gouvernement, faisait d'espions stipendiés pour découvrir les calvinistes et se jeter sur eux comme sur une proie.

Au corps de l'ouvrage se rattachent de nombreuses pièces inédites, d'un haut intérêt. Parmi les dernières, figure un ensemble de documents, desquels ressort l'exposé minutieux d'un débat qui s'éleva, en 1561, entre l'archevêque de Cambrai et le magistrat de Valenciennes sur leurs attributions respectives en matière d'hérésie; débat dans lequel, à l'exemple de tant d'autres prélats contemporains, peu soucieux des prérogatives de l'autorité judiciaire ou administrative, l'impérieux évêque soutient que « de droict, il est tout notoire que à luy, comme ordinaire diocésain, et mesmes en ce cas juge apostollicque délégué, appartient l'auctorité et puissance de procéder contre toutes personnes tant séculaires que ecclésiasticques, résidans en son diocèse, infectez, suspectez ou diffamez d'hérésie, soit par voie d'inquisition, dénonciation ou accusation. »

Si nous avons réussi à donner aux lecteurs du Bulletin une idée exacte du caractère et de la portée de la publication à laquelle M. Ch. Paillard vient d'attacher son nom, ils comprendront sans peine le

vœu que nous exprimons ici de voir prochainement paraître le complément de son grand et beau travail.

Nous ne saurions assez insister, en terminant ces lignes, sur

[ocr errors]

l'hommage dû aux écrivains de cœur et de savoir qui, justement épris des nobles aspects que présentent les annales de la réformation française, abordent avec ardeur ce champ d'explorations, le creusent en tous sens, et réussissent à en extraire de précieux matériaux, destinés à entrer, comme autant de pierres vives, dans le monument d'un glorieux passé. A voir ainsi à l'œuvre une érudition d'autant plus digne de respect, que de généreux sentiments l'inspirent, on aime à présager le succès qui couronnera ses efforts, en dépit d'une intolérance amie des ténèbres qui se flatte d’en stériliser les résultats. On se rappelle alors cette énergique apostrophe que, son livre à la main, le vieil historien des premiers martyrs protestants (1) lançait à la horde des persécuteurs:

Vois-tu ces tombes-ci aux justes ordonnées,

Qui, beaux, luisent encor au milieu des tourmens,
Au milieu de la flamme et des feux véhémens?
tu te faisois accroire

Que de ces saincts martyrs la bénite mémoire
En silence éternel demourroit avec eux,
D'obscurité couverte ès manoirs ténébreux :
Tu pensois dés longtemps avoir leur renommée
Par prison, fer et feux avec eux consumée;
Mais tout autre a esté du Seigneur le vouloir,
Car tous ces monumens que tu peux ici voir

Sont ornez d'un renom très grand, qui a naissance
Des os des saints martyrs!!!

Cte JULES DELABORDE.

NÉCROLOGIE

M. LE PASTEUR GRANDPIERRE

La mort ne cesse pas de frapper de nouveaux coups, et d'éclaircir nos rangs. Hier, c'était M. Frédéric de Coninck et M. Félix Bungener; aujourd'hui, c'est un des plus éminents prédicateurs du réveil, l'ancien et vénéré président du Consistoire de l'Eglise réformée de Paris, M. Henri

(1) Crespin, Histoire des Martyrs, p. 1 et suiv., dans le cours de l'épistre à l'Eglise.

GrandPierre, qui s'est éteint, le 10 juillet dernier, à Arlesheim, près Bâle, dans sa soixante-seizième année. Originaire de Neuchâtel, il débuta, en 1823, comme pasteur de l'Eglise française de Bâle, où il laissa les plus profonds souvenirs. Appelé bientôt à la direction de la maison des missions évangéliques de Paris, il se fit remarquer par une éloquence grave et forte qu'il mit successivement au service de la chapelle Taitbout et de l'Eglise réformée. De ses divers écrits, deux surtout, le Guide du fidèle à la Table sacrée, et Tristesse et Consolation, qu'inspira un grand deuil, perpétueront son ministère pour les âmes affligées. Comme rédacteur de l'Espérance, qu'il dirigea durant bien des années, M. GrandPierre prêta le plus cordial appui à la Société de l'Histoire du Protestantisme français, dont il appréciait hautement les travaux (Bull., t. XIV, p. 89). Malgré son âge et sa santé chancelante, il déploya le zèle le plus actif dans les deux siéges de Paris. Il ne consentit au repos qu'au lendemain de nos malheurs. Il alla le chercher à Lausanne, et ne sortit de sa retraite que pour visiter une dernière fois ses amis de France. C'est au retour de ce voyage rempli pour son cœur aimant des plus pures joies, dans ce doux village d'Arlesheim qui lui rappelait les travaux du ministère de sa jeunesse, au sein d'une famille chérie en tout temps comme la sienne, et digne d'un tel privilége, qu'il ressentit tout à coup les atteintes d'un mal cruel dont les secours les plus habiles et les soins les plus tendres ne purent conjurer les effets. Il était prèt pour le grand départ, qui n'est que le passage à une vie meilleure. Un hommage bien touchant lui fut rendu par MM. les pasteurs Junod et Vallette, de l'Eglise française, en attendant celui que lui réservait le clergé de sa ville natale, où ses restes mortels ont été transportés. M. GrandPierre a été un des vaillants ouvriers de ce siècle. Sa mémoire vivra non-seulement à Parîs, mais à Bâle, à Neuchâtel, et dans ces lointaines Eglises du sud de l'Afrique, qui semblent un des fruits de son ministère. Il a pu dire comme l'apôtre : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; et ces mots qu'on lit sur la tombe de Vinet, son contemporain, son ami, pourraient être gravés sur la sienne : « Ceux qui en auront amené plusieurs à la justice brilleront comme des étoiles à toujours et à perpétuité. » (Daniel V, 13.)

Burier, près Vevey, 25 juillet 1874.

J. B.

[blocks in formation]

SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE

DU

PROTESTANTISME FRANÇAIS

ÉTUDES HISTORIQUES

LES COLLÉGES PROTESTANTS

III

NÎMES (1). (Suite.)

Le mariage de Baduel parut le signal d'un retour d'opinion en faveur de notre lettré. Il épousa Isabelle Rozel, sœur du député Pierre Rozel, avocat habile et scolarque zélé. Bigot prétend que la mariée n'ayant pas de dot, son frère eut l'idée de lui en trouver une en mettant dans sa corbeille de noces la dignité rectorale rendue à Baduel. Bigot faisait ainsi des héritiers avant que de mourir et n'en était pas charmé. Il avoue qu'il avait indisposé les députés par sa passion pour la prospérité de l'université, et il est visible qu'en effet l'université lui faisait oublier le collége. Or c'est le collége surtout qui était cher à la population nîmoise et à ses magistrats. L'université était sans doute un ornement pour la ville, mais un ornement onéreux et peu compatible avec la prospérité de l'enseigne

(1) Voir le Bulletin de 1873, p. 269 et 413, et celui de 1874, p. 289 et 337.

XXIII. 25

« PreviousContinue »